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Ces derniers temps, je lis des romans dans un cadre professionnel, afin de les ficher et de signaler d’éventuels problèmes, à mi-chemin entre une lectrice-test et une sensitivity reader (unə lectricə qui peut relever les éléments péjoratifs ou stéréotypants envers sa/des minorités).
Lors de ces lectures, je suis plusieurs fois tombée sur des termes dont l’utilisation m’a posé problème. Je me suis dit que c’était l’occasion de faire un mail dessus afin de ne pas me contenter de les relever dans le cadre de ces lectures, mais de partager mon avis dessus… et surtout de proposer des alternatives !
Il s’agit ici de termes validistes (qui font preuve de discrimination envers les personnes handicapées) et surtout psychophobes (discrimination à l'encontre d'un trouble psychique ou d'une condition mentale).
Bipolaire
Ainsi, j’ai rencontré plusieurs fois l’utilisation de « bipolaire » pour désigner une personne qui change d’humeur souvent, de façon inattendue. C’est une méconnaissance du trouble de la bipolarité, alimentée notamment par les médias.
Les personnes bipolaires n’ont pas des sautes d’humeur toutes les deux secondes. Elles vivent leurs émotions avec une intensité démesurée, sans pouvoir bien les contrôler, et alternent des épisodes de manie (bonheur ou irritabilité intense, hyperactivité, multiplication des activités…) et de dépression, sur des périodes qui peuvent être plus ou moins longues (au moins une semaine pour la manie et deux pour la dépression pour que le trouble soit reconnu).
Il s’agit d’un trouble sérieux, qui peut causer d’importantes difficultés au quotidien : relationnelles, fonctionnelles… Des traitements existent et le diagnostic et le suivi sont importants afin d’améliorer les conditions de vie des personnes concernées.
Ainsi, lorsque je lis : « Elle est vraiment bipolaire, cette fille ! » parce qu’elle a finalement changé d’avis ou d’humeur (pour une raison qui est d’ailleurs souvent expliquée de son point de vue), je soupire.
Non, ce personnage n’est pas bipolaire. (D’ailleurs, étrange tout de même, que ce terme soit plus souvent utilisé pour les personnages féminins…)
Et s’il faut vraiment qualifier sa saute d’humeur, il y a d’autres possibilités qui ne renvoient pas à un handicap ou un trouble.
Personnellement, lorsqu’il s’agit de commenter des sautes d’humeur, je préfère utiliser « lunatique », car la lune n’en aura clairement rien à battre.
À l’origine, le mot « lunatique » désignait les personnes soumises à l’influence de la lune, ce qui expliquait leurs humeurs changeantes (parce que la lune est constamment changeante… du moins, à nos yeux, depuis la Terre).
On peut aussi choisir « fantasque », dont la sonorité me plaît bien.
Psychopathe
Autre terme utilisé à tort et à travers, bien plus que « bipolaire », j’ai nommé : la psychopathie. Ah, les « mais quel psychopathe ! » sont hélas légion, et alimentent des stéréotypes très négatifs envers les personnes psychopathes.
Généralement considérée comme un trouble neuro-développemental de la personnalité, la psychopathie se manifeste par un détachement émotionnel, des comportements antisociaux, une absence de culpabilité et une propension à l’impulsivité. Cependant, ces traits de personnalités se retrouvent au sein de la population générale, ce qui complique l’établissement d’une limite entre le normal (au sens statistique de « dans la norme ») et le pathologique, d’autant plus que certaines caractéristiques, comme l’immunité au stress et la témérité sont considérés comme avantageux s’ils sont combinés avec une bonne intelligence et des capacités exécutives normales.
Dans les faits, la plupart des psychopathes ne sont pas violents et la plupart des personnes violentes ne sont pas psychopathes.
Il peut y avoir corrélation, mais pas nécessairement, et peindre toutes les personnes psychopathes de la même façon n’est bénéfique pour personne.
Comme d’autres troubles mentaux, la psychopathie – qui n’est cependant pas présente en tant que telle dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-V) – est un handicap. Les personnes concernées peuvent bénéficier d’un accompagnement et de traitements ou compenser le manque d’empathie par une compassion « artificielle », qui aura pourtant plus ou moins les mêmes effets au niveau social.
Ce n’est pas parce qu’une personne est psychopathe qu’elle n’a pas de compas moral.
Plutôt que de qualifier un personnage détestable, violent ou cruel de « psychopathe », on peut préférer l’un des termes que je viens d’utiliser ou bien des termes liés à son comportement direct, comme « immoral », « sans pitié », « sans cœur ».
On peut aussi orienter la description depuis l’émotion du personnage narrateur. Ainsi, si læ protagoniste est face à un personnage qui commet de la violence gratuite ou autre méfait, au lieu de penser : « mais quellə psychopathe ! », læ protagoniste pourrait penser : « de quoi est-iel capable de pire ? »
On rencontre également le même problème avec le terme « sociopathe », utilisé à tort et à travers, et bien d’autres.
Pendant ma période de forums de jeu de rôle, j’ai moi-même participé à cette psychophobie, utilisant les troubles mentaux comme des étiquettes pratiques pour mes personnages : on a et on aura toujours des idées reçues et des stéréotypes à déconstruire.
Le tout est de reconnaître qu’on se trompait lorsqu’on s’en rend compte et d’agir en conséquence par la suite.
Sources :
J'aime specifiquement cette phrase: "Dans les faits, la plupart des psychopathes ne sont pas violents et la plupart des personnes violentes ne sont pas psychopathes.".....
Merci et salut de Vienne! Christl
Merci pour cet article