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À l’occasion de la sortie imminente du premier tome de ma trilogie Sublimes, j’ai commencé à évoquer la recette que j’ai utilisée pour concocter ce repas en trois services.
La semaine dernière, je vous listais la plupart des ingrédients utilisés. Cette semaine, je veux aborder l’élaboration elle-même : les textures, les goûts et les odeurs que je développe.
Avant ça, je vous rappelle que je serai au Festival Finistellaire à Quimper les vendredi 10 et samedi 11 novembre pour la sortie en avant-première de La Chimère.
La semaine suivante verra la sortie officielle du roman le mercredi 15, puis je serai le vendredi 17 et le samedi 18 au Salon du livre du Touquet-Paris-Plage.
N’hésitez pas à venir m’y faire un coucou, que je vous dédicace votre exemplaire ! 😊
Retournons maintenant dans la cuisine, où nous avons déjà choisi, mesuré et pesé les ingrédients et les épices. Qu’en faire, désormais ?
Les textures
Afin de filer la métaphore, j’ai décidé d’associer les textures d’un plat aux différents thèmes qui s’y croisent. Comme je ne suis ni cuisinière ni gastronome (et que je me nourris principalement d’aliments moelleux, ma texture préférée), j’ai cherché une liste des différentes textures en cuisine… et j’en ai trouvé beaucoup.
C’est parfait, cela va me donner l’occasion d’évoquer de façon plutôt exhaustive les thèmes abordés dans Sublimes !
Imaginez devant vous un feuilletage, où se superposent les histoires des personnages, qu’iels soient primaires ou secondaires. Entre chaque épaisseur de ce mille-feuilles, une texture différente vous attend et avec elle, ses particularités thématiques.
D’abord, le gras vous surprendra, celui de la consommation à l'excès, de cet appétit sans bornes, qui avale et consume pour s’épaissir lui-même. C’est du gras bien habillé, certes, mais il est riche à l’écœurement.
Heureusement, il est contrebalancé par du croquant : les effets de surprise, d’anticipation, les cliffhangers, le suspense, la tension… et les retournements de situation ! Dès le premier chapitre, on est plongé dans une situation incongrue – et les personnages s’aperçoivent, un peu trop tard, du danger qu’iels courent…
Un peu de mou pour s’en remettre – pas un mou rassurant, cependant, mais le mou de la vulnérabilité, le mou du moment où il serait si facile de s’abandonner… Certainəs flirtent avec l’abandon suicidaire, d’autre veulent céder à leurs poursuivantəs.
Attention, car le mou peut devenir collant si on le garde trop longtemps en bouche et virer à l’obsession – non plus fuir, mourir ou se rendre… mais une quatrième solution, que je n’ose même pas évoquer ici !
C’est là qu’on s’aperçoit que la couche suivante est un peu plus résistante, sablée : c’est le moment où l’histoire a assez avancé pour qu’on s’aperçoive qu’on a changé, qu’on a oublié qui on était, qu’on est nostalgique – un peu, mais pas trop.
De toute façon, on a pas le temps de s’y attarder : voilà que le feuilletage casse sous la dent. Il y a rupture, conflit, il y a brisure nette dans le développement, dans les alliances, dans la vision qu’on a de soi-même. On se croyait sur le trône, on n’est qu’à ses pieds.
Je ne pourrais pas proposer un plat sans moelleux, sans réconfort, sans chaleur. Mes personnages l’acceptent – ou non. Parfois, iels préfèrent le fondant, la luxure, le contact charnel, celui dans lequel on s’abandonne, dans lequel on goûte au plaisir, au risque de s’enliser dans le sirupeux de relations étouffantes et toxiques.
D’autres, plus rares dans ce premier tome, s’expriment dans le mousseux, si léger, si joyeux, si épris de liberté, au pétillant énergique et enthousiaste, voire dans l’aérien, propice à l’imagination, au rêve… et au désir d’évasion !
Même pour elleux, cependant, le liquide de la tristesse n’est pas loin – espérons qu’il coagule en biscuit coriace, pour insuffler persévérance et détermination.
Voilà mon feuilletage, mon mille-feuille aux nombreuses textures. Il y en a d’autres, bien entendu, mais il faut bien vous laisser un peu de surprise…
Les saveurs
Elles, je les associe facilement aux éléments stylistiques et narratifs.
Personnellement, je suis une grande amatrice de sucré.
Cependant, les grandəs cheffəs mettent toujours en garde là-dessus lors des concours : trop de sucre rend un dessert vite écœurant. J’ai donc été précautionneuse dans la quantité de moments de douceur, de réconfort et de tendresse. Ils parsèment le récit – là une description qui met du baume au cœur, ici une interaction touchante, même un moment ou deux de poésie heureuse. Mais point trop n’en faut – et on les savoure d’autant plus qu’ils sont rares !
Comme dit Alphonse Allais : « le sel de la vie est dans le poivre qu’on y met ».
Je ne compte plus le nombre de candidatəs de concours culinaires à qui l’on a reproché le manque de sel et d’assaisonnement. En narration romanesque, c’est plutôt l’inverse : trop d’ironie, trop de rupture du quatrième mur sort de la lecture. Il faut doser le sel avec précision, le placer sur les bouchées qui ont besoin d’être un peu réveillées.
Le sel et le sucre, c’est la base. Les premières saveurs auxquelles ont pense. Trop salé : immangeable. Trop sucré : écœurant.
Et l’amertume ?
L’amertume enveloppe le palais, complexifie la déglutition. Il en faut, de l’amertume, pour que le sucre puisse la contrebalancer. L’amertume, elle vient pour moi des dilemmes moraux, des choix moins qu’éthiques, des jalousies, des revanches et des vengeances.
Pour quelqu’un qui fuit les aliments amers, je pense avoir compensé dans mon écriture… Qui a dit que les relations interpersonnelles dans la fiction devaient bien se passer ?
Aïe, le bouchon du piment en poudre s’est fait la malle pendant que je saupoudrais et je peux vous dire que ça va piquer !
Ouh, de la passion, vous allez en avoir ! Pas énormément d’amour, mais la plupart des autres émotions y passent, intenses et inévitables, de la colère au dégoût, du désir à la vengeance.
C’est l’umami qui permet de lier tout ça.
Les petits indices parsemés dès les premières pages, les symboles que je glisse ici et là, les infimes détails que je dépose au sein d’un paragraphe – ceux-là qui ne vous feront réagir qu’à la deuxième lecture. Si, à un moment, vous vous dites : « ah mais, c’était déjà là ? » - alors je pourrai raccrocher ma toque, satisfaite.
Il faut un peu d’acidité pour réveiller les papilles et garder l’esprit éveillé.
L’acidité vient… des scènes d’action, de suspense, des rebondissements ! Ça, vous aller en avoir. Peut-être pas non-stop, parce que l’acidité se marie particulièrement bien avec la douceur, ces moments de répit, de contemplation et de calme, mais assez pour que, j’espère, vous ayez du mal à reposer le livre.
Les odeurs
Et je finis avec le début. Oui, normalement, on voit d’abord le dressage, on sent d’abord les odeurs… en ensuite, seulement, on découvre les goûts et les textures. Moi, je vous ai emmenéəs dans ma cuisine, je vous ai montré l’élaboration.
Alors, après les ingrédients, les textures et les goûts, vous découvrez enfin ce qui touche votre nez : voici les fragrances qui devraient vous parvenir.
Un fumet de viande grillée, voilà ce qui vous emplira les narines, portant avec lui une critique du consumérisme, de la consommation à outrance, du capitalisme – c’est une odeur, donc c’est léger, ce n’est pas ce qui vous prendra à la gorge. On peut même oublier son bouquet pendant qu’on mâche et qu’on déglutit, ne vous inquiétez pas. Mais elle est là, malgré tout.
En-dessous, quelque chose d’un peu plus douceâtre, à la limite du pot-pourri. Je ne voudrais pas vous écœurer, mais sachez qu’il porte en lui les violences de domination, notamment sexuelle, notamment d’emprise, celles qui sont déséquilibrées, par le rang, par l’âge, par l’autorité. Oui, cette odeur-là, elle risque même de couper l’appétit, mais elle est nécessaire, pour rehausser les deux autres.
Car pour englober ce graillon et cette pourriture, c’est un véritable feu d’artifice d’arômes et de parfums !
Celles de la tartine au beurre, celle des pancakes et des crêpes, celle des paillettes, de la barbe-à-papa et de la fête foraine, du pop-corn et du cinéma, celle de la tisane hivernale, du cocktail estival, celle du pumpkin spice latte ou du chaï, celle du chocolat chaud, de la meringue, du pain qui sort du four.
Ça, c’est le nuage réconfortant de la diversité, celui dans lequel on rencontre toutes sortes de personnages, aux identités de genre, aux orientations sexuelles, aux origines et aux façons d’être - dans le monde et avec les autres - aussi différentes que la cuisinière que je suis est capable de les représenter !
Merci Emma pour ce grand moment de synesthésie !
En passionné de littérature, de bonne cuisine et de Sublimes, ces pages tapent en plein dans le mille pour moi :)