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Parmi les scènes insoutenables (je cite une bêta-lectrice) de Sublimes, un certain nombre concernent… le gore.
Les entrailles.
La chair transpercée, découpée, consommée.
C’est de ce sujet viscéral que je veux te parler aujourd’hui, je t’en traumavertis donc : ça va saigner. Si tu n’aimes pas les scènes de torture, si l’étal d’un boucher te retourne l’estomac… ne poursuis pas ta lecture.
Torture et boucherie
Toi qui me suis depuis le début, je te vois déjà dire : mais, tu avais fait un mail sur la torture, non ?! Eh bien, oui, tu as raison. Mais j’aborde aujourd’hui le sujet sous un angle différent puisque j’associe torture et boucherie en un seul mail.
D’un point de vue sémantique, les deux sont souvent liés : on parle bien de « boucherie » pour désigner une scène de crime sanguinolente. Et, dans Sublimes, le lien se fait intrinsèque, pour des raisons… anthropophages.
Commençons par le gore
Si, en français, le gore (ou gaure) est à l’origine un trou d’eau, il a emprunté une signification anglaise pour désigner un genre cinématographique et littéraire où l’horreur s’exprime par la prépondérance du sang.
Le terme anglais, lui, décrit à l’origine une saleté, de la boue, des matières fécales. Ce sens, désormais désuet, a été remplacé par une signification plus sanguinolente : le gore, c’est le sang, en particulier celui d’une blessure, épaissi par le contact avec l’air. Par métonymie, il s’applique aussi au meurtre, au carnage et à la violence.
Quelle boucherie !
Au cours de mon écriture, et dans certains passages plus pointus, j’ai dû me renseigner sur le vocabulaire de la boucherie. J’ai utilisé le champ lexical boucher dans des scènes concernant la cuisine et les carcasses… mais je l’ai aussi étendu à des scènes d’action ou de torture, où la métaphore me permet de rendre les descriptions d’autant plus insoutenables.
Parmi les mots que j’ai découverts et qui m’ont marquée, en voici deux.
Le premier est un verbe : s’équasiller (de « quasi », un morceau de la cuisse). Je te mets la citation du Journal officiel (21 mai 1873, page 3229, 3e colonne) qui explicite bien sa signification :
Il arrive très souvent que le bœuf, violemment étourdi, tombe les jambes de derrière écartées, et alors, suivant l’expression consacrée dans la boucherie, il s’équasille, c’est-à-dire que les tendons et les muscles se déchirent par la violence de la chute et causent dans l’intérieur des cuisses de graves désordres qui font que la viande est moins bonne.
Un autre terme que tu connais peut-être déjà : le matador. Selon les mots de Théophile Gautier, qui s’en prend visiblement à l’opéra Carmen de Georges Bizet :
On n’emploie guère en Espagne le mot matador pour désigner celui qui tue le taureau, on l’appelle espada (épée), ce qui est plus noble et a plus de caractère ; l’on ne dit pas non plus toreador, mais bien torero. Je donne, en passant, cet utile renseignement à ceux qui font de la couleur locale dans les romances et dans les opéras-comiques.
Dans le vocabulaire de la boucherie, en revanche, le matador est un… outil, qui sert à étourdir les animaux dans les abattoirs, avant leur mise à mort.
Achevons l’excursion bouchère avec un terme qui a déjà évolué : larder. L’étymologie s’éclaire lorsque l’on connaît le sens du mot, car larder un viande signifie la garnir… de lard (à l’aide d’une lardoire, une brochette creuse).
Tu as certainement déjà entendu l’expression « larder quelqu’un de coups de couteau », une expression directement dérivée de la signification bouchère du terme. Je pense que je n’ai pas besoin d’expliquer la transition sémantique…
Venons-en à la torture
Pour le coup, j’ai juste retenu quelques termes dont la sonorité ou l’évolution m’ont interpellée.
Parlons d’abord des brodequins. Un brodequin, c’est une chaussure qui couvre le pied et une partie de la jambe. Des brodequins, c’est un instrument de torture. Je laisse Balzac te décrire leur usage :
Ensuite il y a les brodequins : chaque jambe est entre deux planches; on approche la droite contre la gauche; on serre avec des liens; et dès qu'il n'y a plus de jeu, tu prends ton maillet, et, à tour de bras à hauteur des genoux et des chevilles, tu enfonces des coins, comme si tu fendais du bois, jusqu'à ce que les os en craquent; à l'ordinaire c'est quatre, sinon l'on double la dose.
Ah, ils étaient inventifs pour nommer leurs façons d’infliger la douleur !
Est-ce que quelqu’un t’a déjà menacé de t’équarrir ? Les sources divergent, mais de ce que j’ai compris : si la tradition anglaise est respectée, la décapitation t’aura tué avant que tu ne sois découpé en quatre (j’accorde au masculin, parce que seuls les hommes « bénéficiaient » de ce traitement de faveur).
L’étymologie de ce terme est amusante : il viendrait à la fois de l’ancien français escarrer, « disloquer », du latin populaire exquadrare, « rendre carré » et de quadrare, « équarrir ». Et, pour rester dans le thème de ce mail, il s’applique aussi à la boucherie et y désigne le dépeçage des bêtes mortes que l’on va couper en quartiers.
Je t’achève – euh, je veux dire, j’achève ce mail par l’estrapade. À ne pas confondre avec l’escapade ou l’estrade. Et, hélas, il ne s’agit pas d’une fusion des deux (une escapade sur une estrade ?) mais « d’un supplice originellement en usage dans l'armée et la marine qui consistait à hisser un patient à un mât ou à une potence, les membres liés derrière le dos, et à le laisser retomber plusieurs fois près du sol ou dans la mer » (CNRTL).
Apparemment, l’estrapade est également une figure de gymnastique :
Tour consistant à se suspendre par les mains à une corde et à passer le corps entre les deux bras écartés.
En tous cas, on ne me surprendra pas à causer un esclandre sur une estrade pour couvrir mon escapade de l’estrapade !