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La semaine dernière, je t’ai raconté comment les forums de jeu de rôle m’ont permis de développer mon style d’écriture – et surtout, comment ils m’ont appris à créer des personnages et des mondes variés.
Pour être honnête, c’est en composant ce mail que je me suis vraiment aperçue de l’importance des jeux de rôle dans mon apprentissage de l’écriture. Jusque là, lorsqu’on me posait la question, je répondais que mes innombrables heures de lecture m’avaient servi d’instruction, ou encore les dizaines de débuts de romans que j’avais essayé de rédiger, ou enfin ma formation littéraire (Bac L, prépa lettres).
Bien entendu, tous ces éléments ont joué leur rôle (badum-tsss) et m’ont permis d’augmenter mon expérience ; mais rendre aux forums rpg (roleplay game, « jeu de rôle ») ses lauriers me paraissait important.
Sans eux, je pense que je ne serais pas au point où j’en suis, car je n’aurais pas pu tenter tant de concepts de personnages ou d’univers sans peur du jugement. Sur ces plateformes, la seule limite était celle de mon imagination (autant dire que cette limite était… lointaine).
Les forums jdr m’ont occupée du collège à la fin du lycée, période pendant laquelle le temps consacré aux fofos a lentement pris le pas sur celui que j’allouais à la lecture.
Au passage, lorsque je suis tombée sur cette magnifique image de Grant Snider, je me suis sentie très visée – et je continue à m’y retrouver ! (Je ne peux que te recommander de consulter le site de cet artiste, j’adore son travail !)
Des forums rpg au cosplay
Pendant mes années prépa, j’ai commencé à pratiquer une autre forme de jeu de rôle : le cosplay. Ce mot-valise, qui provient des mots « costume » et « playing » (jouer), désigne une pratique qui s’est répandue d’abord aux Etats-Unis, puis au Japon et enfin en Europe.
Le principe est de s’habiller comme des personnages de fiction, et pour certainǝs puristes, il faut y joindre un minimum de jeu d’actricǝ. J’ai pris des cours de stylisme pendant deux ans, juste pour pouvoir élaborer mes costumes et j’avais même fait une petite page Facebook dédiée à mes cosplays. Elle existe encore, mais je ne l’alimente plus depuis des années…
(D’ailleurs, si le cosplay t’intéresse, j’ai écrit mon mémoire de M1 sur le sujet : « Le cosplay, entre carnaval et mascarade ». Il est disponible en accès libre ici – et si tu préférerais lire une version abrégée de ce mémoire, n’hésite pas à m’en faire part par retour de mail ou en commentant ce post ! )
Du cosplay au GN puis au JDR table
La rencontre de mes intérêts pour les forums rpg et le cosplay m’a permis alors de découvrir de nouveaux divertissements créatifs. Lors des interviews que j’ai effectués pour mon mémoire, j’ai découvert le concept du GN, abréviation de « jeu de rôle grandeur nature », où l’on incarne son personnage pendant un temps donné, et ce jusqu’au bout des ongles (c’est-à-dire en costume), généralement dans un lieu réservé par les organisatricǝs.
Et ensuite seulement, j’ai été initiée au jeu de rôle table.
Comme pour les forums de jeu de rôle, les jeux de rôle table et GN impliquent de créer un personnage et de le jouer en répondant à d’autres joueusǝs. La différence principale est que l’un comme l’autre se font en immédiat.
Là où les forums se basent sur l’écriture, les JDR table et GN exploitent en fin de compte une facette toute autre de la création : la capacité d’improvisation et de jeu d’actricǝ.
Un jeu aux règles précises
En JDR table, les règles de jeu sont également plus « strictes », puisque les personnages joués ont des statistiques, que l’on tire aux dés ou que l’on répartit en fonction d’un nombre de points alloué de façon arbitraire lors de la création du personnage.
De mon expérience, ces stats se répartissent généralement en deux catégories (mais je n’ai pas joué à beaucoup de JDR différents : le principal reste Anima : Beyond Fantasy, même si j’ai tenté Mage, Les 5 Anneaux, Cthulhu…).
La première catégorie regroupe les caractéristiques principales, physiques et intellectuelles : agilité, force, dextérité, intelligence, charisme, perception, constitution physique, pouvoir (pour les univers qui impliquent de la magie), volonté…. La seconde rassemble les compétences, qui peuvent être très variées : capacités de combat, connaissances et compétences spécialisées (herboristerie, navigation, négociation, histoire, crochetage…), capacités magiques…
Quant au GN, n’ayant qu’une très faible expérience de ce type de JDR, je n’ose pas trop m’avancer, mais je crois qu’il en existe une très grande variété : certains d’entre eux se basent sur des fiches de personnage tout aussi détaillées que pour le JDR table, tandis que d’autres ne nécessitent qu’une description du passé et du caractère du personnage. (C’est aussi le cas pour certains JDR table, mais je n’en ai pas testé de tels.)
Je sais que toutes ces explications sont longues, d’autant plus si tu connais déjà le JDR, mais je te promets que j’ai de bonnes raisons de m’étendre sur cette introduction !
En effet, tous ces éléments chiffrés indiqués sur la fiche de personnage permettent aux joueusǝs et au MJ (maître de jeu) d’avoir un référentiel sur lequel se baser lors des tests.
Un test a lieu lorsqu’un personnage doit effectuer une action particulière, par exemple crocheter une porte : si le personnage joué est voleur de profession, læ joueusǝ aura normalement investi des points dans la compétence de « crochetage ». Iel peut ensuite jeter un ou plusieurs dés (en fonction des règles du JDR en question) pour savoir si son personnage parvient à utiliser correctement ses compétences de crochetage.
On évite ainsi de se retrouver dans des situations où l’éruditǝ a autant de chances de réussir à crocheter une porte que læ voleusǝ.
Les enseignements du JDR table
Souvent, les règles décuplent la créativité : par exemple, les alexandrins et leurs strictes règles ont permis à de nombreux dramaturges et poètes de créer de sublimes œuvres. Le cadre rigoureux du JDR table a de fait ouvert de nouveaux champs des possibles pour mes capacités créatrices.
D’une part, la précision des fiches d’Anima m’a invitée à me poser la question pour chacun de mes personnages : quelles compétences ont été développées par quels protagonistes ? Cela m’a permis de donner davantage de cohérence aux capacités de mes personnages – et à développer un équilibre précieux.
Second point : dans Anima, les scènes de combat sont légion, et tout le plaisir de ces scènes vient certes de bons jets de dés (qui indiquent donc une action réussie), mais surtout de descriptions visuelles des actions martiales des personnages.
Enfin, après avoir été longtemps joueuse, je me suis essayée moi-même au rôle de maîtresse de jeu, similaire à celui d’autrice. En effet, læ MJ crée l’intrigue, le cadre dans lequel vont évoluer les personnages des joueusǝs, et doit pour cela développer une grande capacité d’improvisation et d’adaptation. Car, à l’inverse des personnages que l’on écrit (et encore…), les personnages joués (PJ) ont tendance à agir de façon totalement inattendue, ce qui peut faire dérailler un scénario pourtant soigneusement élaboré.
Par ailleurs, læ MJ doit jouer tous les PNJ (personnages non joueurs), c’est-à-dire tous les personnages secondaires avec lesquels vont interagir les personnages des joueusǝs : de l’aubergiste à la prêtresse, adjuvantǝs, informatricǝs et antagonistes divers…
Et surtout, unǝ bonnǝ MJ doit être capable de mettre tous les PJ à l’honneur, et de leur donner à chacunǝ une mission, une intrigue personnalisées.
Voilà donc ce que j’ai appris grâce au JDR table :
En tant que joueuse, j’ai appris à décrire les actions martiales des personnages que j’incarne, à me positionner dans les bottes des protagonistes, à échanger en tant que ce personnage avec ceux des autres joueusǝs…
En tant que MJ, j’ai développé mes capacités à créer des intrigues, souvent imbriquées, qui permettent à chaque personnage d’avoir son heure de gloire, à inventer des personnages secondaires et pourtant développés – et non pas juste des « outils » qui servent uniquement à faire avancer la trame des protagonistes…
Je pense aussi que le côté « immédiat » du JDR table m’a aidée pour les dialogues, qui demeurent encore ma plus grande faiblesse.
Et enfin, petite anecdote pour la fin : lors d’une scène de combat groupé dans mon premier tome, je n’arrivais pas à visualiser la scène, à savoir quels personnages s’en sortaient, ni comment. J’ai donc, tout simplement, sorti mes dés, et je les ai lancés pour chacun des personnages. Pratique, aléatoire et, de fait, surprenant !
Trop chouette, la pyramide du lecteur ! J'ai passé un moment au fond gouffre 6, je dois en être à 7, mais j'ai fait le 8 en même temps que le 6, ça compte ?
Mais dis donc, ne manque-t-il pas quelques ǝ à "pour certains puristes", "répondant à d’autres joueurs", "permettent aux joueurs", par exemple ? Attention, je surveille :p
Franchement, tirer au dés l'issue d'une scène à écrire, c'est excellent ! Je m'en rappellerai, pour sûr !