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J’adore les néosémies.
« Qu’est-ce que c’est qu’une néosémie, Emma ? »
Eh bien, c’est bien simple, c’est lorsqu’un mot donné « gagne » un nouveau sens. C’est un phénomène fréquent, qu’évoque William Audureau dans son article pour Le Monde, « D’où viennent les nouveaux mots de la langue française ? » :
Ce phénomène […] a ainsi vu maraudeur définir un bénévole travaillant dans la rue, rageux une personne agressive sur Internet, et toxique un comportement destructeur.
Il parle ci-dessus de néosémies récentes… mais il y en a de bien plus anciennes. Parmi celles-ci, ma préférée porte malheur – et le « nouveau » sens a totalement supplanté l’ancien !
Une sinistre néosémie
Il s’agit du mot « sinistre », qui est en plus un terme épicène (c’est-à-dire qu’il est identique au masculin et au féminin). Double raison pour moi d’apprécier ce terme !
À l’origine, « sinistre » signifiait… « gauche ». C’est d’ailleurs toujours le cas en italien : sinistra, désigne la gauche.
Pourquoi ce terme s’applique-t-il aujourd’hui quelque chose de malheureux, de funeste ou de terrifiant ? Eh bien, parce que certaines superstitions considéraient que ce qui venait de la gauche portait malheur !
Jusqu’au Moyen-Âge, on utilisait encore « senestre » pour désigner la gauche… jusqu’à ce que le terme que nous connaissons le supplante. Là encore, c’est une notion péjorative qui permet cette néosémie. En effet, « gauche », lors de son apparition (inexpliquée), signifie « qui n'est pas droit, qui est de travers » :
L'usage se porta sur « gauche », qui remplit la double condition de signifier « opposé au côté droit » et « opposé à adresse ».
Pourtant, il existe des acceptions positives du terme « gauche » :
Emploi mélioratif. [Main, pied gauche en tant qu'instruments de la chance]
Comme quoi, la superstition peut invoquer une chose et son contraire !
En tous cas, ma gauche est véritablement sinistre. Toutes mes blessures ont toujours touché mon flanc gauche : fracture du tibia-péroné, entorse, piqûre d’insecte mystérieuse…
Pour le plaisir, quelques autres néosémies moins récentes :
Savais-tu que le terme « hasard » venait de l’arabe az-zahr, qui désigne un jeu de dés ?
Si le hasard aujourd’hui a la neutralité de l’imprévisible, il est passé par une période plus péjorative :
Au XVIIème siècle, le hasard désigne le risque et le péril. Il reste de ce premier sens l’adjectif hasardeux. […] Il conserve d'ailleurs ce sens en anglais où hazard signifie toujours danger.
D’ailleurs, on peut remarquer une évolution similaire du mot « aléa(s) », qui vient directement du terme latin alea, « dé ».
Allez, la semaine prochaine, je parlerai de sujets moins hasardeux, promis !