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Lorsque j’ai appris que les symptômes de la crise cardiaque n’étaient pas les mêmes chez les hommes cisgenres et les femmes cisgenres, j’ai halluciné. On sait toustes que l’infarctus du myocarde s’annonce par une douleur thoracique, milieu-gauche, qui « serre comme un étau » et irradie parfois dans le bras gauche jusqu’à contracter la mâchoire.
Vrai ? Oui… mais que pour les hommes cis.
Chez les femmes cis, la douleur thoracique est bien plus faible : près de la moitié des femmes ne ressentent pas de douleur, juste une gêne, une oppression thoracique… qui peut s’apparenter à de l’anxiété. D’autres symptômes de l’infarctus chez la femme cis sont un essoufflement (sur la durée notamment), une douleur plutôt dorsale, des palpitations, des altérations digestives (nausées, douleurs abdominales, troubles digestifs), une grande fatigue inhabituelle et des troubles du sommeil.
La méconnaissance des symptômes « féminins » se répercute sur leur prise en charge : chez les moins de 50 ans, les femmes cis meurent deux fois plus que les hommes des suites d’un infarctus.
Ces symptômes peuvent apparaître un mois avant l’infarctus et, s’ils étaient mieux connus, de nombreuses vies pourraient être sauvées.
Maintenant que j’en ai fini avec ce message d’intérêt général sur l’infarctus du myocarde « au féminin », ma transition est toute trouvée :
Peut-on considérer qu’il y a un autisme « au féminin » ?
Vous avez deux heures !
Ah, non, c’est moi qui donne le sujet, mais c’est aussi moi qui rédige le contenu, j’avais oublié.
Même si les stéréotypes et les clichés ont la vie dure, il existe des autistes de tous les genres possibles et non pas que des garçons fascinés par les trains ou des génies des maths incapables de comprendre les émotions (😡).
Nos spectres se recoupent pour former de superbes arc-en-ciels. 🌈
Cependant, il est vrai que l’on peut trouver des différences entre les manifestations de l’autisme chez les personnes assignées garçons à la naissance (AMAB, assigned male at birth) et les personnes assignées filles à la naissance (AFAB, assigned female at birth).
Comme pour l’infarctus, les études se sont d’abord penchées sur l’autisme « au masculin ».
Hans Asperger n’a étudié que des garçons et Léo Kanner n’a observé que 3 filles pour 8 garçons. Les caractéristiques « féminines » n’ont été appréhendées que bien plus tard, si bien qu’il existe encore une importante disparité de diagnostic entre les personnes autistes AMAB et AFAB.
Ainsi, de très nombreuses personnes assignées femmes n’obtiennent leur diagnostic d’autisme qu’à l’âge adulte, voire découvrent qu’elles sont autistes… parce qu’un ou plusieurs de leurs enfants sont en plein diagnostic et qu’elles notent les similitudes de comportement, de difficultés…
Les chiffres de différentes études montrent un diagnostic de 4 à 9 garçons pour 1 fille dans l’enfance… alors qu’à l’âge adulte, les chiffres feraient davantage état d’un ratio de deux personnes assignées femmes pour une personne assignée homme.
L’autisme étant un trouble neurodéveloppemental, il ne peut pas « surgir » à l’âge adulte, comme d’autres neuroatypies (dépression, trouble borderline…) : la disparité s’explique par des lacunes dans le processus diagnostic chez les enfants.
C’est-à-dire que toutes les femmes et personnes assignées femmes à la naissance qui n’obtiennent leur diagnostic qu’à l’âge adulte auraient pu l’obtenir dès l’enfance si les outils diagnostics et la reconnaissance des expressions de l’autisme « au féminin » avaient été mieux connus.
De fait, le « retard » de diagnostic chez les personnes AFAB peut découler de plusieurs causes : la principale est que beaucoup de spécialistes ont en tête les symptômes « masculins » de l’autisme, ce qui les empêche d’identifier le TSA si ses expressions sont un tant soit peu différentes de cette grille-là.
Par ailleurs, les outils de diagnostic utilisés pour identifier le TSA ne sont pas toujours adaptés pour les patientəs AFAB : l’ADOS, l’un des outils principaux, a un résultat souvent négatif lorsqu’il est réalisé sur des filles autistes.
Parfois, le symptôme est pris pour la maladie ou bien la comorbidité recouvre le trouble principal. En d’autres termes, les spécialistes (du moins, cielles qui ne s’y connaissent pas assez sur le TSA) ont tendance à reconnaître une dépression, une anxiété généralisée chez leurs patientes femmes cis et AFAB… et à s’arrêter là, sans envisager qu’il s’agisse de pathologies secondaires, derrière l’autisme.
Et, si le diagnostic n’est pas posé à un jeune âge, il devient de plus en plus difficile d’identifier le TSA depuis l’extérieur, car le masquage autistique peut devenir très efficace, d’autant plus chez les personnes assignées femmes à la naissance… et qui ont grandi assez longtemps avec cette assignation, c’est-à-dire dans le moule social d’une femme, avec toutes les attentes genrées qui en découlent.
Ainsi, les scientifiques s’interrogent en ce moment sur un phénotype varié entre les personnes autistes AFAB et AMAB.
Je ne peux pas me prononcer sur l’aspect génétique, mais mon avis c’est que les normes sociales jouent certainement sur les différences d’expression de l’autisme chez les personnes assignées filles ou garçons à la naissance.
Pour rappel, il y a deux (ou trois) grands axes symptomatiques dans le TSA : d’une part, des troubles de la communication et de la sociabilisation, d’autre part les intérêts restreints et répétitifs – et enfin, une sensorialité atypique.
Eh bien, les fillettes autistes étudiées démontrent une plus grande motivation sociale que les garçons et nouent plus facilement des amitiés qui ont l’air d’être traditionnelles.
Pourrait-ce être, par le plus grand des hasard, parce qu’on apprend aux petites filles dès leur plus jeune âge à être plaisantes, dans le soin et l’attention des autres, à ne pas faire des vagues ?
Ce n’est peut-être pas la seule explication, mais je doute que son incidence soit négligeable.
De même, les intérêts restreints et répétitifs des filles sont plus souvent sur des sujets « appropriés » : chevaux, animaux, poupées… La différence résidera dans la façon dont s’exprime leur intérêt. Plutôt que de jouer à faire des histoires avec leurs poupées, elles les habilleront, classeront leurs vêtements par couleur ou texture, et y passeront dans l’ensemble un temps largement supérieur que des filles allistes (non-autistes). Les garçons, eux, se concentreraient davantage sur des puzzles, des jeux plus individuels, moins sociaux.
Pour moi, il y a peu de chances que ce soit inscrit dans l’ADN : encore fois, on est plutôt sur un modèle social. Tout simplement, les loisirs proposés aux filles se prêtent plus facilement à devenir des intérêts restreints et répétitifs que ceux des garçons, dont les attentes genrées se basent sur une sociabilisation extravertie, souvent physique (ce qui peut entrer durement en contradiction avec les sensibilités sensorielles liées au TSA).
Bref, les personnes assignées femmes à la naissance apprennent plus tôt et plus intensément à cacher leurs différences, leurs spécificités, ce qui rend leur TSA de plus en plus difficile à repérer depuis l’extérieur… mais cause aussi des comorbidités importantes : dépression, anxiété, troubles de la personnalité… font partie des troubles qui peuvent apparaître en parallèle, notamment si / parce que le TSA n’a pas été diagnostiqué.
On se sent en décalage et on ne sait pas pourquoi, alors on essaie de compenser toujours plus, allant à l’encontre de notre fonctionnement, jusqu’à l’implosion, au burn-out, à la grave dépression…
Les filles autistes intériorisent leurs difficultés, sont souvent sages, timides, bonnes élèves à l’école, ce qui rend plus difficile l’identification de leur TSA par un corps enseignant qui ne connaît pas forcément les expressions « féminines » du TSA… voire pensent encore que l’autisme ne peut être que masculin.
Si le corps enseignant ne voit pas forcément la différence, les camarades de classes, elleux, le voient, je peux vous le garantir.
Une petite fille autiste sait qu’elle n’est pas comme les autres parce que les autres le lui font sentir, de toute une panoplie de façons. On apprend alors à compenser en s’inspirant des médias (livres, films, séries), en buvant en soirée (l’alcool peut agir comme anxiolytique) ou en imitant ses pairs (prendre les tics et expressions, gestuelles de l’entourage, par mimétisme).
De nombreuses femmes et personnes AFAB autistes subissent des abus sexuels, soit car elles pensent que c’était « ce qui était attendu » et qu’elles n’osaient pas refuser, soit parce qu’elles n’arrivaient pas à comprendre les signaux qui permettraient de déterminer quelle est la nature de la relation attendue par l’interlocuteur ou l’interlocutrice.
Apprendre à dire « non » est long et n’est pas naturel pour les personnes AFAB autistes. Cela ne vient souvent qu’après de mauvaises expériences sexuelles (qui peuvent être traumatisantes). Souvent, les femmes autistes se considèrent et sont considérées comme naïves ou crédules parce qu’elles ne décèlent pas les sous-entendus ou ne comprennent pas le second degré.
Je suppose que nous devons apprendre à mieux nous protéger dès notre plus jeune âge (par la prévention, l’information…), car il y aura toujours des personnes mal intentionnées qui voudront exploiter cette crédulité.
Avec Internet et la possibilité de se renseigner soi-même – ou de tomber sur des informations sans même les chercher – l’auto-diagnotic et le diagnostic tardif de personnes assignées femmes à la naissance se démocratise. Les spécialistes commencent également à se renseigner davantage sur les spécificités « féminines » de l’autisme.
Et cela ne m’étonnerait pas que la prise en compte des expressions « féminines » du TSA permette incidemment d’identifier le TSA chez des personnes assignées garçons à la naissance dont l’expression autistique divergerait de la norme attendue…
Il faut donc faire attention à ne pas créer une partition entre autisme « au masculin » et « au féminin ».
Au contraire, la prise en compte des expressions « féminines » devrait s’intégrer aux connaissances générales, sans prendre en compte le genre. On peut souligner la prévalence de certaines expressions en fonction du genre… mais pas s’y limiter : si une fille a un TSA « masculin », elle a quand même un TSA, et vice-versa.
Comme pour de nombreux combats féministes, une importance accrue donnée à l’aspect féminin sera aussi utile pour les hommes.
Sources:
Merci <3 c'est hyper intéressant et très vrai.
Je trouve souvent qu'il est difficile de decrire les personnes amab et afab en français, j'aime bien utiliser mâle et femelle pour parler de ces aspects.