La musique est dans le silence
Encore un parallèle entre musique et écriture (c'est fou !)
Temps de lecture : 3 minutes
Pour cielles qui ne le savent pas, je suis actuellement en plein travail éditorial sur le premier tome de ma trilogie science-fiction Sublimes, avec mon super éditeur Léo.
Ce dernier m’a signalé un certain nombre d’éléments à reprendre pour améliorer le texte et proposer une expérience de lecture plus immersive.
Un des défauts qu’il a relevés est ma tendance à surexpliquer.
J’ai toujours besoin de dire une même choses plusieurs fois, avec plusieurs formulations, pour être absolument certaine que mon lectorat a compris où je voulais en venir. Oh, je suis tout à capable de varier le vocabulaire, la construction, l’angle d’approche pour définir le même élément, présenter la même situation…
Il n’en reste pas moins que l’ensemble est plus que redondant…
Cette tendance à la répétition rend le texte lourd, peut donner l’impression que je prends mon lectorat un peu trop par la main… et ralentit l’action. Bref, tout ce qu’on veut éviter !
Lorsqu’il s’agit d’un paragraphe, d’un court passage dans le texte, ce n’est pas grave : je choisis la meilleure formulation et je supprime la ou les autres.
Sauf que je pousse parfois le zèle à… raconter la même scène du point de vue de plusieurs personnages, en partie parce que la subjectivité me fascine et que j’adore explorer les différentes façons d’appréhender et de vivre une même situation.
Il s’agit d’un ressort narratif intéressant et qui peut se montrer très utile dans certaines situations. Mais pas dans toutes. Au contraire, si je m’en sers trop souvent, ce ressort se rouille et perdra de l’impact dans les moments où il se justifie.
Là, les coupes se font plus drastiques : un bout de chapitre ou un chapitre entier disparaissent.
Pourtant, en effectuant ce travail, je me suis rendue compte de l’importance du silence.
En musique, les silences sont primordiaux. Les soupirs et les pauses sont essentiels pour créer du rythme, de la tension et de l'émotion. Une pause, un point d’orgue ou même une répétition bouclée – en attendant que le beat droppe, c’est-à-dire que l’impulsion rythmique (re)prenne : c’est ce qui fait la musique.
Le silence dans la musique est aussi important que les notes elles-mêmes, car il permet de créer un équilibre et une profondeur sonore.
Tous mes professeurs de musique me l’ont répété : il faut soigner ses silences autant que ses notes, car sans les silences, la musique s’étouffe. Elle a besoin d’air, comme une flamme, pour s’exprimer.
Je relis en ce moment A Song of Ice and Fire (Le Trône de Fer) de George R. R. Martin, une série de romans fantasy extrêmement riche en enseignements. En parallèle, j’écoute également de nombreux podcasts et vidéos analytiques des romans (et de la série TV), car relire les livres et les analyser en même temps me sert dans mon développement d’autrice.
George R. R. Martin est un roi du silence.
Il nous fait bondir de point de vue en point de vue, tait des événements, en dévoile d’autres à demi-mot, nous montre un des personnages narrateurs dans le point de vue d’un autre… mais ne nous donne jamais autre chose que ce qu’a vu ce second personnage des réactions du premier.
Bref, il sait à quel point le silence est important dans la musique, il sait à quel point il faut parfois se taire pour que l’histoire s’élève.
Ainsi, sans forcément nous y confronter tout de suite, George R. R. Martin dissimule certaines informations ou du moins ne les explicite pas, ellipse des passages qui deviendront pertinents bien plus tard et ménage des pauses dans la narration… ce qui la rend toujours plus haletante !
En laissant la possibilité aux lectricəs d’interpréter, d’user de leur imagination pour compléter les silences, on offre en tant qu’autricə une expérience de lecture plus profonde et personnelle.
Le silence offre aussi la liberté.
En y réfléchissant, ce sont ces livres, ceux qui donnent de nombreuses informations – mais pas toutes –, ceux qui savent se taire pour me laisser imaginer, ceux qui me laissent penser entre les lignes… ce sont ces livres que j’ai préférés.
Alors, c’est à moi d’apprendre à faire confiance à mon lectorat, à admettre qu’il saura deviner ce que je ne dis pas… à condition que je donne tout de même un minimum d’informations.
Oui, parce que comme j’adore faire le grand écart entre les extrêmes, j’ai aussi tendance à faire sérieusement de la rétention d’informations parce que j’ai trop peur d’en dire trop, trop tôt. L’écriture, c’est de l’équilibrisme…
Je sens que j’évolue et que je m’améliore. Maintenant je sais que j’ai besoin de donner le rythme et la tonalité… mais que le silence est nécessaire pour embrasser l’ensemble.
article très interessant ! tu peux en faire d'autres sur le travail editorial si tu veux ! j'adore lire (et apprendre) le processus d'écriture, merci !
J'ai adoré ton article. Fun fact: quand j'étais jeune j'étais plutôt doué en musique mais je butais sur exactement ce problème. Les soupirs étaient transformer par mon impatience en demi soupirs, et mes profs en poussaient des gros