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Il existe un meme créé par une personne autiste qui m’a bien fait rire – et résonne je crois avec pas mal de personnes autistes. Le voici :
Il y a quelque chose de très vrai dans cette assertion : les personnes autistes ont souvent le besoin de se baser sur des règles, des procédures, des modes d’emploi pour fonctionner au mieux. C’est rassurant : cela permet de ne pas mettre en doute chaque décision, chaque étape et on peut se baser dessus pour avancer de façon plus efficace – pas forcément en termes de productivité, mais en termes d’énergie mentale dépensée pour chaque action.
Cependant, les règles sociales du genre ne « servent » à rien dans cette configuration. Il devient alors presque nécessaire de s’interroger sur leur bien-fondé.
Pourquoi suivre des règles inutiles ?
Cette remise en question est d’autant plus fréquente chez les autistes que nous avons plus de mal à rentrer dans les cases normatives du genre et ce, dès l’enfance. D’ailleurs, les conventions et normes sociales en général sont peu comprises par les autistes en général ; il n’est donc pas étonnant que les normes de genre et d’orientations sexuelles subissent le même traitement.
Pour ma part, j’étais ce qu’on appelle un « garçon manqué » (une expression qui pose problème à tellement de niveaux) : j’étais plutôt casse-cou, j’aimais grimper aux arbres, les petits trains, les jeux de construction… Je me souviens m’être souvent demandé comment faisaient les « belles dames » (sic) pour avoir des jambes toutes belles et lisses alors que j’étais couverte d’égratignures et de croûtes des chevilles aux genoux.
La socialisation avec les filles de mon âge n’était pas évidente et j’étais souvent contente quand on me prenait pour un garçon et qu’on m’appelait « jeune homme » (j’avais les cheveux courts). J’adorais me déguiser et lorsque j’ai commencé le cosplay, une pratique de déguisement dans laquelle on incarne des personnages spécifiques de la pop culture (mangas/animes, jeux vidéos, films, séries, comics…), j’ai commencé par incarner des personnages masculins.
Surtout, j’ai très tôt affirmé que je détestais le rose parce que c’était une couleur « pour les filles », qu’on associait voire imposait aux filles et je ne voulais pas être comme les autres filles (ah, le sexisme intégré !). Maintenant, c’est ma couleur préférée, talonnée de près par le violet que j’ai longtemps rejeté aussi… mais pour des raisons phoniques.
Bref, être une « vraie » petite fille, ce n’était pas quelque chose qui me donnait envie. Et devoir partitionner filles et garçons me paraissait dommage. Et ne voir les garçons que comme de potentiels « petits copains », c’était pas mieux.
Quel plaisir de découvrir à la (pré-)adolescence les spectres des orientations sexuelles et des expressions de genre (avant même de découvrir l’autisme) !
Et, une fois que je me suis intéressée à l’autisme, j’ai commencé à observer que la proportion des personnes autistes qui n’étaient pas hétérosexuelles et/ou cisgenres (c’est-à-dire dont l’identité de genre correspond à celle qui lui a été assignée à la naissance) était en effet plus élevée que dans la population alliste.
Je me suis demandé s’il s’agissait d’un biais de confirmation, une de ces situations où on découvre un nouveau fait et que du coup on en voit des occurrences partout. En réalité, ce n’est pas que tout à coup la fréquence de ce fait augmente, c’est juste que notre cerveau y est plus attentif et relève plus spécifiquement ces occurrences.
Heureusement, je ne suis pas la seule à m’être posé la question et un certain nombre d’études ont été faites sur le sujet… qui tendent à prouver qu’il existe vraiment une corrélation entre l’autisme et les orientations sexuelles et identités de genre hors du moule cis-hétéro.
Je vais citer ci-dessous quelques chiffres tirés d’études scientifiques et des posts de la page Facebook « Un truc de ouf » dont l’administrateur fait des posts très informatifs sur l’autisme, la neuroatypie et le handicap.
En revanche, je n’intégrerai pas mes sources dans le mail, pour éviter d’atterrir dans vos Indésirables. Afin que vous ayez cependant accès à ces liens, je les rajouterai directement sur la version accessible en ligne de ce mail, peu après sa publication. Il vous suffira de cliquer sur le titre du mail (ou sur le petit cœur en bas, ça me fait toujours plaisir) pour accéder à cette version et trouver les sources.
Autisme et transidentité
Plusieurs études ont examiné le croisement entre la dysphorie de genre et l’autisme. Pour rappel, la dysphorie de genre décrit la « détresse d'une personne transgenre face à un sentiment d'inadéquation entre son genre assigné et son identité de genre » (Wikipédia).
Il y aurait environ 11 % de personnes trans en dysphorie diagnostiquée et suivie qui seraient autistes. Cela ne prend pas en compte les personnes trans qui ne sont pas en dysphorie. Pour comparer, 1 à 3 % de la population générale est transgenre (avec ou sans dysphorie), soit près de 10 fois plus juste pour la représentation trans avec dysphorie chez les personnes autistes.
De même, selon une autre étude, les autistes auraient quatre fois plus de chances de souffrir d’une dysphorie de genre que les allistes (non-autistes).
En sus, de nombreuses personnes autistes ne veulent pas / ne se sentent pas correspondre aux stéréotypes de genre tout en restant cisgenres. Et bien entendu, la transidentité peut s’exprimer de très nombreuses manières, puisqu’il s’agit d’un… spectre (comme l’autisme) : non-binaire, agenre et tant d’autres…
Autisme et orientations sexuelles
Une étude néerlandaise a examiné le croisement entre orientation sexuelle et autisme. Elle a relevé un écart significatif entre les allistes et les autistes.
Ainsi, parmi les personnes interrogées, si 87 % des femmes allistes sont hétéros… ce n’est le cas que pour 56,6 % des femmes autistes. Il y a plus de double de femmes bisexuelles autistes qu’allistes (22 % vs 10%) ; 6 % de femmes autistes sont lesbiennes contre 1 % chez les allistes – et si on compte 1,6 % d’allistes asexuelles, les autistes sont près de 15 % à être asexuelles.
Chez les hommes, les écarts sont moins drastiques : 90 % des allistes sont hétéro contre 81 % des autistes. Près de 5 % d’hommes allistes sont gays, contre 19 % chez les autistes. 5 % des hommes autistes sont bi contre 8,5 % chez les autistes et 1 % des allistes sont asexuels contre 5 % des autistes.
Les études ne se sont pas encore penchées sur les orientations romantiques, examinant surtout les orientations sexuelles pour le moment. Une autre étude a d’ailleurs montré (encore) une surreprésentation de la bisexualité chez les femmes autistes par rapport aux femmes allistes. (Oui bonjouuuuuur !)
Autisexuel et autigenre
La proportion d’autistes qui divergent de la cishétéronormativité est si présente que des étiquettes spécifiques ont surgi, comme l’autisexualité et l’autigenre. Une personne autisexuelle considère que son orientation sexuelle est intrinsèquement liée à son autisme tandis qu’une personne autigenre lie son genre à son autisme. Toutes les personnes autistes ne sont pas autisexuelles ou autigenres : comme toute étiquette, elle sert à se comprendre mais ne s’applique jamais par défaut.
Attention, certaines personnes (principalement neurotypiques) utilisent aussi le mot « autisexuel » pour manifester leur attraction sexuelle pour des personnes autistes. C’est validiste, psychophobe et fétichisant, bien entendu.
Intersectionnalité
On en revient à l’importance de l’intersectionnalité des luttes : les personnes autistes sont proportionnellement plus souvent LGBTQIA+ que les personnes allistes et rencontrent des difficultés spécifiques à cette intersection – qui peut être une parmi plusieurs.
À mes yeux, il est donc important que les professionnelləs de santé spécialiséəs dans le TSA (Trouble du Spectre Autistique) soient également forméəs aux questions de genre et de sexualité. De même, les doctoressəs qui travaillent dans le domaine des transitions médicales (pour les personnes trans qui souhaitent en faire une, ce qui n’est pas forcément le cas) devraient être au courant de l’intersection possible entre dysphorie et TSA afin de pouvoir comprendre les spécificités de leurs patientəs (ne serait-ce qu’au niveau du comportement en rendez-vous médical).
Mais cette intersection doit aussi être prise en compte dans les milieux LGBTQIA+. Par exemple, de nombreux lieux queers sont des bars : bruyants, alcoolisés… Pas le plus évident comme lieu de sociabilisation pour les autistes sensibles aux bruits / odeurs. Ne parlons même pas de la Pride où on est très vite en hyperstimulation (je crois qu’il commence à y avoir un peu plus d’attention portée aux besoins des personnes handicapées, mais ça fait longtemps que je ne suis pas allée à la Pride).
Enfin, le fait d’être LGBTQIA+ ne rend pas magiquement déconstruit : les autistes peuvent avoir du mal à comprendre qu’on flirte avec nous, peu importe l’orientation sexuelle. Et les abus existent aussi en milieu queer, pas que dans des cas hétéronormés ; la prévention et l’information sont importantes.
Pour finir, un rappel : on n’a pas besoin de comprendre une identité pour pouvoir la respecter.
Même si l’orientation sexuelle ou l’expression de genre d’une personne vous perturbe, celle-ci ne vous demande pas grand-chose, en soi : utiliser les bons pronoms – ceux qu’elle vous a donnés – et ne pas poser des questions indiscrètes. (Google est là pour ça. Ou ChatGPT.)
Sources
Autistic Symptoms in Children and Adolescents with Gender Dysphoria par Anna I. R. van der Miesen, Annelou L. C. de Vries, Thomas D. Steensma et Catharina A. Hartman
Sexual Orientation, Gender Identity, and Romantic Relationships in Adolescents and Adults with Autism Spectrum Disorder par J. Dewinter, H. De Graaf & S. Begeer
Post de « Un Truc de Ouf » sur la transidentité / dysphorie de genre et le TSA : https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=482142187290400&id=100064838675050
Post de « Un Truc de Ouf » sur les orientations sexuelles et le TSA : https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=564158728540619&id=106101851012978
Merci pour cet article hyper fluide ❤️
wieder einmal exzellent und interessant!