Donne-moi ton nom
What's in a name? that which we call a rose By any other name would smell as sweet
Temps de lecture : 6 minutes
J’ai une confession.
Pour écrire ce mail, notamment pour lui trouver un titre, j’ai flâné sur Internet, à la recherche de citations sur l’acte de nommer, sur les noms en général… En fin de compte, je n’ai rien retenu de ma recherche…
(Sauf une jolie citation de Vladimir Jankélévitch :
Il faut bien donner un nom à ce qui n'a pas de nom, à ce qui est impalpable... Tout compte fait, c'est là le métier des philosophes et de la philosophie.)
Mais… je suis tombée sur un article incroyable (incroyablement sexiste, entre autres) sur Adam. Tu sais, le premier homme selon les religions monothéistes. Car, tu es peut-être au courant (surtout si tu viens comme moi de regarder la dernière saison de Lucifer), selon les écritures, Adam a nommé tous les animaux.
L’article dont je te parle tente de répondre à cielles qui affirment qu’Adam n’aurait pas pu accomplir en une seule journée, à savoir le sixième jour de la création, toutes les tâches que Dieu lui a confiées. D’un autre côté, il est vrai qu’on pourrait considérer que trouver un nom à toutes les espèces animales en vingt-quatre heures relève de l’exploit.
Pour ma part, je ne rentrerai pas dans cette question théologique. Je préfère cette vision de la chose :
Si l’action de nommer les animaux fait partie des premières tâches d’Adam, c’est bien parce que le nom d’une personne, d’un lieu ou d’un objet finit d’installer ceux-ci dans la réalité, dans ce qu’on peut appréhender.
Nommer les choses fait partie de la création et de l’écriture. Les noms sont des mots, et c’est avec des mots qu’on raconte une histoire. Le nom informe (aux sens de “donne une forme” et “donne une information”) et identifie. Voilà l’importance du nom et voilà pourquoi j’y porte tant d’attention.
Et lorsqu’on écrit un roman, d’autant plus lorsqu’il sort de la réalité comme en fantasy ou science-fiction, on a besoin d’inventer des noms à la pelle.
Commençons par les noms que doivent donner toustes les auteurices : ceux des personnages, qu’ils soient protagonistes, antagonistes, secondaires ou tertiaires (même si ceux de cette dernière catégorie ne sont pas toujours nommés).
Comment nommer ses personnages ?
Le nom des personnages les plus importants doit être mémorable et correspondre à l’univers. Et il peut – voire doit – donner des renseignements sur le personnage : sur son caractère, son rôle, son origine…
Par exemple, le héros de la saga Septimus Heap d’Angie Sage (que je recommande vivement, au passage) s’appelle… Septimus Heap.
Son prénom signifie littéralement « septième », ce qui tombe bien, puisqu’il est le benjamin d’une fratrie de sept. Quant au patronyme, dont la traduction en français oscille entre « tas » et « pile », il caractérise toute la famille du héros : l’appartement de la famille est envahi de piles de livres et autres objets, dans un chaleureux capharnaüm, et les frères dorment entassés les uns sur les autres.
Le nom reste en mémoire, et pas seulement parce qu’il s’agit du titre de la saga, mais bien parce qu’il caractérise le personnage. C’est le cas pour la plupart – si ce n’est tous – les personnages d’Angie Sage.
Bien nommer, mal nommer
Un concept que j’ai découvert assez récemment et que j’adore est celui d’aptonyme (ou aptronyme), un néologisme québécois basé sur l’aptronym anglais. Composé des mots apte (« approprié », « qui convient ») et du suffixe -onyme (« nom »), l’aptonyme désigne un nom (de famille) qui correspond à la personne qui le porte, que ce soit par le métier, les occupations ou toute autre caractéristique.
De ce fait, aptonyme désigne un nom prédestiné, qui convient bien à la personne qui le porte, car il se rapporte au métier qu’elle exerce ou à ses occupations. Le contraire d’un aptonyme s’appelle un contraptonyme. (Valérie Gignac, La destinée des noms et prénoms)
Quelques exemples d’aptonymes :
les frères Lumière, puisque le cinéma, dont ils sont les inventeurs, nécessite des projecteurs,
Caroline Aigle, première femme pilote de chasse de l'armée de l'air française,
Olivier Fric, consultant en énergie mis en examen pour blanchiment d'argent.
(À chaque fois que je consulte cette liste, je rigole toute seule.)
Et quelques contraptonymes :
Véronique Sanson, chanteuse,
Emmanuel Payen, prêtre catholique,
David Douillet, judoka français, champion olympique en catégorie plus de 95 kg.
User d’aptonymes ou de contraptonymes pour ses personnages peut ainsi participer à leur caractérisation. Il existe d’ailleurs un terme en anglais pour désigner les aptonymes ou contraptonymes de personnages de fiction : le charactonym.
Allez, pour le plaisir, deux exemples parlants de charactonymes : Sirius Black et Remus Lupin de la saga Harry Potter. (Attention, il va y avoir du divulgâchis de la saga Harry Potter dans les prochains paragraphes, je précise dans le doute.)
Sirius est le nom de la constellation du chien, Black signifie « noir ». Le nom du personnage révèle en un instant qu’il se transforme en chien noir.
Quant à Remus Lupin, il porte le nom d’un des jumeaux fondateurs de Rome élevés par une louve… et « canis lupus » est le nom latin du loup. Oui, ce monsieur s’appelle presque « loup loup ». Pour cielles qui ne le connaissent pas, ce loulou est un… loup-garou.
Il faut savoir user des aptonymes et contraptonymes avec parcimonie, au risque de divulgâcher des éléments de l’intrigue aux lectricǝs attentivǝs. Pour ma part, j’adore m’en servir, de façon plus ou moins visible.
Par exemple, l’un de mes personnages s’appelle Yolande. L’une des origines possibles de ce prénom est le latin viola, la violette. Or ma Yolande est une amoureuse des plantes : elle porte un nom de fleur, de façon un peu plus discrète que si je l’avais nommée, au hasard, Violette.
Sans vouloir trop en dire, de nombreux autres personnages portent des aptonymes ou contraptonymes dans Sublimes, parmi lesquels Victor, Pascal, Tristan et Juliette, Belladone…
La liberté de l’invention
Dans un monde fantasy, on peut se retrouver à vouloir inventer des noms étranges, à la sonorité inattendue. Et on se retrouve facilement à se tourner vers les mêmes euphonies : celles qui nous plaisent. Je pense aux sagas de Pierre Bottero (snif), avec ses Ewilan, Ellana, Éléa, Élicia…
Bien entendu cette proximité, que l’on peut également retrouver chez les nains de Tolkien, participe à la création d’une cohérence ; elle risque pour autant d’égarer les lecteurs et lectrices.
De même, lorsqu’on crée des noms fantastiques ou futuristes, on peut vouloir se laisser aller à une complexité grisante. Il ne faut pas oublier que ce nom sera répété à l’envi et donc éviter les noms trop longs ou imprononçables… à moins qu’ils ne fassent partie de la caractérisation et/ou que le personnage use d’un surnom ou d’un diminutif.
Les sonorités ont elles aussi une importance : un nom qui finit en -ard n’inspire pas le même ressenti qu’un nom qui s’achève en -el. Pensons à Maltazard (Arthur et les Minimoys) ou Galadriel (Le Seigneur des Anneaux).
Ainsi, en termes de protagonistes, il vaut mieux privilégier des prénoms d’une longueur maximum de trois syllabes. Pour les antagonistes, on peut se permettre un peu plus de complexité – si cela correspond au caractère du personnage, bien entendu !
La quête, le don, le choix d’un nom peuvent même faire partie de – voire être – l’intrigue :
l’héroïne de Chien du Heaume (Justine Niogret) part à la recherche de son prénom : c’est sa quête,
Lyra offre un (sur)nom à une des créatures qu’elle rencontre au cours de ses pérégrinations – qui devient alors son amie (À la Croisée des Mondes, Philip Pullman) : c’est son don (double sens !),
et Rei décide quel nom (de famille) sera le sien (Star Wars, épisode IX : L'Ascension de Skywalker) : c’est son choix.
Sans parler de l’importance des noms dans le folklore celtique (notamment) : il ne faut jamais donner son nom à unǝ fae, car c’est lui donner le contrôle sur soi !
Je pourrais encore écrire pendant des heures à propos des noms et de leur importance, rien qu’au sujet des personnages…
Sublimes compte des personnages dotés d’aptonymes et de contraptonymes ; le nom est une quête, un choix ou un don pour certains protagonistes ; j’ai utilisé des noms réels, des noms mythiques, des noms inventés… Et c’est souvent ces derniers qui me posent le plus de problèmes, comme quoi !
Ne souffle pas trop vite : la semaine prochaine, je poursuis avec le vaste sujet des noms et de leur attribution, cette fois au sujet des lieux, des objets, des rituels, des espèces animales et végétales… (Mmh, je sens qu’il me faudra plus d’un mail !)
Je rigole aussi beaucoup de ces listes d'aptonyme et encore plus des contra hihi
Tu as fait un super job dans Sublimes avec ces noms de perso. Pascal, notamment, je ne sais pas si j'ai bien interprété mais c'est à la fois tragique, sublime, et surtout ironicomique !
Ca m'avait pris deux trois pages pour calculer Tristan et Juliette, et là, facepalm tellement c'était évident et parfait eheh
J'essaie aussi d'aptonymiser mes personnages, mais alors ils se retrouvent avec des prénoms bizarres... le frère d'Opale s'appelle Diaphane, et c'est tout un programme. Ce prénom n'existe pas (encore) à ma connaissance mais je le trouve très beau, et j'espère bien le mettre au goût du jour !