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Dans la communauté écrivante, on parle d’architectes et de jardinièrəs, deux types d’autricəs : dans le premier cas, on construit tout à l’avance puis on rédige, dans le second, on se lance sans trop savoir où l’on va.
Moi, je me considère aujourd’hui comme une paysagiste, quelque part entre les deux.
Je sais à quoi je veux que mon terrain ressemble : là des fleurs, ici un verger, là-bas des plantes carnivores, près de l’étang un immense saule pleureur. J’ai partitionné le champ en parcelles. Mais dans mes sacs de graines, je ne sais pas exactement quelles variétés se cachent. Je ne peux pas anticiper comment pousseront les plantes, à quel moment elles s’épanouiront, lesquelles auront besoin d’engrais, lesquelles devront être taillées pour ne pas éclipser les autres.
Je plante mes graines, là où je sais qu’elles rendront mon jardin plus harmonieux, de sorte à ce que la promenade soit la plus intéressante possible. Quiconque y flânera découvrira des recoins calmes, dont les senteurs embaument et invitent à la détente. Quelques pas plus loin, cependant, il faudra prendre garde à ne pas s’enfoncer dans le marais, éviter les lianes vivantes, sauter par-dessus la crevasse. On pourra s’allonger un instant à l’ombre des arbres fruitiers, en déguster les offrandes juteuses et parfumées, sans croquer le cœur au risque de s’y briser les dents.
Je plante mes graines, et j’attends qu’elles poussent. Tous les jours, je passe dans le jardin, j’arpente une allée ou l’autre, j’arrose là où ça me semble sec, j’encourage les pousses timides, je coupe les herbes trop envahissantes. J’harmonise, j’élague, j’ajoute une graine ou deux là où rien n’a pris. Parfois, je transplante, si la fleur qui éclot ici me paraît sur un terrain trop stérile pour elle.
Je plante mes graines, là où je veux qu’elles poussent, et j’attends de voir ce qu’elles donnent. Je sais qu’elles doivent croître ici, parce que je visualise déjà mon jardin, mais je ne peux pas tout anticiper : une plante vit… et toute une cascade de paramètres influent sur son développement.
Je plante.
Auparavant, je rédigeais des fiches de personnage précises avant la rédaction. Pour le deuxième tome de Sublimes, je n’ai pas procédé de cette façon.
« Je pense le personnage en tant que mouvement. Je commence à l’animer avant de le dessiner », m’a un jour dit mon ami Eli.
Cette phrase m’est longtemps restée en tête. Je me disais que je n’arriverais pas à créer de cette façon.
Je me trompais.
Parmi les six personnages narrateurs de ce début de roman, trois d’entre eux existaient dans l’ancienne version. Deux d’entre eux n’ont que peu évolué, le troisième un peu plus, sans changer drastiquement.
Les trois nouveaux personnages sont nés sur la page.
Je savais quel rôle ils avaient dans l’intrigue, quelle était leur fonction narrative, leur métier dans l’histoire, ce que leur récit ajoutait à la trame. Je ne savais pas qui ils étaient : ni leur nom, ni leur âge, et encore moins leur caractère.
Ils se sont développés sous mes doigts, ils ont embrassé ce que je leur demandais, et ils se sont construits autour. Ils ont poussé, ont fleuri, m’ont révélé des pétales plus chatoyants que jamais, des pics sur leur tige, du poison dans leur suc.
Je me suis laissée surprendre par mes personnages et ils se sont fait une place dans mon histoire et dans mon cœur. Ils ont pris des décisions que je n’anticipais pas. Ils se sont enfantés sur la page.
J’enfante.
Pourtant, j’ai des plans, une Encyclopédie Secrète, des fiches dans tous les sens.
C’est une structure, un tuteur, la portée sur laquelle s’égrènent les notes. C’est le cadre, à l’intérieur duquel se peint le paysage, tout seul, en coups de pinceau, en nuances et en épaisseurs. C’est un monde dont je connais les règles, mais pas mes personnages, qui en font l’expérience, en mal ou en bien, qui résistent, qui courbent l’échine ou qui les utilisent à leur avantage.
Je laisse couler les mots, ceux du cadre et ceux de leurs pensées, ceux des déterminations et ceux de leur détermination. Je module les termes, je caractérise à travers le champ lexical, je raconte leurs pensées et j’entends leurs paroles.
Je construis mon histoire autant qu’elle me construit. J’aligne les mots, tant bien que mal.
Dès le premier mot, je me dirige vers la fin.
J’emmène mes personnages – ou bien mes personnages m’emmènent avec eux. Je raconte une histoire, avec, en, pour eux. Et pour vous.
J’écris.
PS : J’ai fini le NaNoWriMo !
Magnifique texte oh la la la la la ❤️🌱
Ah oui mais c'est tellement parlant !
J'adore ton image de la paysagiste 🤗
Et bravo pour le NaNoWriMo 👍🏻👍🏻