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Je plaide coupable.
J’ai honteusement fait du clickbait.
Je ne vais pas te parler du kraken.
Non ! Ne ferme pas ce mail, je t’en conjure ! On va quand même parler de quelque chose qui s’en rapproche, ne t’inquiète pas.
(D’ailleurs, j’en profite pour faire un petit traumavertissement pour celleux qui craignent les représentations visuelles de céphalopodes petits et grandes : il y a plusieurs illustrations de ce genre dans ce mail !)
Avant que je commence, toutefois, il faut savoir que j’ai peur des fonds marins. La simple idée que rôdent des créatures dont nous ne connaissons pas la moitié, là, dans les entrailles marines, me met très mal à l’aise. Brr.
C’est donc pour ça que j’ai décidé de mettre un kraken dans ma trilogie ! (Ben oui, il faut affronter ses peurs pour les surmonter !)
Enfin, encore une fois, « kraken » est ici un abus de langage, puisque la créature ne se nomme pas kraken ni ne lui ressemble tout à fait ! Oui, c’est un gros truc à tentacules qui vit sous l’eau, mais… la ressemblance s’arrête là.
Déjà, tous les biologistes m’intenteraient un procès si je ne pouvais profiter de la suspension consentie de l’incrédulité (tu sais, ce concept merveilleux selon lequel læ lectricǝ accepte des trucs totalement irréalistes parce qu’iel sait qu’iel est en train de consommer une œuvre de fiction).
Oui, parce que mon pseudo-kraken vit dans un lac. D’eau douce. Sur un plateau situé à plus de mille mètres de hauteur.
Autant dire que le kraken paraît carrément plausible, tout à coup.
Toujours est-il que pour pouvoir bénéficier de la SCI (non, pas la Société Civile Immobilière, enfin ! La Suspension Consentie de l’Incrédulité ! Suis, un peu !), il ne faut pas en abuser, donc il faut que je donne un côté un peu plus scientifique à ma « petite » bête.
Et en plus, il fallait que je lui trouve un joli nom mais pas trop connu. Parce que kraken : non ; Cthulhu : c’était déjà pris ; et puis pieuvre, poulpe et calmar (ou calamar, au choix) ça me paraissait trop… basique.
Je me suis donc renseignée sur les céphalopodes et je vais te livrer (roulement de tambour) trois détails sur ces incroyables créatures (certains scientifiques se demandent si elles ne sont pas extraterrestres, au vu de certains de leurs gènes).
Information n° 1 : le kraken est le héros d’un poème
Le kraken est une créature fantastique issue de légendes scandinaves, qui a été utilisée dans un très grand nombre d’œuvres. Je crois que la première œuvre « officielle » qui le mentionne est ce très beau poème de Tennyson, intitulé The Kraken (1830) :
Below the thunders of the upper deep;
Far far beneath in the abysmal sea,
His ancient, dreamless, uninvaded sleep
The Kraken sleepeth: faintest sunlights flee
About his shadowy sides; above him swell
Huge sponges of millennial growth and height;
And far away into the sickly light,
From many a wondrous grot and secret cell
Unnumber'd and enormous polypi
Winnow with giant arms the slumbering green.
There hath he lain for ages, and will lie
Battening upon huge seaworms in his sleep,
Until the latter fire shall heat the deep;
Then once by man and angels to be seen,
In roaring he shall rise and on the surface die.
Et en français :
Sous les agitations de la surface,
Loin, loin, dans le calme des abysses,
Enveloppé de son très vieux sommeil sans rêve,
Repose le Kraken.
De faibles reflets de lumière
Frôlent ses flancs ténébreux.
Des éponges géantes, millénaires,
L’entourent.
Dans la pénombre des cavernes infinies,
D’énormes poulpes
Démêlent de leur bras la verte statuaire.
Il s'y repose depuis les premiers âges
Et toujours monstrueusement grandit,
Dévorant d’immenses vers marins,
Jusqu'à la Fin des Temps, le dernier incendie,
La rouge Apocalypse.
Alors, pour la première fois,
Il sera vu des hommes et des anges.
Il se réveillera dans l’horreur pourpre,
Il montera à la surface
Et y mourra.
Information n° 2 : plus grand que géant, c’est colossal !
On suppose que la légende du kraken a été inspirée par le calmar géant, qui peut mesurer de 13 à 15 mètres, tentacules compris. Il s’agit du 2e plus grand mollusque, derrière le calmar colossal : la taille de ce dernier est due à son habitat… au fond des abysses. Quand je te disais que ça faisait peur, ce qu’il y a tout au fond des océans !
Information n° 3 : merci, Victor Hugo
Avant l’œuvre Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo (1866), le terme de « pieuvre » (enfin, je n’ai pas la version non-francisée) n’était utilisé que par les pêcheurs habitant sur l’île de Guernesey, une île anglo-normande. Le succès du roman d’Hugo popularisa le terme de « pieuvre », qui remplaça celui de « poulpe ».
(Instant étymologie : poulpe vient de polypous, πολύπους qui signifie… « plusieurs pieds ».)
Et aujourd’hui, pieuvre comme poulpe sont considérés comme des termes ambigus qui désignent « certains céphalopodes benthiques du sous-ordre Incirrina (principalement la famille des octopodidés, de l'ordre Octopoda) » (merci Wikipédia). Ils sont très intelligents et peuvent changer de couleur pour s’accorder à leur environnement… ou en fonction de leurs émotions !
Information bonus : leur sang est bleu. (Mais c’est que c’est l’aristocratie des mers !)
J’ai adoré découvrir tout ça sur les pieuvres, euh, les poulpes, enfin, bref, c’est la même chose (plus ou moins ?), mais ça ne m’avançait pas plus que ça pour une jolie dénomination.
Je suis donc allée chercher les noms des divers membres de la famille Céphalopode (famille gagnante au jeu des 7 familles, vu qu’il y a environ 700 espèces), et je suis tombée sur l’élégante Élédone – qui, bien que dotée de huit tentacules, n’a qu’une seule rangée de ventouses sur chacune d’entre elles.
(Bien sur, tu savais que d’autres espèces de pieuvres avaient deux ou davantage de rangées de ventouses, n’est-ce pas ?)
Et pour faciliter les choses, « élédone » désigne également… un type d’insecte coléoptère. Pratique.
Voilà, j’espère que cette plongée vingt-mille lieues sous les mers t’aura réconciliéǝ avec la vie sous-marine – et sinon, n’oublie pas tes prières à Cthulhu !
C'est dingue parce que je cliquais moyennement hypée par le titre, en mode bof, les krakens, ç'pa ma came... Première ligne, tu dis que tu ne vas pas en parler ; finalement tu en parles quand même ; finalement c'est quand même super intéressant ; finalement on a un super poème en vieil anglais que je me retrouve à déclamer dans ma chambre en essayant de ne pas trop foirer les "th" (mais on ne saura pas qui remercier pour la traduction), finalement on fait un détour étymologique par Victor Hugo, pour atterrir sur une ma foi superbe élédone, à ne pas confondre avec l'élédone, évidemment.
Heu... Je kiffe à donf ? Oh ben oui, je kiffe à donf ^^