Est-ce que tu entends des voix (quand tu lis) ?
L’écriture inclusive dans un roman – Partie 3 : L’inclusif à l’oral et à l’écrit
Est-ce que tu es prête (accord de sens !) pour la suite de mon épopée inclusive ?
Alors c’est parti !
Petit récap
Pour rappel, j’ai évoqué la féminisation de la langue avec les suffixes — euse et — trice, les accords de sens et de proximité, ainsi que le point médian. J’ai poursuivi avec l’évocation du terme de matrimoine, puis j’ai embrayé sur la neutralisation du français, avec les pronoms neutres qui ont émergé (iel, im, ol…) et l’ajout du « x » dans les accords inclusifs : — eur•xices.
Je poursuis aujourd’hui avec un peu de mise en pratique : je vais vous parler de mes interrogations et de mes tâtonnements concernant l’application de ces diverses méthodes dans le cadre d’un roman de science-fiction / fantasy. (Franchement, j’ai l’impression d’avoir écrit une introduction de dissertation… Accroche-toi, je t’assure que ça va être plus drôle que ça !)
Pluralité de l’individuel
Une certitude s’est vite imposée : je ne peux pas utiliser le point médian pour parler de mes personnages à genre fluide et agenre. La concaténation avec le point médian donnerait l’impression que le personnage est pluriel – du moins à mes yeux. Tu ne trouves pas ?
Iel se sentait fatigué•e.
Trop bizarre, non ?
Dans son article « Le langage neutre en français : pronoms et accords à l’écrit et à l’oral », Alex Benjamin propose deux types d’accord si l’on souhaite éviter le point médian : le « t » ou l’absence de suffixe. D’autres proposent d’utiliser le « x ». Ce qui donnerait :
Iel se sentait fatiguet ou fatiguex.
Ou :
Iel est amoureu.
Impossible d’accorder « fatigué » sans suffixe : on aurait alors fatigu, ce qui devient illisible. À l’inverse, pour des mots qui s’achèvent par un « x » au masculin, on se retrouve à nouveau coincé avec la solution du « x » final. Quant au « t », j’avoue qu’il ne me plaît pas vraiment. Et puis, je prononce fatiguet différemment que fatigué•e…
Ce qui m’amène à un point passionnant et qui peut avoir une importance très différente en fonction des lecteur•xices :
La voix de la lecture
« Hein ? Mais de quoi tu parles ? »
Oui, la licence poétique a encore pris le dessus !
Quand je parle de « voix de la lecture », je pense à la voix que tu entends dans ta tête quand tu lis. C’est un thème auquel je réfléchis depuis longtemps, et qui a été évoqué il y a peu dans le groupe WhatsApp des abonnés Premium de l’Atelier Galita.
Lorsque tu lis, est-ce que tu entends une (ou plusieurs) voix ? Il y a des personnes qui « entendent » des voix différentes en fonction du type de texte, d’autres en fonction des locuteur•xrices. Certaines n’entendent qu’une seule voix, d’autres pas du tout. Je suis de ces dernières, comme l’une de mes lectrices (coucou Héloïse), qui avait justement décrit son processus lors de la conversation suscitée.
Je me suis aperçue que c’est à cause de cette absence de voix que j’ai eu autant de mal avec les livres audio et les podcasts. C’est aussi ce manque qui a donné lieu à des prononciations très farfelues la première fois que j’ai dû utiliser des mots à haute voix.
(Savais-tu qu’il fallait prononcer le « u » de arguer ?) (Arguer, ça veut dire tirer conséquence de quelque chose, au fait.)
« Quel rapport avec l’écriture inclusive ? »
J’y viens, j’y viens ! J’ai juste besoin de faire une mise en pratique !
Quand tu lis dans ta tête « les lecteur•xices », est-ce que ta voix intérieure dit « les lecteurksisses » ? Ou bien « les lecteurs et lectrices » ? Ou bien, comme moi, vois-tu le point médian, et comprends-tu sans avoir besoin de le prononcer intérieurement, qu’il s’agit ici de personnes qui lisent, peu importe leur genre ?
Quand tu lis dans ta tête « iel est fatigué•e », est-ce que ta voix intérieure dit « yelle est fatigué-euh » ? Ou bien comprends-tu sans le prononcer qu’il s’agit d’un accord inclusif pour indiquer la fluidité, la non-binarité ou l’ignorance du genre de la personne évoquée ?
De l’écrit à l’oral
Il y a un monde entre l’inclusivité à l’écrit et à l’oral : même les propositions d’Alex Benjamin ne s’entendent pas toutes à l’oral. Il a d’ailleurs fait une infographie pour lister quelques possibilités :
Certaines formulations sont plus simples à l’oral qu’à l’écrit, par exemple : aimé•e se prononce pareil au masculin, féminin et neutre, de même que les adjectifs épicènes (par définition). Les périphrases se prêtent davantage au langage parlé ; il est déjà suffisamment difficile de faire de jolies formulations dans un roman pour qu’en plus je m’impose des périphrases à tous les coins de paragraphes… (Tu imagines le travail ? Et la lourdeur du style ? Mon dieu, j’en fais déjà des cauchemars !)
Je retiens les néologismes proposés : j’aime bien bel (qui n’est pas vraiment un néologisme, puisqu’on parle volontiers d’un bel homme), heureuxe – et pour freure, on a vu qu’adelphe existe déjà (et sonne bien mieux).
« Tu digresses ! »
Oui, pardon. Je reviens à mes moutons. Tout ce que je viens de retracer me servait en fin de compte à montrer qu’il y a deux branches de l’inclusivité : celle de l’oralité et celle de l’écriture - le but étant qu’on entende l’inclusivité à l’oral. À moins que ma trilogie ne soit adaptée très vite en livre audio, je peux me permettre de me concentrer avant tout sur l’aspect écrit de l’inclusivité.
Mon inclusivité
On entre dans le domaine de mes choix très personnels : aucun dogme ne doit être tiré de mes décisions, il ne s’agit que d’un choix qui m’est propre, parce que je le trouve plaisant visuellement.
Je te fais patienter avant de te révéler l’option que j’ai sélectionnée, pour te montrer un post Instagram qui a influé sur ma décision (merci Elise) :
Je suis tombée amoureuse de ce magnifique caractère typographique, inspiré par le workshop Bye Bye Binary – je t’invite à consulter le fanzine en libre accès, l’inventivité des participant•xes est si belle à voir !
Seulement, je ne pouvais pas utiliser ce caractère, pour diverses raisons, la première étant que… je n’ai pas réussi à le trouver ! Et puis aussi, les questions de droit d’auteur, de types de polices d’écriture à privilégier, d’accessibilité…
Mais je m’en suis inspirée pour ma décision finale… dont je ne te parlerai pas cette semaine !
« Quoi ? Tu oses ce cliffhanger honteux ? »
… Oui. Ce mail est déjà bien long, je fais ça pour t’épargner ! Tu sauras tout mercredi prochain, où je te présenterai enfin mes choix typographiques, grammaticaux, syntaxiques dans une conclusion à cette épopée inclusive.
Mais comme je ne suis pas si méchante, je te donne un indice. Ma décision s’est portée sur une lettre que j’aime beaucoup. Je te laisse deviner de laquelle il s’agit au travers de cette petite ode en son honneur :
À la lettre la plus utilisée de la langue française,
À la première lettre de mon prénom (c’est important),
À la lettre qui disparut,
À la lettre qui change tout – ou qu’on n’entend même pas,
À la lettre qui peut porter tous les accents (et qui peut même faire des visages : é__è, ê___ê, è__é)
…
Ah, zut, j’ai voulu illustrer, j’ai donné la réponse dans la question.
Je te laisse donc ruminer les possibilités du « e » jusqu’à la semaine prochaine !
hihihi merci c'est une super lecture encore !!!
(je valide tellement pas freure)