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Je n’en ai pas fini avec les noms.
Comment ça, « encore » ?
Eh bien, oui, encore. De quels types de noms pourrais-je encore parler, puisque j’ai évoqué les prénoms, patronymes ou matronymes des protagonistes, les toponymies dans leur grande variété… Que reste-t-il ?
Si je te dis « tout le reste », je sais que tu vas hausser les sourcils, donc je vais préciser. Mais c’est juste pour te faire plaisir. Allez, peut-être que tu vas deviner avec mon indice : on a parlé de qui et d’où ; que manque-t-il ?
Tout à fait : le quoi.
(Et, oui, tu m’ôtes les mots de la bouche : il y aura aussi le quand. Un de mes éléments préférés, en passant.)
Je me situe toujours dans la création d’un monde fantasy et/ou science-fiction. Et que trouve-t-on dans ce type d’univers… que je n’ai pas encore évoqué ?
Des espèces animales, végétales, minérales non-terrestres. Ou extraterrestres, c’est selon.
(J’ai envie d’appeler ça la bionymie ( « étude des noms du vivant »), mais on me chuchote qu’existe déjà la taxonomie - et qu’en plus bionymie ne s’applique pas bien, puisque je parlais aussi du règne minéral. Tant pis ! Je fais ce que je veux !)
C’est d’ailleurs la pierre angulaire de nombreuses épopées fantasy : les humains ne sont qu’une des espèces « intelligentes » de ces mondes (entre guillemets parce que les animaux non-humains sont également intelligents). Nombre de ces peuplades sont inspirées du folklore ; elles ont été ancrées dans l’imaginaire fantasy grâce à Tolkien (entre autres) : les elfes, les nains et les dragons en sont les exemples les plus parlants.
Cependant, ces peuples et leurs représentations sont le fruit de leur époque. Elles commencent à être bien connues, exploitées et surexploitées par toustes les auteurices qui ont composé leurs œuvres dans la continuité de celle de Tolkien.
La science-fiction, elle, s’est démarquée par l’invention d’humanoïdes (ou pas) extraterrestres d’une très grande variété (je pense par exemple à l’univers étendu de Star Wars que je connais un peu, mais je ne doute pas de l’inventivité mise au service de séries comme Star Trek ou Doctor Who).
C’est aussi par la science-fiction que certaines remises en question des notions de genre ont pu être explorées, notamment dans les œuvres d’Octavia E. Butler (Dawn et Imago) – même si les êtres hors de la binarité du genre qu’elle dépeint se voient affublées du pronom « it », qui se traduit par « ça », et contribue donc à leur déshumanisation.
(Bon, stricto sensu, iels ne sont pas humainǝs, mais tu as compris ce que je voulais dire.)
Pour ce qui est de ce mail, je vais davantage me pencher sur l’aspect fantasy que sur l’aspect extraterrestre des espèces à créer – et nommer. En effet, le côté sf de ma trilogie n’exploite pas les voyages intergalactiques en vaisseaux spatiaux. Ce sera pour une future épopée !
Je voulais aborder ce sujet en deux parties : d’une part, les éventuelles autres espèces au type d’intelligence comparable à celui des humains (que j’appellerai « espèces intelligentes » ou « non-humains »), d’autre part, la faune, la flore, le règne minéral… Bref, tout ce qui fait la biodiversité.
Cependant, encore une fois, j’ai sous-estimé la longueur de mon sujet. Je parlerai donc de ce second volet de bionymie dans un futur mail.
(Petit avertissement : je danse sur la fine ligne du divulgâchis dans les paragraphes qui viennent. Afin de ne rien révéler de trop « compromettant », j’ai glissé quelques mensonges dans mes vérités. Cela me permet de t’expliquer ce dont je veux te parler sans risquer de spoiler ma trilogie.)
N’oublie pas : je ne parle ici que des noms que je donne à ces espèces et non pas de leur processus de création… sinon ce mail n’en finira jamais.
Parmi les six espèces non-humaines que j’ai créées pour Sublimes, les noms ont surgi à divers moment de leur création. Pour l’une d’entre elles, le nom est arrivé en même temps que les caractéristiques (mais d’un autre côté, il s’agissait presque du pitch de départ), tandis que les autres ont d’abord été élaborées avant d’être nommées. Rien ne t’empêche pour autant de trouver d’abord le nom puis de développer l’espèce par la suite !
Sur les six noms, trois sont issus de la mythologie grecque, deux sont des néologismes et le dernier est un adjectif substantivé, c’est-à-dire un adjectif transformé en nom.
Par exemple, « délicat » est un adjectif : on dit « une chose délicate ». Eh bien, si je substantive « délicat », j’en fais un nom : je peux désormais dire « un délicat » ou « une délicate » pour décrire un membre du peuple des Délicats.
(Oui, j’en fais partie.)
Dans Sublimes cependant, on ne côtoie qu’une seule de ces espèces non-humaines ; les autres ont été crées dans le cadre de ma recherche d’exhaustivité cosmogonique. En effet, elles ont une importance historique, mais plus aucunǝ représentantǝ de celles-ci ne vit encore au moment de l’intrigue.
Cette précision me permet de t’expliquer mes choix de nomination. Si j’ai sélectionné des noms issus de la mythologie grecque pour des peuples devenus eux-mêmes mythiques dans leur propre monde, c’est afin de permettre aux lecteurices de partager la même distance historique et ésotérique que ressentent mes protagonistes vis-à-vis de ces peuplades.
Cela participe également à une représentation facilitée : si je parle d’un cyclope, tu imagines un géant doté d’un seul œil. Tu as donc déjà un point de départ pour visualiser et imaginer cet individu, quitte à y greffer les informations que tu obtiens par la suite : dans cet univers, la couleur des iris des cyclopes a une importance sociale, leurs cycles sont influencés par la lune et ils ne consomment pas de viande.
Je reste ainsi dans la lignée de Tolkien, qui s’inspirait du folklore celte et européen pour ses elfes, ses nains et même ses hobbits.
Les espèces dont les noms sont inventés se situent davantage du côté science-fiction de ma création, d’où mon besoin de créer de nouvelles sonorités. Peu de réflexion étymologique pour le premier (qui n’est d’ailleurs pas inédit, je viens de découvrir qu’un court-métrage porte le même nom), davantage de vigilance sur la connotation euphonique : la sonorité du nom devrait évoquer quelque chose d’assez spécifique dans l’imaginaire d’unǝ lectricǝ francophone. Le second nom, lui, a plus ou moins été développé en reflet du premier.
Quant à l’adjectif substantivé, c’est le nom qui revient le plus dans la trilogie. Il m’est venu en même temps que le pitch et sa préexistence dans la langue française le rend plus facile à intégrer – et caractérise avec justesse l’espèce qu’il désigne.
Comme pour les noms des personnages, les noms des espèces non-humaines servent à les caractériser.
Comme pour les noms de lieux, ils peuvent être descriptifs ou symboliques.
Comme pour tout choix de nom en fantasy et science-fiction, les néologismes (néonymismes ?) gagnent à être brefs, prononçables – et si possible à avoir une connotation phonique, qui permet tout de suite, avant la moindre description, de se faire une idée du type de peuplade.
(Et, oui, on peut tout à fait jouer avec des contraptonymes pour induire les personnages ou les lectricǝs en erreur, à condition que cela serve un but.)