L'art de s'excuser
Un petit mode d'emploi pour s'excuser quand il faut, comme il faut (à ma sauce)
Temps de lecture : 7 minutes
Qui ne s’est pas déjà retrouvé dans la situation délicate de devoir admettre ses torts auprès d’une personne ? (Spoiler alert : personne.)
Eh oui, l’erreur est humaine, on est toustes faillibles et parfois, malgré nos meilleurs efforts, on fait des gaffes, on blesse quelqu’un, on dit quelque chose qui a dépassé notre pensée.
J’ai passé beaucoup de ma vie à m’excuser pour tout et pour rien, ce qui avait le double effet de me diminuer (notamment dans ma perception de moi-même) et de diminuer la valeur de mes excuses.
Alors je me suis dit qu’un petit tuto pour bien s’excuser, ça pourrait être utile ! Attention, tout ce que je dis ci-dessous n’est que tiré de mon expérience personnelle : peut-être que ça pourra vous être utile, peut-être que non.
Petit aparté étymologique, parce qu’on ne me changera pas : longtemps, j’ai trouvé que « s’excuser » était un terme problématique, parce qu’il renvoyait directement à la personne elle-même. En s’excusant, on pourrait s’absoudre soi-même.
« Excuser » est l’antonyme de « accuser » et vient du latin « excuso », composé du préfixe « ex » (qui marque la séparation, dans ce cas) et de « causa », la cause. L’excuse est donc ce qui met hors de cause, ce qui disculpe.
Or, pour moi, de bonnes excuses, ce sont celles qui reconnaissent qu’on a commis un tort : tout l’inverse de se mettre hors de cause ! C’est pourquoi je préférais « demander pardon ». Et pourtant, même « demander pardon » a ses propres limites, puisqu’on se place alors dans une situation très chrétienne, où le pardon demandé a pour vocation de donner l’absolution.
Je préfère donc une troisième formulation… qui a cependant ses propres subtilités !
Car s’excuser correctement, c’est tout un art…
Index de l’article
1 - Arrêter de s’excuser tout le temps pour tout et pour rien
2 - S’excuser correctement
Arrêter de s’excuser tout le temps pour tout et pour rien
Peut-être êtes-vous comme moi et avez-vous une tendance à lâcher une quantité aberrante de « désoléə » par jour. Il y a d’ailleurs statistiquement pas mal de chances que vous ayez été élevéə en tant que femme si c’est le cas.
Bon. S’excuser comme ça en permanence, pour tout et pour rien, parce qu’il pleut dehors, parce que Bidule s’est cogné le petit orteil, parce que vous étiez « dans le passage », parce que vous n’avez pas rendu votre dossier à la minute prévue, parce qu’unə amiə vous a dit de ne pas faire quelque chose (de façon bienveillante) et que vous le prenez comme un reproche…
Ce n’est pas très sain, puisqu’on taillade en permanence son estime de soi.
En vous excusant en permanence, vous vous rétrécissez. Vous essayez de gêner le moins possible, vous essayez de faire en sorte que votre existence ne soit pas un problème.
Je le redis pour les personnes au fond : vous avez le droit d’exister. En fait, mieux que ça : vous existez déjà, c’est comme ça, alors autant exister de la façon qui vous plaît ! Je sais, plus facile à dire qu’à faire (moi-même je sais 😭), mais ne vous inquiétez pas, j’ai un conseil pour ça.
Cessez de vous excuser tout le temps.
Oui, me direz-vous, vous avez déjà essayé, mais c’est un réflexe, il est très dur de s’en débarrasser. Et comment montrer qu’on a remarqué tel geste, tel effort, entendu telle remarque, si ce n’est en s’excusant ?
Facile : en remerciant.
Au lieu de dire « désoléə pour mon retard », dites « merci pour votre patience ».
La gratitude désactive tout un tas de mécanismes néfastes liés aux excuses incessantes.
D’une, vous cessez de vous mettre en situation de fautif·ve. Au lieu de porter l’erreur sur votre dos, vous donnez une marque de gratitude à l’autre. On élimine ainsi le négatif (la faute), pour faire briller du positif (la grâce de l’autre, la gratitude qui en découle).
On reconnaît l’effort de l’autre sans se diminuer.
De deux, vous cessez de forcer vos interlocuteur·ices au « c’est pas grave » un peu obligé. Cela fait partie du mécanisme du « je suis désoléə » que de chercher un réconfort auprès de l’autre personne. Or, ce fonctionnement est… un peu égoïste.
Admettons que votre « faute » ne soit vraiment pas grave : bon, la personne en face vous rassure, ça ne lui coûte pas grand-chose, au maximum un peu de lassitude. En revanche, si sur le coup, c’était un truc qui l’a agacée (un peu), vous faites peser sur elle le devoir de vous réconforter, alors qu’elle aurait toute légitimité à être de mauvais poil.
Alors que si vous la remerciez, vous ôtez la nécessité de vous rassurer. L’effort fourni ou l’agacement sera (ré)compensé.
Sans parler du fait qu’exprimer la gratitude est important pour l’équilibre mental de toute façon et que remplacer de l’auto-flagellation par une démarche de gratitude ne pourra que vous faire du bien.
Avec cette technique, j’ai réussi à réduire les deux tiers de mes « désoléə » – et je ne peux que vous encourager à essayer de remplacer les vôtres par des « merci ».
S’excuser correctement
La dernière conséquence de cette technique, c’est qu’en réduisant la quantité de vos excuses, vous donnerez davantage de valeur à celles que vous prononcerez encore.
Et des excuses ne servent à rien si elles n’ont pas de valeur, tant pour la personne qui les profère que pour celle qui les reçoit.
Accepter qu’on est en tort
Si vous avez fait une bêtise, si vous avez fait mal à quelqu’un, si vous avez oublié un événement, si vous avez raté quelque chose, si vous avez rompu une promesse…
Si vous avez dit quelque chose de raciste, sexiste, homophobe, transphobe, grossophobe, validiste, classiste…
… et qu’on vous l’a fait remarquer : il faut s’excuser.
Oui, même si vous « n’avez pas fait exprès ». Oui, même si « ce n’était pas votre intention de blesser ».
J’ai envie de dire : encore heureux ! Si, en plus, vous l’avez blesséə exprès, c’est en réalité, un tout autre problème…
Le fait est que vous avez blessé. C’est très dur de dire qu’on a été blessé, parce qu’on se met ainsi en position de vulnérabilité, qui est démultipliée quand on fait partie d’une minorité.
Vous vous rendez compte si quelqu’un qui a renversé un piéton en voiture disait « je n’ai pas fait exprès » et que ça réglait le problème ?
Non, si quelqu’un vous a dit que vous l’avez blessé, il faut commencer par accepter que c’est le cas.
Ne pas le mettre en doute. Ne pas retourner la situation. Se remettre en question. Éventuellement, demander des explications, en étant de bonne foi, mais surtout pas en conditionnant les excuses à ces explications.
Je dirais même qu’il vaut mieux s’excuser d’abord puis demander des explications supplémentaires, par exemple pour s’assurer de ne pas recommencer sans faire exprès. Parce que, comme je l’ai dit, que ce soit exprès ou non n’a pas d’importance. Et, pour le coup, c’est pire si on refait la même erreur blessante une seconde fois.
Bon, attention, tout ceci ne vaut que si la personne en face de vous n’est pas elle-même de mauvaise foi ou en train d’essayer de vous manipuler. Pour ça, je n’ai pas vraiment de conseils, je ne sais pas deviner les intentions des gens…
Aussi, admettre qu’on est en tort, qu’on a blessé quelqu’un, ce n’est pas quelque chose de facile. Parce qu’on a fait du mal à quelqu’un qu’on aime, parce qu’on a commis une erreur (nooon, mon perfectionnisme !), parce que ça nous met dans une position de « dette sociale », puisqu'on donne ainsi le droit à la personne de demander réparation… Ce n’est pas un exercice facile mais, appliqué avec des interlocutaires de bonne foi, c’est une bonne façon d’assainir les relations en évitant que les maladresses non-résolues ne s'accumulent.
Prononcer les excuses
Vous avez accepté que vous êtes en tort : vous avez blessé quelqu’un et cette personne vous l’a fait savoir.
Vous allez donc vous excuser, parce que vous ne voulez pas que ça s’envenime, parce que vous n’aimez pas être en tort, parce que vous tenez fort à cette personne et que ça vous fait du mal de l’avoir blessée, parce que c’est quelqu’un avec qui vous travaillez et qu’il vaut mieux que les tensions soient apaisées…
Mille raisons, une façon de faire.
(Bon, c’était pour la punchline, je pense qu’il y a d’autres façons de faire, je vous donne juste ma version.)
Évitez de dire « je m’excuse ».
En utilisant cette forme pronominale, vous vous donnez le pouvoir de vous disculper vous-même. La pire itération de cette formule étant : « je m’en excuse ». Vous pourriez tout aussi bien dire « je m’en lave les mains ».
(J’exagère. Et je suis autiste, donc très littéralə.)
Bannissez l’hypothétique. Il n’y a rien de pire qu’un « si » dans une excuse.
« Je suis désoléə si je t’ai fait mal… »
Le mal a été fait. La personne vous a dit que vous lui avez fait mal. Avec un « si » vous remettez déjà sa parole en doute, vous minimisez la blessure. Bref, vous annihilez toute valeur que pourrait avoir votre excuse.
« Je suis désoléə de t’avoir fait mal. »
Voilà une excuse correcte.
Chassez toute tentation de remettre tout ou partie de la faute sur l’autre.
« Je suis désoléə que tu aies été blesséə. »
« Je suis désoléə que ça t’ait vexéə. »
Là, vous êtes en train de dire que la personne en face est en tort, que c’est sa faute si vous l’avez blesséə, parce que bon, si elle avait été moins sensible, on n’en serait pas là. Encore une fois, vous venez de laisser partir en fumée la moindre étincelle de valeur de votre excuse.
Annihilez le moindre « mais ». Le « mais » est l’ennemi de l’excuse.
« Je suis désoléə de t’avoir fait mal, mais si tu n’avais pas été dans mes pattes, on n’en serait pas là. »
Et hop, encore une fois, par un habile tour de passe-passe, vous avez remis la faute sur la victime, tout en donnant l’impression de vous excuser. Ces excuses ne sont qu’une illusion, intangibles et sans goût.
Soyez sincère.
Même si vous n’avez pas compris en quoi vous avez blessé, excusez-vous honnêtement. Ensuite, vous pouvez demander en quoi vous avez blessé (sans remettre vos excuses en question) ou vous renseigner de votre côté s’il s’agit d’une oppression systémique.
Faites en sorte de ne pas recommencer.
La partie la plus difficile, mais il faut essayer. Vous vous tromperez forcément. Moi, clairement, je me suis trompéə à gogo.
Essayons de faire en sorte que ce ne soit pas par inconséquence ou par égoïsme. 🥰
PS : si quelqu’un vous a transféré ce mail, soit c’est parce qu’iel vous souhaite de réduire vos excuses incessantes, soit parce qu’iel attend des excuses de votre part. Ça, je ne peux pas le savoir à votre place ! Bon courage 😇 (et n’oubliez pas que la base de toute relation saine, c’est la com-mu-ni-ca-tion)
À la semaine prochaine 😘
Merci ! J'ai l'impression que ça a été écrit pour moi lol
Merci pour cette belle lettre inspirante, que j'ai transmise à des personnes que j'aime beaucoup 🩵