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Aujourd’hui je vais vous parler du rapport entre neuroatypies et consommation de médias – ou, pour être plus honnête, j’évoquerai surtout le TSA (Trouble du Spectre Autistique) et le TDAH (Trouble Déficitaire de l’Attention avec ou sans Hyperactivité).
Pour rappel, le terme « neuroatypie » désigne les troubles neurodéveloppementaux, parmi lesquels l’autisme, le TDA/H, les troubles dys (dyslexie, dysgraphie…), etc.
Les neuroatypies influant sur la plupart des comportements, appréhensions et compréhension du monde, les médias n’y échappent pas : livres, films, séries, musique… Le rapport des personnes neuroatypiques aux médias peut se différencier subtilement (ou non) de celui des personnes neurotypiques.
Et bien entendu, chaque personne a son fonctionnement, qu’elle soit neuroA ou non, donc ce que je dis n’a pas valeur absolue et n’est pas à généraliser : encore une fois, je parle de mon expérience et de ce que j’ai observé dans les témoignages de personnes qui me ressemblent.
Lire, lire, et encore lire !
Au primaire, on m’appelait « Miss TGV ». Au collège, c’est devenu « La Lectrice » (oui, moins original).
Pourquoi ? Eh bien parce que je passais mon temps à lire – tout le temps ! En interclasses, dans les escaliers (malgré les « mais c’est dangereux ! »), dans la rue (j’avais un radar anti-lampadaires), dans le métro, dans la queue de la cantine, pendant les pauses et récréations, devant les salles de classe… Bref, chaque instant libre me servait à me plonger dans mes romans.
Et non seulement je lisais vite, mais je lisais beaucoup. J’usais des cartes de bibliothèque de mes deux sœurs pour emprunter plus de livres et je crois bien que je lisais donc une quinzaine de BD/mangas et cinq à dix romans par semaine. Peut-être plus ? Je ne me souviens plus, mais c’est fort probable.
(Oui, pendant longtemps, j’ai affirmé que la raison pour laquelle j’étais petite, c’était parce que je lisais au lieu de dormir et que donc mon corps n’avait pas l’occasion de produire autant d’hormones de croissance qu’il aurait dû. Je crois que c’était une aberration d’un point de vue biologique, mais bon.)
De ce que j’ai découvert en plongeant dans la communauté neuroatypique, c’est qu’il existe une bonne proportion de personnes qui ont eu le même rapport à la lecture que moi quand j’étais enfant.
Mais que nous apportait toute cette lecture ? Oh, tout plein de choses !
Déjà, c’était un autre monde, où je pouvais m’évader, un monde où les règles sont claires (pas comme les interactions avec mes camarades de classe, qui généraient incompréhension sur incompréhension) : protagoniste, aventure, résolution, tout le tralala.
La lecture était aussi un apprentissage : les livres me permettaient de comprendre les réactions des personnages (parce qu’on a leurs pensées ! Leurs réactions internes !), ce qui me donnait quelques clés…
« La fiction a deux rôles. D’abord, c’est une drogue d’appel vers la lecture. […] Deuxième rôle de la fiction : elle développe l’empathie. » – Neil Gaiman
Grâce à la lecture, je consolidais aussi mon masquage autistique, une technique qu’adoptent beaucoup de personnes autistes pour paraître « normales », en cachant leurs spécificités et en imitant les comportements des personnes allistes (une personne alliste est une personne non-autiste).
La lecture me permettait enfin de m’isoler : éviter ces fameuses interactions, profiter de l’hyper-concentration dans laquelle me plongeait la lecture pour « oublier » un instant les sensations parasites (le brouhaha, les bruits, les odeurs, etc), recharger mes batteries…
D’ailleurs, même cette isolement choisi et somme toute assez peu vindicatif provoquait des réactions incompréhensibles : je me souviens d’enfants de ma classe qui m’arrachaient mon Fantômette des mains pendant la récréation et me forçaient à leur courir après pour que je le récupère. Je crois que je n’ai toujours pas compris quel était l’intérêt.
Lire… moins
Aujourd’hui, je lis beaucoup moins de livres. Mais j’en lis déjà plus qu’il y a dix ans.
J’ai bien précisé « de livres », parce que je n’ai jamais arrêté de lire. Je suis juste passée par d’autres sources de lecture : les forums de jeux de rôle, notamment, et les fanfictions1.
Le monde des fanfictions est assez merveilleux. J’en ai déjà parlé et j’en reparlerai, mais il rassemble trois démographies dans lesquelles je me retrouve : les femmes, les personnes queer et les personnes neuroatypiques.
La plupart des autrices de fanfiction sont des femmes, ce qui n’est pas anodin. C’est lié aux normes genrées, et c’est d’ailleurs un serpent qui se mord la queue : si seuls les hommes peuvent écrire de « vrais » livres, alors les femmes écriront de la fanfiction, ce qui signifie par contrecoup que la fanfiction n’est pas de la « vraie » littérature. 🙄
Il y a également beaucoup de jeunes queers dans les autricəs et lectricəs de fanfictions, car la réécriture d’œuvres adorées leur permet d’imaginer et de lire des relations entre leurs personnages favoris… des relations hors du moule hétérosexuel qui domine la plupart des médias.
Et enfin, les fanfictions sont très appréciées des personnes neuroatypiques, et notamment autistes et TDA/H.
Pourquoi ? Parce qu’en grandissant, en vieillissant, on a de moins en moins de temps libre (celui qu’on a quand on est enfant et ado), de plus en plus de responsabilités… et de moins en moins d’énergie (ou de cuillères).
Les fanfictions ont alors cet indéniable avantage qu’elle retirent une énorme partie de l’effort de découverte d’un nouveau média : non seulement on connaît déjà les personnages, mais en plus, si on choisit de lire une fanfiction par trope, on sait dans quoi on s’engage.
La fanfiction permet ainsi de découvrir quelque chose de nouveau, de lire une aventure, un texte inconnu – tout en s’épargnant les efforts mentaux et de concentration que sont la découverte et l’appréhension des personnages, du cadre, du type d’histoire.
Et, en sus de ces avantages indéniables pour des personnes qui ont envie de se distraire sans devoir investir leur énergie rationnée dans cette activité, le fait de retrouver des personnages et des situations connues est très rassurant.
Consommer en boucle
Il y a certains livres, certains films, certaines séries que j’ai lus et vues des dizaines de fois, voire des centaines. Cielles-là font partie de mon socle, la liste en est limitée, mais elle évolue avec l’âge (les œuvres que je consomme en boucle aujourd’hui ne sont plus totalement les mêmes que quand j’étais enfant).
Ces derniers temps, je me suis aperçue que je regardais quand même beaucoup de teen dramas, de séries pour ados, sur des ados. Vraiment beaucoup (Cursed, Wednesday, Sex Education, The Bastard Son & The Devil Himself, The Midnight Club, Heartbeak High, W.I.N.X., la saga Grisha, Ragnarok, Sabrina, First Kill, October Faction, The Order, Warrior Nun, The Rain…). Et que je continuais à en chercher.
Après (brève) réflexion, je me suis aperçue que la raison est similaire à celle qui m’a poussée longtemps vers les fanfictions : les teens dramas ont une structure assez stable, les mêmes stéréotypes de personnages, les mêmes retournements de situation, types de relations, règles générales… Et c’est un genre que j’ai beaucoup lu et regardé pendant mon adolescence (logique), et qui s’est très bien imprimé dans mon cerveau.
Je me « rassure » donc en regardant ces séries, peu importe leur qualité, car m’immerger dans leurs trames ne me demande pas beaucoup d’efforts. En revanche, j’ai tout de même la « récompense » d’un contenu nouveau (toutes proportions gardées), car je ne regarde pas la même série en boucle, mais bien plein de séries qui utilisent la même liste d’ingrédients (voire la même recette).
En quelque sorte, je satisfais mon besoin de répétition autistique en privilégiant un même genre, tout en donnant la stimulation exigée par mon trouble de l’attention en variant les séries au sein de ce genre (parfois avec des éléments fantastiques, parfois sans, etc).
Par ailleurs, j’ai retrouvé la lecture en l’intégrant dans ma routine : tous les jours, au même moment, je lis 1h ou 2, de la même façon que je regarde toujours un épisode (de teen drama) avant de me coucher pour prévenir mon cerveau qu’il va être temps de dormir (et espérer éviter l’insomnie).
En fin de compte, si de nombreuses personnes autistes et TDA/H lisent moins, en termes de quantité, de qualité, de temps passé, que durant leur enfance et leur adolescence, c’est lié en grande partie à l’âge et à tout ce qui vient avec : les responsabilités, le temps qu’on peut moins répartir selon ses envies ou besoins, le stock d’énergie total qui diminue forcément…
Cela ne veut pas dire qu’on est condamnéə à se lamenter sur ses faibles capacités de lecture par rapport à ce qu’on pouvait fournir avant. Ça veut juste dire qu’il faut trouver des façons de retrouver le plaisir de lire et de découvrir de nouvelles choses sans que ce soit un effort insurmontable.
Et pour ça, les fanfictions ou les œuvres « qui se ressemblent » sont de bonnes solutions.
1 Une fanfiction « est un récit que certains fans écrivent pour prolonger, amender ou même totalement transformer un produit médiatique qu'ils affectionnent, qu'il s'agisse d'un roman, d'un manga, d'une série télévisée, d'un film, d'un jeu vidéo ou encore d'une célébrité. »
Super intéressant ! Cet article aborde plein de notions que je ne connais(sais) pas !