Les mots du mois #14
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Aujourd’hui trois mots qui m’ont interpellée lorsque je les ai découverts !
Sans plus attendre, plongeons dans le vif du sujet, avec, d’abord…
L’alexithymie
La première fois que j’ai entendu ce mot, lors de mon évaluation clinique / pré-diagnostic pour les troubles du spectre autistique, c’était à l’oral. Me voilà donc répétant ce que j’ai entendu :
« La… lexithymie ? »
Eh non ! C’est un « l » apostrophe, et un mot qui commence par le « a » privatif. L’alexithymie.
Mais qu’est-ce que c’est que ce mot étrange et que signifie-t-il ?
L’alexithymie, ce trouble de la lecture et de l’expression des émotions (a = absence, lexis = mot, thymos = humeur, affectivité, sentiment, émotion), pourrait être un symptôme clé pour l’étude du fonctionnement psychique dans ce qu’il suppose d’articulation entre inné et acquis, entre neurotransmetteurs et qualité du lien du sujet avec son environnement.
C’est un trait de personnalité qui est souvent observé chez les personnes autistes et je n’y fais pas exception – du moins pour trois critères cliniques (sur quatre) :
En bref, les critères cliniques de l’alexithymie sont ainsi présentés :
incapacité à identifier ses sentiments et à les distinguer de ses sensations corporelles ;
difficulté pour communiquer verbalement les émotions ;
description inlassable des symptômes physiques ou de faits orientés vers l’extérieur ;
production fantasmatique et onirique pauvre, ou incapacité à l'exprimer.
J’ai beaucoup de mal à identifier mes émotions, ce sur quoi je travaille avec ma psy : lorsque je ressens une émotion très forte (les rares moments où j’arrive à les identifier), elle m’a conseillé d’être attentive à ce que je ressens physiquement, afin de pouvoir apprendre à comprendre ce que je ressens, même quand ce n’est pas à un niveau aussi élevé.
Exprimer mes émotions, mes ressentis, mes angoisses, même mes joies, est très compliqué pour moi. On m’a souvent dit « mais tu peux me parler de tes problèmes, Emma ! » (merci à toustes ♥), ce à quoi je réponds systématiquement : « j’aimerais bien, mais quand j’en suis au point où je peux dire, exprimer, verbaliser ce qui ne va pas, j’en suis déjà au stade où c’est en cours de résolution ».
Difficile de parler de mes problèmes si je ne peux pas les nommer… et bien entendu, encore plus difficile de les résoudre !
Pour le troisième critère clinique, j’ai compris (assez tard) que mes douleurs de ventre étaient des symptômes émotionnels. On dit que le ventre est le second cerveau – il est aussi mon second cœur. Quand je repense à ma fausse alerte à la crise d’appendicite, et tous les maux de ventre « sans raison » que j’ai subis… je comprends aujourd’hui que mon corps, agacé par mon incapacité à écouter mes émotions, me forçait d’une autre façon à prendre du repos et du recul.
Le dernier point, en revanche, ne s’applique pas du tout à moi. Je rêve beaucoup, j’adore parler de mes rêves, et surtout, ils sont souvent le point de départ de mes histoires !
La compersion
Un terme que ne reconnaît pas encore mon correcteur orthographique, alors qu’il a été inventé dans les années 70.
C’est un terme associé au polyamour, pratique relationnelle non-monogame, basée sur la confiance et l’expression de la vérité et qui a de multiples formes.
La compersion s’oppose à la jalousie : c’est le sentiment de bonheur que l’on ressent lorsqu’une personne qu’on aime (souvent d’amour romantique) aime quelqu’un d’autre, avec tout ce que ça engendre (liens affectifs, rapports sexuels…).
Je suis peu (voire pas) sujette à la jalousie, mais je n’ai pas pu comprendre la notion de compersion avant de découvrir le mot. C’est peut-être lié à mon alexithymie, mais je pense que ça peut concerner tout le monde.
C’est un concept qui va tant à l’encontre des normes relationnelles établies dans les sociétés occidentales et patriarcales qu’il faut le nommer pour pouvoir commencer à l’envisager. Moi qui suis toujours intéressée par des nouvelles façons de concevoir la société, j'ai donc apprécié la découverte de cette notion !
Je ne me sens pas capable de développer sur ce terme, n'en ayant pas vraiment l'expérience, mais si ça vous a titillé, les lectures habituellement recommandées sont : La Salope éthique et Compersion : transcender la jalousie dans le polyamour (je n’ai lu ni l’un ni l’autre). Et pour une réflexion sur le polyamour, un article de Nicolas Galita !
L’idiosyncrasie
Voilà un mot que je comprenais sans le comprendre, d’instinct mais sans jamais avoir lu de définition. Eh bien, je peux vous dire que j’ai bien fait d’aller vérifier, parce qu’entre l’étymologie et les termes utilisés pour le définir, j’ai désormais une bien meilleure appréhension de ce terme à la sonorité que j’adore !
Il faut dire que j’ai été confrontée à ce mot deux fois en peu de temps, ce qui a poussé ma curiosité à supplanter ma paresse intellectuelle : la première fois, c’était une personne (dans une série ?) qui disait de san partenaire qu’iel « comprenait ses idiosyncrasies ». La deuxième fois, c’était un adjectif utilisé par mon père pour décrire ma pratique de l’allemand.
Vous allez voir, c’est très drôle !
Commençons par l’étymologie : du grec ancien ἴδιος / ídios (« propre », « particulier »), σύν / sún (« avec »), et κρᾶσις / krâsis (« mélange »), associés en ἰδιοσυγκρασία / idiosunkrasia (« tempérament particulier »), l’idiosyncrasie a trois sens selon le CNRTL.
Le premier sens est médical : « prédisposition particulière de l'organisme qui fait qu'un individu réagit d'une manière personnelle à l'influence des agents extérieurs ». Des réactions différentes de la part d’un panel d’individus à un même agent sont donc des idiosyncrasies.
Est-ce qu’on peut dire que les allergies sont des idiosyncrasies ? Si quelqu’un a la réponse, je suis preneuse !
Le deuxième sens est psychologique : « personnalité psychique propre à chaque individu ». Pour reprendre la citation d’André Gide dans Paludes (1895) :
Nous ne valons que par ce qui nous distingue des autres ; l'idiosyncrasie est notre maladie de valeur.
Ou en d’autres termes moins complexes : il s’agit de la « disposition humaine à ressentir différemment selon les individus une impression extérieure ou sensorielle ».
Le dernier sens est linguistique : « tendance des sujets à organiser les règles générales de formation des mots d'une même langue de manière différente selon leurs dispositions intellectuelles ou affectives particulières ».
Par exemple, le fait qu’il existe deux mots en anglais pour décrire le bœuf (« ox » pour l’animal, « beef » pour la viande) est une idiosyncrasie linguistique.
Il est intéressant de noter que deux adjectifs découlent de ce nom :
idiosyncrasique signifie « qui est relatif à l’idiosyncrasie »
idiosyncratique, en revanche, signifie tout simplement… « particulier ».
Ainsi, la personne qui parlait de san partenaire évoquait ses comportements particuliers, sa façon d’être, ses façons de réagir particulières.
Est-ce que je pourrais dire que l’alexithymie fait partie de mes idiosyncrasies ?
Mon allemand, en revanche, sans être truffé de fautes, n’est pas un allemand commun, ce qui est lié à ma pratique de la langue assez peu ancrée dans le quotidien : c’est principalement dans les livres et en classe prépa que j’ai tiré mes enseignements. On me comprend, mais on se dit « elle parle vraiment bizarrement, elle ».
D’un autre côté, je sais que c’est le cas aussi en français, donc ça ne me change pas trop !