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Au moment où vous recevez ce mail, je suis au Japon, pour la première fois depuis 8 ans.
Il faut savoir que j’ai découvert très tôt la culture nippone, par des amiəs et collègues japonaisəs de mes parents. Grâce à elleux, j’ai découvert Mon Voisin Totoro du Studio Ghibli quand j’étais petite, film que j’ai clairement regardé des centaines de fois.
Mon intérêt pour le Japon et sa culture n’a cessé de croître jusqu’à devenir ce qu’on appelle dans le jargon autistique un intérêt spécifique. J’adorais les films du Studio Ghibli, passais ma vie dans le rayon mangas de la Fnac, me plongeais avec bonheur dans la mythologie et les bestiaires japonais – et bien évidemment, j’ai voulu apprendre le japonais.
Bon, ça n’a pas fonctionné comme prévu, si bien que la première fois que je suis partie au Japon, en 2011, quelques mois après le tsunami, je connaissais en tout et pour tout, trois phrases en japonais :
« Bonjour, je m’appelle Emma. » (Konnichiwa, watashi no namae wa Emma desu.)
« Où est l’arrêt de bus ? » (Basu-te wa doko desuka ?)
« Est-ce que je peux prendre une photo ? » (Shashin wo tottemo iidesuka ?)
J’avais 18 ans et c’était mon premier voyage toute seule – toute proportions gardées, puisque je me faisais héberger par des amiəs de mes parents pendant mes plus longues étapes à Kyoto et Tokyo.
Cependant, comme j’étais motivée et que j’avais tout planifié au cordeau, je passais ma première semaine toute seule en exploration, à Hiroshima, Miyajima et Nagasaki. Je crois que j’avais besoin de me confronter à l’horreur, comme l’année précédente en voyage de classe, quand on avait vu les tranchées de Verdun et les mémoriaux des camps d’extermination.
L’incompréhension la plus totale.
Et ce n’est pas la visite du Mémorial de Hiroshima qui m’a permis de comprendre.
En revanche, ce que j’ai compris, c’est qu’essayer de communiquer, c’est déjà énorme.
Imaginez-vous Emma, tout juste adulte, qui débarque à Nagasaki après des heures et des heures de Shinkansen (le TGV japonais). On est début juillet, c’est encore la saison des pluies. Il ne fait pas froid, plutôt l’inverse, mais il pleut des cordes. Sans interruption.
Je suis à la gare de Nagasaki avec ma valise, mon parapluie sur le point de rendre l’âme, un vieux téléphone tout pourri et l’adresse d’une auberge de jeunesse traditionnelle. Elle est censée ne pas être très loin de la gare. Très bien.
Est-ce que vous avez déjà essayé de vous repérer dans une ville inconnue, où la plupart des indications sont écrites dans des caractères que vous ne maîtrisez pas, alors que vous êtes déjà dans un état de fatigue avancée… et surtout que vous détestez être mouillée ?
J’étais paumée. Totalement, désespérément paumée. Je me suis éloignée de la gare, je l’ai perdue, je n’avais plus de points de repères, le GPS ne marchait pas. Personne dans la rue, évidemment, parce qu’on reste chez soi quand il pleut des cordes, enfin !
Je finis par trouver une espèce de tout petit bar-café ouvert. J’entre, toute dégoulinante des pieds à la tête, je dis « bonjour » en japonais et j’enchaîne avec « I’m lost » (« je suis perdue », en anglais).
Les propriétaires du lieu réagissent au quart de tour : la dame derrière le bar m’offre un Coca (elle refuse avec insistance quand je propose de la payer) et le monsieur disparaît en arrière-salle pour revenir avec une serviette Nike qu’il me donne pour que je me sèche les cheveux. On n’a pas échangé trois mots pour l’instant.
Une fois que l’hypoglycémie est enrayée et que je suis un peu moins humide, j’essaie de leur exposer mon problème. Je commence donc par me présenter : « watashi no namae wa Emma desu ».
Et là, la dame s’exclame « jôzu ! », « que tu parles bien japonais ! ».
Je ne pouvais pas croire qu’elle se moquait de moi, il y avait trop de bienveillance dans sa personne. Alors me flattait-elle ? Ou était-elle vraiment impressionnée qu’une Européenne connaisse une phrase en japonais ?
En mimes, bribes de japonais et balbutiements d’anglais, j’arrive à leur exposer mon problème et à leur montrer sur mon plan où est l’auberge de jeunesse que je cherche. On me fait attendre la fin de l’averse, puis le monsieur m’accompagne jusqu’à l’auberge. Et, non seulement il refuse que je lui rende sa serviette Nike (je l’ai donc toujours, 12 ans plus tard), mais en plus il me fait passer par une galerie couverte où a lieu le marché aux poissons, pour me faire découvrir sa ville par la même occasion.
Je serais incapable de retrouver ces deux personnes, encore moins de les reconnaître (je ne suis pas physionomiste pour 2 sous), mais elles se sont installées dans ma mémoire et mon cœur pour toujours.
La dame et le monsieur de Nagasaki qui m’ont sauvée de la pluie et menée à bon port.
À l’auberge de jeunesse, j’ai rencontré une jeune fille anglaise de mon âge, qui se rendait aussi à Hiroshima, puis à Tokyo, donc on s’est revues deux fois pendant le séjour, on a visité un peu ensemble – et on ne s’est jamais reparlé depuis. Les aléas des rencontres en voyage.
Une fois, je me suis endormie dans le train et quand je me suis réveillée, j’avais loupé ma station... et de loin. Deux salarymen1 adorables m’ont aidée à m’orienter, moitié en japonais, moitié en anglais.
Étourdie par les carrefours de Shibuya à Tokyo, j’ai accosté deux étudiantes pour leur demander la route. Elles m’ont dit « on y va ensemble » et m’ont amenée jusqu’à la boutique que je cherchais, sans même hésiter une seconde.
À chaque fois, je bafouillais trois mots en japonais et j’obtenais plus de grâce et de générosité que j’aurais pu en espérer.
Après une première expérience pareille, vous vous doutez que mon amour du Japon n’a pu que croître. Quelques années plus tard, j’y retournais, cette fois pour une année entière, en tant que jeune fille au pair…
Et aujourd’hui, pour la troisième fois, avec mon amoureux et ses parents, je foule à nouveau la terre insulaire, pour revoir des lieux que j’ai déjà adorés et en découvrir de nouveaux !
Les salarymen sont des hommes qui travaillent dans des bureaux et portent donc un costume. Le terme pour les femmes qui travaillent en bureau et portent le tailleur est office lady. Oui, le sexisme est encore bien présent au Japon aussi.
Je te souhaite un très beau séjour au Japon. Tu devrais voir quelques cerisiers en 🌸 à cette saison ?