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D’habitude, j’écris mes articles de recherches la semaine qui suit ladite recherche, afin que la raison qui m’a poussée à me renseigner et les fins détails de celle-ci me restent bien en tête.
Or, cela fait quelques semaines (mois ?) que je n’ai pas vraiment eu à mener d’enquête technique pour l’écriture de mon roman… puisque j’en étais à la relecture.
Il s’agit pourtant de mon format préféré et je commençais à m’en languir…
J’ai donc consulté la liste des recherches que j’ai effectuées pour l’écriture de mon premier tome, parmi lesquelles :
les voiliers
la gastronomie
peut-on contrôler les gargouillements de son ventre ?
les armes blanches
les types de nez
l’art et le « premier artiste »
la main
le métal et la pierre
la LSF et la LSI
le parcours du combattant
Shakespeare, ses pièces, le théâtre du Globe
les blessures et leur temps de guérison
(D’ailleurs, si un de ces sujets t’intéresse en particulier, n’hésite pas à me le signaler en commentaire ou par retour de mail !)
Tout au début de cette liste, après les voiliers et la gastronomie, il y avait également… les ogres et ogresses. Pour cielles qui ont déjà lu le premier tome, ce sujet s’explique aisément. Pour les autres… eh bien, je me contenterai de dire que ces créatures du folklore ont joué pour beaucoup dans la création de Sublimes.
Lorsque j’étais petite, un de mes rêves récurrents me plaçait en tant que victuaille, rôti conscient sur la table de sorcières-ogresses qui me dévoraient vivante. J’ai appris entre-temps que la peur ou la fascination de la dévoration est courante chez les jeunes enfants – tout s’explique…
J’adorais en effet tous les récits qui comportaient des ogres ou des ogresses, ces monstres humanoïdes géants, dont la caractéristique principale est l’attrait pour la chair fraîche – humaine – et en particulier, celle des enfants.
Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai lu et relu Le Petit Poucet, Le Chat Botté ou La Belle au Bois Dormant.
Comment ça, La Belle au Bois Dormant, te demandes-tu peut-être ? Eh bien, dans la version complète du conte de Perrault, pas celle qui a été édulcorée par Disney, l’histoire se poursuit après le réveil de la Belle : elle épouse le Prince et s’installe dans son palais.
(Je me souviens d’ailleurs que je trouvais très drôle la réflexion du Prince qui trouve la Belle endormie et se dit « oh, dis donc, le col froncé de sa robe est très démodé ». Bref.)
La mère du Prince – et donc la belle-mère ou marâtre de la Belle – est une ogresse :
Le prince la craignait quoiqu’il l’aimât, car elle était de race Ogresse, et le Roi ne l’avait épousée que pour ses grands biens ; on disait même tout bas à la Cour qu’elle avait les inclinaisons des Ogres, et qu’en voyant passer de petits enfants, elle avait toutes les peines du monde à se retenir de se jeter sur eux.
Poussant le vice, cette ogresse veut d’ailleurs profiter de l’absence de son fils, le Prince, pour manger ses petits-enfants, Aurore et Jour, et même sa belle-fille – ou bru – la Belle au Bois Dormant en personne !
Comme l’ogre du Petit Poucet et celui du Chat Botté, la reine ogresse est richissime : ces géants anthropophages sont ainsi « grandis » par leur fortune, et y ajoutent un pouvoir supplémentaire. Pour l’ogre du Petit Poucet, il s’agit des Bottes de Sept Lieues (il s’endort – voire s’évanouit – dès lors qu’il les retire), pour celui du Chat Botté, c’est la métamorphose (et c’est en acceptant de prouver l’existence de cette capacité qu’il se transforme en souris… que gobe le Chat !) et quant à la reine-mère-ogresse, c’est son titre et statut de régente, notamment en l’absence de son fils.
Eh bien, ces caractéristiques se retrouvent chez mes « ogres et ogresses » à moi : iels sont grandǝs (en moyenne), anthropophages (forcément), riches (pour la plupart) et dotéǝs d’un étrange pouvoir…
Par ailleurs, les ogres sont sociables entre membres de leur société ; l’Ogre prévoit de manger le Petit Poucet et ses frères en compagnie de trois amis ogres. Et les ogres, au contraire des trolls ou du Grand Méchant Loup, préfèrent la viande bien cuite, apprêtée, aromatisée et en sauce, ce qui se retrouve également dans Sublimes.
La seule différence réside dans leur intelligence : en effet, les ogres et ogresses des trois contes cités se laissent facilement berner par leurs adversaires plus faibles et plus petits.
Le Petit Poucet intervertit les bonnets de ses frères contre les couronnes des filles de l’Ogre : alors qu’il pense égorger les garçons, l’Ogre massacre ses propres enfançonnes. Le Chat manipule l’Ogre et le dévore. Et même l’ogresse se fait avoir par son propre maître d’hôtel, qui se refuse à cuisiner la Belle et ses enfants, et sert donc agneau, chevreau et biche à la place.
(Bon, l’ogresse est la seule à, par la suite, découvrir la supercherie, mais elle n’y survit pas pour longtemps.)
Une de mes autres ogresses favorites nous vient de Russie et du folklore slave : il s’agit de Baba Yaga, sorcière, magicienne, ogresse, étrange vieillarde qui vit au milieu de la forêt.
Elle est tour à tour bienveillante, et aide les héros et héroïnes de contes (apparemment, il s’agirait d’une subsistance du matriarcat slave et de la Grande Mère) ou antagoniste, cherchant à tuer, vaincre, dévorer les protagonistes héroïques (un avènement du patriarcat).
Baba Yaga, qu’on pourrait appeler en français « la mère Yaga », vit dans une maison à pattes de poule, qui ne s’ouvre que si on prononce la formule consacrée, et n’a qu’une seule jambe, souvent squelettique.
En revanche, même si Baba Yaga projette de dévorer des enfants – et les enlève d’ailleurs dans ce but –, elle ne parvient jamais à les mettre dans son assiette, soit qu’iels s’enfuient, soit qu’unǝ adjuvantǝ vienne à leur secours.
Je compte aussi le cyclope Polyphème au nombre de ces ogres, car bien qu’il n’ait, lui, qu’un seul œil, cet antagoniste dans l’antique Odyssée est tout à fait prêt à dévorer Ulysse et son équipage. Comme dans les contes de Perrault, Ulysse s’en sort grâce à la ruse : il prétend se nommer « Personne », si bien que lorsqu’il perce l’œil unique du géant, celui-ci appelle ses amis au secours, leur annonçant que « Personne m’a fait du mal ! » Malin le marin !
Grande amatrice des récits des mille et une nuits (que j’ai découverts au CDI de mon collègue avec la traduction d’Antoine Galland – et que j’ai tant emprunté que la documentaliste m’a donné les tomes lorsqu’elle en a commandé de neufs), j’y ai souvent retrouvé des avatars d’ogres et d’ogresses.
J’avoue que ma mémoire n’est plus si fraîche (pas comme la viande qu’affectionnent ces êtres, badum-tss), mais je crois me souvenir que Sindbad le Marin se retrouve enfermé dans une grotte avec ses compagnons de voyage, séquestrés par un vieillard cachectique (c’est-à-dire très maigre), qui mangeait chaque jour l’un des membres de l’équipée…
Enfin, c’est lors de cette recherche que j’ai découvert l’ogresse kabyle Tériel (ou Téryel).
Dans L’Ogresse et la Princesse Clair-de-Lune, Téryel tisse chaque hiver des couvertures pour les sept enfants d’une pauvre veuve. Lorsque le fils aîné de la veuve atteint dix-sept ans, l’ogresse l’exige comme paiement – et comme repas. La veuve conseille alors à son fils de téter le sein de Téryel et de l’appeler « mère » dès qu’il en a l’occasion car pas même une ogresse ne mangerait ses propres enfants…
Et je ne pourrais pas achever un mail sur les ogres et ogresses sans évoquer Le Voyage de Chihiro du Studio Ghibli, où Yubaba, la maîtresse des bains pour esprits, adorerait dévorer l’héroïne – et ses parents, quoiqu’ils soient pour cela transformés en cochons…
Yubaba possède certains attributs des ogresses : la carrure disproportionnée, l’anthropophagie, les pouvoirs magiques, la richesse, la sociabilité… mais on ne peut pas dire qu’elle soit stupide, au contraire des ogres occidentaux ! D’ailleurs, j’ai presque envie de dire qu’elle est à la fois antagoniste et adjuvante…
Je suis sûre que j’ai oublié des ogres et ogresses célèbres (non, pas Shrek : il n’est pas du tout présenté comme anthropophage !). Si tu en connais d’autres, n’hésite pas à éclairer ma lanterne !