Dis-moi ce que tu lis, je te dirai ce que tu écris
Ma dernière lecture : Chien du Heaume, Justine Niogret
Est-ce que tu penses qu’une œuvre apparaît, comme ça, au milieu d’un halo de lumière divine ?
Parce que si oui, je suis désolée de te l’annoncer, mais tu te trompes : toute œuvre est un concentré de son époque et des inspirations de son auteur•ice. Trouver une idée qui n’a jamais été exploitée auparavant est difficile – voire impossible, et cela s’aggrave plus on avance dans l’histoire. (Autant dire qu’en l’an 2458, l’originalité ne sera plus qu’un doux rêve.)
Le mythe de l’inspiration divine
Quand j’étais ado, ma grande terreur était que quelqu’un me pique l’idée de Sublimes (ou du manuscrit sur lequel je travaillais à l’époque) et en fasse quelque chose de mieux que moi (ce qui, avouons-le, n’aurait pas été bien difficile à l’époque. Comme quoi, j’avais raison d’avoir peur.)
En réalité, aucune de mes idées n’est originale (je le savais déjà, mais c’est douloureux à mettre par écrit malgré tout… Mon pauvre ego blessé !). Et si je ne le savais pas déjà assez, Nicolas Galita l’a évoqué dans son podcast Le Syndrome de la Page Noire et dans certains de ses articles… s’inspirant lui-même du livre Voler comme un artiste d’Austin Kleon (pas voler comme planer, voler comme dérober).
Je n’ai pas encore lu cet ouvrage, mais ça ne saurait tarder. En revanche, je ne me cache pas d’avoir de nombreuses inspirations pour ma trilogie.
Quelles inspirations ?
Au niveau littéraire, je peux citer par exemple : Hunger Games de Suzanne Collins, Dracula de Bram Stoler, Carmilla de Sheridan Le Fanu, A Song of Ice and Fire (Le Trône de Fer) de George R. R. Martin, Cloud Atlas (Cartographie des Nuages) de David Mitchell, les Arsène Lupin de Maurice Leblanc, de nombreux romans historiques…
Au niveau cinématographique : Labyrinthe (1986), Le Labyrinthe de Pan (2006), Le Bal des Vampires (1967), Le Voyage de Chihiro (2001), Cloud Atlas (2012), Gattaca (1997)…
Je peux aussi évoquer des opéras (Les Noces de Figaro, Don Giovanni, Turandot…), la série Hannibal (je n’ai ni vu les films, ni lu les romans, oups)…
Et je sais que j’en oublie ! Ceci dit, j’évoque ici les œuvres dont l’inspiration est directement reconnaissable par les thèmes, les noms, les ambiances, les situations rencontrées, et non les œuvres qui m’ont inspirée en général. (Oui, il y a une différence ! La deuxième catégorie est beaucoup plus difficile à identifier… D’ailleurs, je ne cite ni Diana Wynne Jones, mon autrice préférée, ni Terry Pratchett, mon auteur favori, car leurs œuvres ont certes influencé mon écriture, mais de façon moins directe.)
Ma dernière lecture
J’ai donc décidé de t’expliquer ce que je tire de chacune de mes lectures, aussi mince soit ce que je pense conserver. À commencer par le roman que je viens d’achever, Chien du heaume de Justine Niogret.
Un de mes objectifs les plus récents (c’est-à-dire que ça doit faire un an ou deux) est de lire des autrices de fantasy, car je dois reconnaître que j’en ai lu bien moins que des auteurs. J’ai en plus voulu lire des autrices françaises car je consomme beaucoup de littérature anglo-saxonne en langue originale, et qu’il m’est nécessaire de lire en français pour améliorer mon style.
Chien du heaume est le titre du roman et le (sur)nom de l’héroïne, qui est à la recherche de son nom de naissance. L’ouvrage est assez court (environ 200 pages en édition poche) ; pourtant, la lectrice grande vitesse que je suis ne l’a pas dévoré. Je suppose que le rythme de la narration ne m’a pas happée, que cette héroïne si particulière n’a pas assez résonné avec moi pour que je ne gobe ces pages comme celles de La Passe-Miroir, par exemple.
Pour tout te dire, il a fallu qu’un personnage important meure dans le derniers tiers (quart ?) du livre pour que je sois enfin accro – et j’étais désespérée ! (Tu vois le genre de lectrice que je suis ? Maintenant, tremble pour la survie des personnages que j’écris…)
Les éléments qui m’inspirent
Je vais commencer par te livrer deux citations qui m’ont marquée à la lecture (j’ai la manie de noter toutes les citations qui m’interpellent, peu importe le support, c’est très pratique lorsque je suis en « panne » d’inspiration) :
C’est une des raisons pour lesquelles je me bats, donner le repos à ceux qui marchent et ne trouvent que mauvais accueil dans les villages. Les guerriers, les artistes, les… différents. Beaucoup de ces gens-là ont une pierre d’or dedans le cœur, sans doute la raison pour laquelle il leur est si lourd.
Et :
Chien, c’est grande douleur de voir mon monde qui s’éteint. Je veux qu’il sache que je l’ai aimé, même si je suis né au moment où lui commençait à s’endormir. Écoute aussi, Corban, car si je sais mon avenir déjà fané, je vois aussi le tien, et il n’est guère plus enviable ; hommes et femmes, pensées et croyances, tout est mouvance. Tes idées passeront comme les miennes s’oublient aujourd’hui. Rien n’est sûr que la fin, et le monde des hommes est ouragan.
Le style de Justine Niogret est – une perle. Il est vivant, ses mots vivent, et ils opposent une résistance à la lecture qui est peut-être ce qui m’a rebutée au début. Pas de jolies formules, pas de pornographie de l’horreur : juste ce qui est, la beauté, la violence, telles qu’elles sont ; la langue française, ranimée de mots et d’expressions médiévales (accord de proximité !).
De Chien du heaume, je m’inspirerai pour la description des ambiances et des sensations, pour la vie et le fonctionnement de la forge (l’autrice a forgé sa propre épée, si j’ai bien compris !), pour les types d’armes et d’armures… Et je garde cette si belle plume en mémoire !
J’ai hâte de me plonger dans le second tome, Mordre le bouclier – qui, lui, se fera dévorer, maintenant que j’ai plongé à pieds joints dans l’univers de Justine Niogret.
C’est fini !
Comme pour les « mots du jour », n’hésite pas à me dire si tu as abhorré ce format ; si tu ne me dis rien, je réitérerai l’expérience !
C'est tellement vrai tout ça, tellement difficile à encaisser pour l'égo, et le faire est une étape tellement nécessaire, pourtant !
Première désillusion à 10 ans : le livre que j'ai écrit a déjà été écrit. Après moi, en plus ! Se souvenir de se dépêcher la prochaine fois (je ne me suis jamais dépêchée finalement)
Seconde désillusion à 25 ans : reprendre un manuscrit d'ado 10 ans plus tard, le trouver franchement digne de poursuite, mais après quelques mois de travail, réaliser qu'il est un espèce d'agrégat d'inspirations pas franchement nobles ni prestigieuses : il y a là-dedans aussi bien du Disney que des intrigues entières piquées aux romans de gare que lisaient ma mère, mais aussi quelques emprunts plus subtils. Ouch !
De tout cela, j'étais parfaitement inconsciente en écrivant, et ça me paraît douloureusement évident aujourd'hui. Et pourtant, au milieu de tout ça, il y a bel et bien "mon œuvre".
A ce moment-là, il n'y a qu'une solution : faire vœu de mesure dans ses emprunts, redoubler de vigilance. Mais aussi, plutôt que feindre l'innocence, je préfère aujourd'hui assumer carrément ses inspirations par des références intertextuelles, par exemple. Il me paraît tout aussi excitant (que de défricher un motif inconnu) d'organiser le dialogue avec les grands prédécesseurs, pour m'inscrire humblement après eux dans un thème qu'ils n'ont, après tout, pas inventé non plus.