T’ai-je déjà dit que j’étais une passionnée d’étymologie ?
Oui ?
Je suppose que ça méritait répétition en ce cas !
J’adore les mots, j’adore découvrir leurs racines, leurs évolutions, leurs différents sens. J’apprécie également les bonnes vieilles expressions, les significations qu’elles connaissent au cours de leur existence, leurs transformations…
Bref, j’avais envie de créer un type de mail consacré à mon amour des mots ! Voici donc sa première édition. Alors, quel programme t’ai-je concocté aujourd’hui ?
Adelphe
T’es-tu déjà fait la réflexion qu’on avait un mot pour désigner plusieurs frères, une fratrie, mais qu’il n’y avait pas d’équivalent pour les sœurs ? En tant qu’aînée de deux sœurs benjamines, c’est une injustice linguistique que j’ai repérée très tôt !
Que peut-on dire ? Sororité ? Le terme désigne davantage des associations de femmes (des nonnes, par exemple) ou bien l’équivalent féminin d’une confrérie, plutôt que plusieurs femmes nées des mêmes parents.
Fratrie désigne donc indistinctement plusieurs frères, des frères et sœurs, ou plusieurs sœurs. Bon, c’est encore un terme masculin qui est censé être le neutre – alors qu’en anglais existe le terme sibling, bien distinct de brother (frère) et sister (sœur).
Mais alors, comment évoquer un frère ou une sœur lorsque son genre n’est pas connu ? Et s’iel est non-binaire ? J’ai une bonne nouvelle : pas besoin de néologisme, car le mot existe déjà !
En grec ancien, ἀδελφός (adelphós), formé du ἀ– copulatif (a--, « en ») et de δελφύς (delphús, « matrice »), signifie utérin, fraternel, sororal. Le terme d’adelphe est aujourd’hui surtout connu par les botanistes, puisqu’il indique la soudure des filets d’étamines (ne me demandez pas, je n’ai même pas compris ce que j’ai écrit). Il qualifie aussi les organes jumeaux en anatomie médicale.
Ce mot est plus souvent utilisé, de ce que je vois, en tant qu’épithète : « les liens adelphes » ou, transformé en adjectif, « les liens adelphiques ».
Le terme a cependant été repris par la communauté queer pour parler de la relation entre les enfants de mêmes parents. Si je connais une personne qui a un frère et une sœur, je pourrai donc lui demander : « Comment vont tes adelphes ? »
Pour désigner des frères et sœurs, le néologisme adelphie a été créé, construit comme fratrie. Et si tu aimes tes adelphes, alors tu es philadelphe (avec le φίλος, phílos, « qui aime » de la philosophie) !
Sinon, il existe deux saints nommés Adelphe : le 10e évêque de Metz (Ve siècle) et un abbé du monastère d’Habendum (VIIe siècle).
Quillon
Qu’est-ce que c’est qu’un quillon ? Moi, ça me fait penser à la quille d’un bateau – ou simplement à des quilles. C’est malin, j’ai envie de jouer au bowling maintenant !
Un quillon n’a rien à voir avec ça. Enfin, si, d’un point de vue étymologique, tu t’en doutes. Voilà un mot que nous n’avons pas obtenu du latin ou du grec – et en plus, il a une double étymologie !
Le sens nautique de quille, à savoir la partie de la coque d’un bateau, provient du vieux norrois kilir (pluriel de kjǫlr, XIVe siècle), qui désigne très exactement une quille – pas étonnant, pour une langue de marins ! Son sens ludique, les cylindres en bois qu’on tente d’abattre avec une boule, est, lui, issu du vieux haut allemand kegil (« pilier, poteau », XIIIe siècle), devenu Kegel en allemand moderne.
Ces deux mots de sens et d’origines différentes (vous avez vu cet accord de proximité ?) ont donc donné un même mot en français – avec des significations distinctes. De quelle branche bourgeonne donc le quillon – et que signifie-t-il ?
Il me semble, si j’arrive à décrypter les sigles utilisés dans la définition du CNRTL, que le quillon descend des quilles ludiques (et non des quilles nautiques). Les quillons sont les tiges qui forment la croix sur la garde des épées – une petite image pour rendre tout ça plus clair :
J’ai découvert ce mot lors de mes recherches sur les armes blanches, épées, rapières, fleurets, glaives et autres, afin d’améliorer mes descriptions de duels dramatiques ! Je me demande d’ailleurs si l’on peut nommer les parties correspondantes du sabre de Kylo Ren des quillons laser. (Le Wiki Star Wars confirme mon hypothèse.)
Quelques amusantes expressions : jouer des quilles signifie s’enfuir ; quille est alors une métaphore pour les jambes – tandis que Vive la quille ! se traduit en argot des casernes par Vive(ment) la fin du service militaire !
C’est tout pour aujourd’hui !
N’hésite pas à me dire si tu as détesté ce format, sinon je vais le continuer, j’aime trop partager mon amour des mots !
Bon week-end à toi… et à mercredi 😊
Il m'est arrivé de me définir comme "étymomaniaque", le mot est libre de droit, s'il te sied de te l'approprier.
J'aime beaucoup ce mot, "adelphe", que j'ai découvert il y a un an ou deux, peut-être. Malheureusement, je n'ai que peu trouvé l'occasion de l'utiliser, ou bien quand se présentait l'occasion, j'optais par habitude pour un banal "frères et soeurs". Je ne manquerai pas de placer un ou deux "adelphe" dans mon roman en cours qui a pour protagonistes des enfants issus de mêmes parents.
Quel bel accord de proximité :) Depuis que je m'autorise à les faire, je place toujours le terme féminin de mes doublets en seconde place, pour pouvoir accorder selon lui, hihi, la coquine.
A mercredi :)