Ma recherche sur... la forge [1/2]
Où l'on apprend la différence entre le métal, les cailloux, le fer et l'acier
Un des éléments récurrents de la fantasy est l’existence d’artefacts, souvent des armes légendaires. De fait, les scènes où l’on forge ou reforge des épées aux extraordinaires pouvoirs sont communes, autant dans les mythologies que dans les romans fantastiques.
La forge dans les récits et légendes
Dans les légendes nordiques, les Nains, d’exceptionnels forgerons, créent d’incroyables objets, comme par exemple Gleipnir, le lien qui retient le terrible loup Fenrir… forgé d’ingrédients impossibles : le bruit de pas d'un chat, la barbe d'une femme (bon, ça, c’est tout à fait possible), les racines d'une montagne, les tendons d'un ours (ça n’a pas de tendons, un ours ?), le souffle d'un poisson et le crachat d'un oiseau. (Le groupe français SKÁLD a d’ailleurs fait une chanson que j’adore, intitulée Gleipnir.)
Le compositeur Richard Wagner (1813-1883) reprend ce paradigme dans son opéra Siegfried : le héros de l’opéra reforge en effet l’épée de son père, Notung, brisée par la lance de Wotan (Odin), dans une scène mémorable !
Le « père de la fantasy », J. R. R. Tolkien (1892-1973) fait à son tour reforger l’épée Narsil en Andúril par les elfes de Rivendel. L’univers de Star Wars ne loupe pas l’occasion d’illustrer la fabrication des sabres laser, Lanfeust (des bandes dessinées Lanfeust de Troy) est forgeron… Les exemples sont nombreux !
Quant à Justine Niogret, dont je vous parlais la semaine dernière, elle utilise le lieu de la forge comme révélateur d’histoires, comme creuset des âmes, plus que comme lieu de fabrication d’armes. Son expérience personnelle – puisqu’elle a eu l’occasion de forger une épée – lui confère une capacité de description fantastique !
Mais qu’est-ce qui se passe dans une forge ?
Je ne déroge pas à la règle : il y a des armes forgées dans Sublimes et je ressentais le besoin de décrire un scène de forge, comme métaphore du développement d’un des protagonistes. Seulement, je n’ai jamais mis les pieds dans une forge, et mes connaissances du processus se résumaient à peu de chose.
Je savais en effet qu’il fallait chauffer le métal, taper dessus, le plonger dans de l’eau… c’est tout ! Et encore, je n’avais pas fait le lien entre le fait de « tremper » la lame dans l’eau et… l’acier « trempé ». (Ce genre de révélation où on se dit « mais oui bien sûr, comment se fait-il que je ne l’aie pas vu plus tôt ! ».)
Alors je te propose de te présenter ma (longue) recherche sur la forge, si longue d’ailleurs que j’ai décidé de la répartir sur deux semaines afin de ne pas trop empiéter sur ton week-end. J’ai documenté chaque étape de ma recherche, qui s’est révélée complexe car je voulais absolument tout comprendre pour bien m’approprier le sujet – au moins intellectuellement… et du coup, eh bien, c’est long.
Ma recherche initiale, « fabrication épée médiévale » sur mon moteur de recherche, m’amène sur un article de Medieval Boutik, intitulé Technique de fabrication des épées médiévales. On est plutôt dans le sujet, je suis ravie ! Je lis le premier paragraphe… qui évoque la différence entre le fer et l’acier, sans l’expliquer de façon à ce que mon esprit littéraire n’y comprenne quoi que ce soit.
Fer ou acier, quelle différence ?
Il me faut donc chercher d’autres sources, capables de m’expliciter la différence cruciale entre le fer et l’acier (même si, avec la licence poétique, j’ai tendance à utiliser fer et acier comme synonymes d’épée). Un article de Futura Sciences, Quelle différence entre le fer, la fonte et l'acier ?, m’apporte quelques éléments de réponse :
Le fer constitue une grande part du noyau terrestre et, de fait, de la masse de notre planète. Dans la croûte terrestre, on le trouve essentiellement sous forme d'oxydes comme l'hématite (Fe2O3) ou encore la magnétite (Fe3O4).
C’est super tout ça ! … Qu’est-ce que ça veut dire ? (La panique de la littéraire commence à monter en cet instant.)
Oxyder, ça me parle, c’est quand l’oxygène (l’air) attaque les métaux et change leur couleur, non ? Mais j’ai besoin d’en savoir un peu plus sur l’hématite et la magnétite pour mieux comprendre.
L’hématite est une espèce minérale composée d’oxyde de fer(III) de formule Fe2O3 avec des traces de titane Ti, d'aluminium Al, de manganèse Mn et d'eau H2O.
La magnétite est une espèce minérale composée d'oxyde de fer(II,III), de formule Fe3O4 (parfois écrit FeO·Fe2O3), avec des traces de magnésium Mg, de zinc Zn, de manganèse Mn, de nickel Ni, de chrome Cr, de titane Ti, de vanadium V et d'aluminium Al.
Incroyable ! … Je n’ai rien compris !
C’est quoi la différence entre le métal et le minéral, en fait ?
En désespoir de cause, je me tourne vers ma consultante en géologie (et en plein d’autres choses), ou plutôt, je retourne sur un conversation qu’on avait eue un peu plus tôt sur la différence entre le métal et la pierre (oui, je vous vois, vous autres scientifiques, rigoler doucement devant tant d’ignorance, mais est-ce que vous savez ce que c’est qu’un kakemphaton, hein ?). Voici ses explications :
Le métal c'est un élément chimique (fer, platine, aluminium…) ou à la limite un alliage (inox, acier). C'est pur, c'est un élément chimique ou 2 ou 3.
La roche c'est un assemblage macro de minéraux, sachant que les minéraux sont des molécules à 2, 3, 4, 5 éléments chimiques etc. Mais la roche contient du métal (pur, sous forme minérale conjuguée…) : par exemple l'aluminium est très présent dans les roches associées à la silice.
(Merci Éma !)
Donc, pour simplifier pour mon esprit littéraire : dans les cailloux y a du métal, mais le métal n’est pas un caillou.
Du coup j’ai vérifié la composition de la silice, puis au pif de l’obsidienne, qui est riche en silice. Ce qui me confirme la 2e chose que j’ai comprise : le métal, c’est composé de pas beaucoup de trucs (des molécules ou des éléments ? J’ai toujours pas compris) ; les cailloux c’est composé de tous plein de trucs (dont, parfois, du métal), et il y a même des cailloux composés de cailloux.
Éma me murmure dans l’oreillette qu’il s’agit donc d’éléments et non de molécules. Elle me précise d’ailleurs qu’il y a des métaux qui ne sont composés que d’un seul atome, comme l’aluminium (Al) et le fer (Fe) … ce qui est une transition parfaite pour revenir sur mon interrogation initiale !
Fer ou acier ? (bis)
Je vais arrête là cet insoutenable suspense ! L’acier, c’est… un alliage de fer et de carbone ! L’article de Futura Science m’indique que :
Dans l'industrie, le fer est rarement utilisé à l'état pur. Il entre dans la composition de plusieurs alliages, l'un des principaux étant la fonte. Cet alliage est composé de fer et de carbone à hauteur de 2 % à 6,67 %.
L'acier est l'autre alliage principal du fer. Il intègre lui aussi une part de carbone : entre 0,02 % et 2 % de la masse totale du morceau d'acier. Une fois trempé, l'acier devient encore plus dur que le fer. Il tient l'essentiel de ses propriétés de sa teneur en carbone. Lorsque celle-ci augmente, la dureté de l'alliage s'améliore et son allongement à la rupture diminue. L'ajout d'autres éléments, tels le chrome ou le nickel, permet aussi de modifier les propriétés physiques de l'acier.
Donc plus y a de carbone dans l’acier, plus il va être dur – c’est pas mal pour une épée, ça, non ? (Spoiler : oui, mais pas trop.)
Mais d’abord, il y a encore un terme qui me provoque des sueurs froides d’ignorance…
Le carbone
Carbone vient de carbo (charbon) en latin me rappelle Futura Sciences, puis ajoute :
Le carbone cristallin pur existe dans la nature sous forme de diamant et de graphite. Le carbone élémentaire est inerte et insoluble dans l'eau ou les solvants organiques. À haute température, il s'oxyde pour former du monoxyde et du dioxyde de carbone.
Nous connaissons plus d'un million de composés qui possèdent du carbone lié à l'hydrogène, ainsi qu'un grand nombre de composés inorganiques qui contiennent du carbone.
Tu as du carbone lié à l’hydrogène dans tes atomes, eh oui ! (Moi aussi, d’ailleurs. Et tous les animaux. Et toutes les plantes.)
Sous forme composée, les applications du carbone sont très nombreuses. Le CO2, par exemple, est notamment employé dans les boissons (pour ajouter des bulles de gaz) […].
Après cette petite parenthèse sur la carbone – une mini-mise au point, en quelque sorte – je peux donc conclure qu’on utilise plutôt l’acier que le fer pour les armes blanches, même si le fer pur est utilisé en ferronnerie parce qu’il développe une patine protectrice en s’oxydant, alors que l’acier rouille sans s’arrêter, donc il faut le galvaniser (le plonger dans du zinc en fusion) ou le métalliser (en projetant du zinc en fusion sur l’acier). (Maintenant que je sais que galvaniser vient du vocabulaire de la forge, je saurai l’utiliser d’autant mieux pour mes métaphores filées !)
On a le métal : maintenant, il faut le forger !
Je t’avais promis de te parler de forge d’épée, mais en fin de compte, je t’ai juste parlé de métal, de cailloux, d’atomes et de carbone. Ce n’est pas forcément ce que tu attendais, et en plus, je m’arrête là parce ce mail est déjà conséquent (je pense que tu as dû comprendre que la concision et moi ne sommes pas bonnes amies).
Je te dis donc à samedi prochain pour apprendre – enfin ! – ce qui se déroule au sein d’une forge, à grand renfort de sources !
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