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Avec les retours de mes beta readers, je suis confrontée à mes habituels tics de langage et défauts d’écriture, car iels me les signalent avec régularité. Comme j’ai encore du mal à souligner ce qu’il faut faire, je préfère procéder à l’envers : en montrant ce qu’il faut éviter.
Je vais donc te présenter les différents écueils par lesquels je suis passée, ceux que je parviens à prévenir, ceux que je parviens à corriger seule, et ceux qui doivent encore m’être désignés pour que je puisse les reprendre.
Mes erreurs passées
Depuis que j’écris, mon style a tant évolué et s’est tant amélioré, qu’il m’est parfois difficile d’admettre que je suis à l’origine d’anciens passages qui me révulsent aujourd’hui, tant ils sont émaillés de faiblesses communes aux jeunes autricǝs.
Parmi celles-ci, le plus grand était ma propension à décrire… les vêtements des personnages. Je suppose que c’était lié à la difficulté de caractériser mes protagonistes, tout simplement du fait de ma jeunesse et de ma méconnaissance du monde et des personnes.
Je narrais donc par le menu la tenue vestimentaire de chacun des intervenants dans mon récit, que ce soit pertinent ou non. Bien entendu, cet aspect de la description a son utilité et peut en dire long sur le personnage décrit. Cependant, à moins d’être Balzac, il devient facile de se complaire dans une logorrhée verbale sans intérêt scénaristique, qui a davantage tendance à ralentir le récit qu’à le nourrir.
Tu t’en doutes, ce défaut faisait écho à un autre : le manque de caractérisation des personnages. Ces derniers se différenciaient peu les uns des autres, se résumaient à quelques adjectifs et manquaient de profondeur.
En soignant l’un des symptômes, j’ai guéri le second : les descriptions vestimentaires se font plus rares et plus pertinentes ; de fait, elles soutiennent la psyché plus complexe des personnages.
(Je reviendrai sur la construction des personnages dans un mail qui sera dévolu à cette problématique, car c’est l’une de mes étapes préférées de la création.)
J’avais aussi tendance à couper mon texte de petites blagues à l’adresse du lecteur ou de la lectrice ; c’est un lieu commun, à ce que j’ai découvert, qui naît sans doute de la sensation d’illégitimité des jeunes autricǝs. Or, ce type de réflexe nuit à l’écriture et révèle le manque d’expérience…
Allez, pour le plaisir de me ridiculiser, un exemple issu de la toute première version de Sublimes :
Et c'est donc sans tact et avec hauteur que [Madame] ordonne à [Monsieur] de partir, qui fuit sans demander son reste, la queue entre les jambes (j'allais dire quelque chose de déplacé, du genre de « où voulez-vous qu'elle soit d'autre, après tout ? », mais je me suis retenu). (Eh oui, quand c'est entre parenthèses, ça ne compte pas.)
Les erreurs que je fais encore, mais que je peux corriger seule
Il s’agit principalement de maladresses syntaxiques et de style ; elles se traduisent par des tics qui alourdissent l’écriture et rendent la lecture plus ardue – ou moins agréable.
On y retrouve l’usage immodéré des adverbes, un défaut qui se retrouve chez nombre de jeunes écrivainǝs. Mes premiers manuscrits en étaient truffés : unetelle faisait ceci lentement, un autre réalisait doucement son action…
Malgré leur apparente utilité, les adverbes appauvrissent le langage et empêchent en fin de compte d’affiner sa prose. Plutôt que de dire qu’une mouvement se fait lentement, on peut dire… « Oh ! Dieu !… bien des choses en somme… » : par exemple, que la personne s’applique à poser un à un les objets qu’elle a en main, une façon de montrer la lenteur du geste, tout en pointant sa délicatesse, et la raison pour laquelle cette lenteur est nécessaire…
Dans la même veine, les participes présents sont à distiller avec parcimonie. Les assonances en « en » ne sont pas les plus harmonieuses : le pire survient quant on associe les participes présents avec les adverbes. Plutôt que de dire qu’un personnage courait désespérément en s’essoufflant, il vaut mieux préférer une tournure plus active :
— Je te rattraaaape, murmura la lune, depuis son trône d’ossements.
La course devint sprint, elle poussa sur ses mollets, puisa dans ses réserves. Les animaux s’écartaient de son chemin ou prenaient sa suite, car quand une proie fuit ainsi, tous ses semblables lui emboîtent le pas. La peur engourdissait son esprit, embrasait ses instincts. Elle ne voulait pas mourir.
Je parlais des assonances en « en » ; l’euphonie du texte importe toujours : c’est là que repose toute la poésie, le rythme, le jeu des sonorités, qui doivent venir alimenter la narration. Lorsque la prose se fait mélodie, les mots, leur ordre, leur agencement participent à l’ambiance créée. Or, si l’on se contente d’assonances en « en » ou en « é », les phrases paraissent plus pauvres que musicales.
En sus de se montrer économe en adverbes et en participes, il faut s’attacher à repérer les hiatus et suites de voyelles, qui brisent la lecture.
Par exemple, enchaîner un « et » avec un mot qui commence par « é » donnera une sonorité désagréable : elle fit des actions variées et éclata de rire. Ce type de successions alourdit et appauvrit le texte. Quasiment toutes les voyelles peuvent causer ce désagrément : après avoir fini il donna à…
Les hiatus, quant à eux, sont la rencontre de deux voyelles prononcées à l’intérieur d’un mot ou entre deux mots : il a été… De la même façon, leur apparition trop fréquente rend la prosodie moins harmonieuse.
En réalité, autant en termes d’adverbes, de participes présents que de hiatus, il n’est pas interdit de les utiliser : la clé réside dans leur rareté et leur pertinence. Si leur utilisation est inhabituelle, leur apparition, qui fera nécessairement une rupture dans le texte, soulignera le point mentionné, lui accordant davantage d’importance.
Il en est de même pour un tic de style lié à ma triphilie : j’ai tendance à utiliser des rythmes ternaires de façon très régulière.
Les semaines s’écoulaient, longues, vides, informes.
Or, si je veux que ces effets de style gardent leur impact, je dois les conserver pour des situations qui bénéficient de cette emphase. À l’inverse, si je colle des rythmes ternaires toutes les trois phrases (haha), ça ne fait qu’alourdir le texte…
Enfin, j’ai une propension marquée à utiliser « Et… » et « Mais… » en début de phrase. Il s’agit d’un bonne rupture syntaxique, qui permet ainsi de marquer le changement d’idée. Hélas, comme pour tous les artifices d’écriture, il faut savoir les répartir avec économie et ne pas en abuser, sous peine de les vider de leur substance et de les transformer en tics désagréables.
Les erreurs que j’ai encore du mal à repérer moi-même
Je savais que les dialogues m’échappaient encore. Il s’agit d’un point difficile pour de très nombreusǝs autricǝs. J’ai envie de dire que mon introversion ne m’aide pas… mais il s’agit d’une excuse facile.
(Déjà, parce que ça doit être le cas d’un grand nombre d’écrivainǝs…)
Anne, une de mes beta lectrices, m’a donné le conseil de lire mes dialogues à haute voix. Il s’agit d’une très bonne technique. Je me vois déjà, seule, dans mon bureau, déclamer les paroles de mes personnages, « en variant le ton » (je suis d’humeur à citer Edmond Rostand, dis donc).
Si ça me permet de corriger des « Tais-toi, t’as tort ! » qui ont peu de chances d’être prononcées par des personnes en chair et en os, je me soumets à ce ridicule exercé dans le cocon de mon intimité…
Anne et Lala m’ont également signalé un autre point, auquel j’étais moi-même aveugle : la variation des niveaux de langue et du type de narrateur. Ce sont deux points distincts mais que je rassemble pourtant, car l’un et l’autre participent à la cohérence structurelle du roman.
J’utilise en effet un langage plutôt soutenu, qui varie en fonction des personnages. De même, ma narration se fait de façon interne et subjective : j’évite l’omniscience et me place dans la tête de mes personnages.
Or, j’ai tendance à briser moi-même ce cadre : le langage devient soudain familier ou au contraire précieux, sans que cela ne « colle » au personnage. Il s’agit là d’erreurs, car je brise alors la caractérisation du personnage.
En revanche, il m’arrive d’user d’incises (« Ah non ! ») au milieu de passages narratifs. Cela peut fonctionner si j’introduis le principe dès le début du roman. Or, ce n’est pas le cas. Il faut donc que je réfléchisse : est-ce que j’ajoute des incises dans les premiers chapitres pour justifier ceux qui viennent par la suite ? Ou bien, me contenterai-je de supprimer les incises ?
(Je penche pour la première solution.)
Enfin, le type de narrateur pèche parfois : en de rares passages, je passe à dessein d’un narrateur subjectif à un narrateur omniscient, par exemple avec la fameuse technique du « Elle ne savait pas que… »
(“Little did he know”, en anglais, ce qui me fait penser au film Stranger than Fiction, qui exploite cette formulation de façon intéressante…)
Des retours que j’ai eus, cependant, ces passages ont perturbé la lecture – d’autant plus que la narratrice omnisciente s’est aussi invitée à mon insu à quelques endroits.
Je vais donc reprendre ces paragraphes et réfléchir à leur tournure ou trouver un meilleur moyen pour créer l’angoisse chez les lectricǝs…
"la queue entre les jambes (j'allais dire quelque chose de déplacé, du genre de « où voulez-vous qu'elle soit d'autre, après tout ? », mais je me suis retenu)."
Ah oui non mais ça c'est pas possible du tout du tout mouahahaha
Sur un forum ou un blog on voit ça souvent, mais pas en fiction. Si on tenait vraiment à la blague, on pouvait essayer un truc du genre "repartit la queue entre les jambes, ce qui finalement est assez banal" ou simplement "il repartit la queue entre les jambes - où d'autre? -"
Mais vraiment les parenthèses + guillemets + métadiscours, nope. Je ne connais que Lemony Snicket qui ait le droit d'interrompre son récit comme ça, et c'est précisément parce qu'il est un auteur fictif...
Et pis c'est quoi ce genrage du narrateur au masculin ? Suis choquée !
Tu sais que c'est génial, ces mails plus techniques sur l'écriture ? J'adore ! C'est fascinant de voir l'évolution de ton organisation, de ton style... En plus, aucune timidité ni vanité de ta part ne viennent se mettre en travers du partage détaillé de tes pérégrinations. On a un relevé en toute transparence, c'est si précieux pour rêver soi-même à de tels parcours !