Temps de lecture : 4 minutes
Qu’est-ce qui fait un bon roman ?
L’intrigue – évidemment. Le rythme – naturellement. Le cadre – assurément.
(Et par « cadre », j’entends la construction, l’élaboration et la présentation du monde, qu’il s’agisse du nôtre ou d’une planète lointaine.)
À mes yeux, cependant, le plus important réside dans… les personnages. Car c’est par eux que les lectricǝs entrent dans le roman : qu’iels s’identifient au héros, adorent détester l’antagoniste ou encore observent l’intrigue par les yeux du deutéragoniste…
Si les personnages sont creux, superficiels ou stéréotypés, il est plus difficile de se glisser dans leur subjectivité. En revanche, ils peuvent être pénibles, insupportables ou détestables : si la caractérisation révèle leur complexité, alors ils en deviennent d’autant plus intéressants à suivre.
Peu importe que le roman ou la nouvelle soit racontée du point de vue d’une narratrice omnisciente, de celui du protagoniste ou qu’il s’effeuille en roman choral : les personnages principaux doivent être construits et développés avec finesse et exhaustivité.
Je veux donc te parler aujourd’hui de l’élaboration du rostre des personnages principaux, de leur classification (au cas où tu ne l’aurais pas compris, j’adore classer) et de tout ce qui permet d’en faire des « vraies » personnes.
Quels sont les types de personnages ?
J’ai glissé quelques termes dans les paragraphes précédents. Tu les as peut-être repérés : il s’agit de protagoniste, antagoniste et deutéragoniste. Tu t’en doutes, on va commencer par un petit « instant étymologie », parce que j’adore ça, et que je trouve que les racines permettent de mieux comprendre le sens d’un mot.
Ces trois mots sont basés sur la même racine : ἀγωνιστής, agōnistḗs, qui veut dire (entre autres) « lutteur, rival ». Quant à leurs préfixes, ils signifient respectivement πρῶτος, prôtos, « premier » ; ἀντί, antí « contre » et δευτερα, deutera, « deuxième ».
Dans la tragédie grecque, le protagoniste est le premier acteur qui engage le dialogue avec le chœur. Par extension, il est devenu le personnage principal. Quant au deutéragoniste, c’est l’acteur ayant le deuxième rôle principal ; il peut ainsi être l’antagoniste.
(Si on veut pousser, on peut même évoquer le tritagoniste, qui a… le troisième rôle le plus important.)
Aujourd’hui, à moins de vouloir écrire des tragédies grecques, le terme de deutéragoniste a évolué dans son acception. Il ne désigne pas « que » le second personnage principal : il s’applique au personnage narrateur qui n’est pourtant pas le protagoniste par son importance dans l’intrigue.
Par exemple, dans Avatar, le dernier maître de l’air, Katara est la deutéragoniste : on suit l’histoire à travers son prisme, alors qu’Aang est le protagoniste. De même dans Gatsby le Magnifique : Nick est le deutéragoniste, tandis que Gatsby en est le protagoniste.
(Merci Leila pour la découverte de ce terme et concept !)
Tu l’as compris : si le deutéragoniste n’est pas nécessaire pour tout type d’histoire, le plus évident pour créer une tension est d’avoir un ou une protagoniste et un ou une antagoniste. C’est plus simple lorsque l’on a qu’unǝ narratricǝ, mais la tâche se complique si l’on évolue en roman choral.
Comme c’est la forme que j’ai choisie, je vais désormais me pencher sur l’aspect choral. Lorsque j’aurai écrit un roman avec un ou une narratrice unique, je reviendrai sur le sujet, armée de nouvelles cordes à mon arc.
D’où viennent les personnages ?
Lorsque j’ai commencé à écrire Sublimes, je participais encore pas mal sur les forums de jeu de rôle, que j’ai déjà évoqués.
Or, ce que je préférais sur ces forums, c’était la création des personnages : j’en inventais à tour de bras. Et, comme de nombreuxes joueusǝs, j’avais mes types de personnages favoris, que je déclinais à loisir.
Pendant mon adolescence, sept archétypes somnolaient dans ma tête, et s’incarnaient en fonction de mon humeur créatrice :
la Miss Parfaite, pimbêche bouffie d’orgueil et de bravade – en partie à raison, parce qu’elle excellait dans une ou plusieurs disciplines
le personnage androgyne, souvent adepte du travestissement (j’étais jeune ado et n’avais pas encore découvert l’éventail des identités de genre), doux, fragile et victimisé
le matador charismatique, colérique et autoritaire, qui aimait se faire craindre
la femme fatale, souvent de sang royal, calculatrice et revancharde, ou inconséquente et jemenfoutiste
la fillette, adorable au premier abord, mais impulsive, destructrice et dangereuse car sans filtre ni retenue
le monstre, au genre indéterminé, gouverné par ses pulsions et ses passions
le personnage de l’ombre, lui aussi dans l’androgynie, caractérisé par sa propension au mensonge, son envie de se venger des autres, son comportement fourbe et retors
Les beta-readers reconnaîtront aisément certains de ces personnages dans Sublimes. D’ailleurs, j’avais nommé ces archétypes et j’ai même gardé les prénoms pour certains d’entre elleux : Lucrèce, Belladone, Gabriel/le…
(Et mes anciennes partenaires de jeu de rôle reconnaîtront, elles, à peu près tous mes personnages de forums jdr. Je pense encore à toi, Miaou, ma gamine pyromane.)
Seulement, même si j’ai parfois basé plusieurs personnages sur un seul archétype, j’ai su les distinguer les uns des autres, en développant… tout le reste.
Et c’est ce qu’on explorera… la semaine prochaine !