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J’ai un problème avec la création de contenu.
Je connaissais déjà plein de genres d’écriture, des romans classiques aux essais philosophiques, aux littératures de genre, en passant par les modes d’emploi et les journaux, les recettes, les panneaux, les devoirs et études universitaires…
Début 2021, je découvre
. Nicolas parle de l’écriture, de la possibilité de gagner de l’argent en écrivant (autre que la traditionnelle publication), de la nécessité de montrer son travail.C’était ce dont j’avais besoin pour me lancer à mon tour, avec L’Emmaginarium.
Quelques mois plus tard, Facebook m’envoie des pubs pour le Défi Brutal d’Alexe Martel, un « défi de création de contenu anti-procrastination ». Bon, je procrastine en virtuose, je crée avec passion : le défi semble fait pour moi !
Et c’était une super expérience : un exercice d’écriture par jour, de la visibilité en plus, somme toute un résultat agréable.
Surtout, la découverte d’une façon d’écrire qui m’était totalement étrangère, avec des nouvelles règles à apprendre : j’ai plongé dedans avec enthousiasme, me découvrant touriste dans un pays que je croyais connaître.
Il y avait des façons d’écrire encore différentes de celles que je pratiquais !
Vous remarquerez que je n’ai pas encore défini ce qu’est la création de contenu. C’est parce que, naïvement, je me penchais surtout sur le terme de création. La notion de « contenu » n’a commencé à m’interpeller que bien plus tard.
Ma découverte de la création de contenu a été quasi-simultanée avec celle du copywriting, aussi appelé « écriture persuasive ».
Encore une fois, il y a un admirable flou sur le but de cette persuasion. Encore une fois, je me suis dit : « c’est un nouveau champ à découvrir, trop chouette ! » et j’ai appris à le manier, j’ai testé ses expressions comme un enfant à qui on donne ses premiers feutres.
Il m’a fallu presque 3 ans pour que ces flous m’interpellent et que je me pose dessus.
Qu’est-ce que la création de contenu ?
Il s’agit d’une forme de production de médias variés (articles, vidéos, blogs, podcasts) dont le but principal est de susciter l’engagement du public, par exemple en l’informant, l’éduquant ou le divertissant, dans le cadre d’une stratégie de marketing de contenu (par opposition au marketing publicitaire).
À l’intérieur de la création de contenu, on retrouve le copywriting, à savoir la rédaction de textes persuasifs et percutants qui visent à inciter une action spécifique de la part du public, comme par exemple effectuer un achat, s'inscrire à une newsletter ou cliquer sur un lien.
Le copywriting peut donc être considéré comme un pont entre création de contenu et publicité.
Création de contenu et copywriting sont très intéressants, en permettant notamment de combattre la notion de l’artiste méconnuə, de l’artiste ermite, de l’artiste dont la célébrité ne viendra qu’après la mort (ou, plus probablement, jamais).
C’est une bonne façon de rappeler que même les artistes ont besoin de se nourrir (et pas que d’idées), que leur création a une valeur (notamment pécuniaire). Ça m’a fait beaucoup de bien de voir qu’il y avait de nombreuses façons de se rémunérer par l’écriture et par l’art en général.
Il m’a juste fallu un peu de temps pour comprendre que j’avais beau adorer écrire et avoir besoin de gagner de l’argent, ces formes-là ne me correspondaient pas.
Contenu, contenant
Dans l’expression « création de contenu », il y a une donnée qui est tue. Totalement.
La nature du contenant.
Eh oui, parce que si quelque chose est contenu, c’est qu’il y a quelque chose pour le contenir. Et la contention, à part quand on a des problèmes de circulation sanguine, je l’associe facilement à un bridage.
Moi, ça m’interpellait, cette histoire de « contenu ». On crée quelque chose pour que ce soit contenu ? Mais qu’est-ce qui peut contenir la création ?
Il y a deux façons de répondre à cette question.
La première, c’est de définir les contenants au sens des expressions de la création : articles, vidéos, images et infographies, podcasts… Ils sont contenus sur des sites webs, plateformes de partage spécifiques (Medium pour les écrits, YouTube pour les vidéos, par exemple), réseaux sociaux.
La seconde, c’est de définir le contenant principal, c’est-à-dire d’exprimer l’épithète qui est tu dans « création de contenu », à savoir le mot « marketing ».
C’est de la création de contenu marketing.
Tapez « création de contenu définition » dans votre moteur de recherche, vous verrez bien.
Attention, je ne suis pas en train de dire que c’est une mauvaise chose en soi. Je dis juste que j’ai, moi, mis longtemps à comprendre ce sous-entendu. Est-ce parce que je suis autiste ? Peut-être.
(Dites-moi si pour vous c’était clair dès le début, ça m’intéresse !)
Si création il y a, y a-t-il un contenant ?
J’ai beau ne pas défendre l’art pour l’art (notion selon laquelle l’art a juste pour vocation d’être beau, en gros), je ressens une forme de douleur lorsque je pense à la création comme contenue.
Vous savez ce que ça m’évoque ? Une scène de l’anime Ouran High School Host Club.
(Oui, je suis comme ça moi.)
Un des personnages, Kyoya, est un troisième fils d’une grande famille, qui se sent enfermé dans son rôle de troisième fils : ses deux aînés sont exemplaires et hériteront ; lui n’a pas d’autre choix que de rester dans le cadre qu’on lui donne et d’être plus parfait que la perfection.
Grâce aux autres personnages de la série, il comprend et découvre qu’il peut être autre chose, qu’il peut faire davantage que ce dans quoi on l’enferme. Et c’est symbolisé visuellement d’une façon qui fonctionne parfaitement pour cette histoire de création de contenu.
Pour moi, ceci serait la création de contenu :
Et ceci est la création :
Création de contenuS
Je crois que j’ai ressenti une forme de trahison en comprenant que le fameux « contenu » c’était le marketing – non dit explicitement, parce que, quand même, assumer que c’est du marketing, ce n’est visiblement pas si facile que ça.
Pourtant, il y a plein d’autres sortes de contenus : académiques, informatifs, pédagogiques, artistiques, humoristiques… Et ces contenus-là, je les aime. Parce que le contenant n’est pas limitatif, il informe juste sur la nature du contenu.
Alors que le contenu marketing a pour moi une subtile différence : celle de devoir provoquer une réaction. Le contenant, c’est l’intérêt (potentiel) du public. On se retrouve à créer uniquement pour générer de l’interaction.
Et, à mes yeux, c’est sans doute le pire annihilateur de créativité au monde. Je préfère mille fois créer et n’avoir qu’un retour – ou même aucun – que de chercher à remplir des cases pour obtenir des réactions.
Clairement, ce n’est pas un bon business-model. Je le sais.
Et c’est aussi une perception personnelle de l’art. Je sais que certaines personnes créent pour être perçues et c’est ok aussi. Je ne mets pas d’échelle de valeur ici, vraiment pas.
Autre précision : je ne crée pas non plus juste pour moi. Au contraire : qu’on me lise, qu’on réagisse à ce que j’écris me procure énormément de joie et de motivation.
Ce n’est pas non plus à cause d’un rejet du vilain argent : je suis raviə de vendre Sublimes, je suis conscientə de sa valeur monétaire et suis très reconnaissantə à mes mécènes.
Peut-être qu’il y a un peu de narcissisme, je ne m’en défends pas, avec une idée de “les gens me trouveront”.
Mais je pense que tout simplement, je n’arrive pas à me glisser dans ce contenant, à m’adapter à ce moule. J’ai déjà fait ça toute ma vie, je vois bien que ce n’est pas pour moi, donc autant s’abstenir.
Création sans contenant
Je crois que ce qui me pose le plus problème avec la création de contenu, c’est que c’est encore une façon de ne pas reconnaître l’art où il est.
Des autaires qui se disent créataires de contenu.
Des illustrataires qui se disent créataires de contenu.
Des musiciennəs et des compositaires, des vidéastes et des réalisataires, des artisanəs qui se disent créataires de contenu.
N’est-ce pas une façon de faire de l’art une commodité ?
Et, ce faisant, l’art n’est-il pas dévalué, petit à petit - ce qui a d’ailleurs déroulé le tapis rouge pour les IA ?
Le travail d’artisanat a perdu énormément de reconnaissance et de valeur lorsque les machines ont commencé à être plus rapides et à produire plus de quantité.
Pourtant, on le sait, la qualité des tissus manufacturés en gros est loin - mais vraiment, à des années-lumière - de la qualité des tissus élaborés à la main pendant les siècles et les millénaires précédents.
On a si bien remplacé les travaux manuels traditionnels et l’artisanat qu’il nous est désormais impossible de répliquer certains tissus, certaines dentelles à l’incroyable finesse.
Et aujourd’hui, les artisanəs sont confrontéəs chaque jour à des clientəs demandant pourquoi leur travail est si coûteux alors qu’il est possible de trouver “la même chose” pour dix fois moins cher dans les enseignes et chaînes.
La différence, c’est la qualité.
La différence c’est qu’unə artisanə - et unə artiste - a derrière ellui des heures et des heures et des heures d’apprentissage et de perfectionnement. Que certes, iel ne sortira que 10 vases là où une machine en sortira 500 dans le même laps de temps (j’invente les chiffres), mais que chaque vase sera unique et parfait et durable.
Que chaque vase contiendra un peu de son âme.
Je ne reproche à personne de ne pas pouvoir se payer le travail d’artisanəs, parce que c’est vrai que c’est un budget, mais n’allons pas leur reprocher leurs tarifs.
La dévaluation des artisanats est pour moi très semblable à celle des arts étiquetés “contenus”.
Artistes et artisanəs, vous n’êtes pas des créataires de contenu.
Vous faites bien plus que de créer un contenu. Vous créez de l'art.
Et l'art, ça déborde.
PS : La personne qui a gagné le 2e prix au tirage au sort n’a pas besoin des 6 mois d’abonnement premium offerts et a donc proposé de les remettre en jeu. Pour ne pas refaire un tirage au sort, j’ai choisi une autre technique : la première personne qui commente ce mail en me disant qu’elle est intéressée obtiendra les 6 mois d’abonnements premium.
(Les réponses par mail ne seront pas prises en compte, pour que ce soit équitable.)
J’adore cet article, il correspond parfaitement à mon ressenti. C’est le 1er que je vais repartager sur cette plateforme
Merci pour cette réflexion qui me refait penser ma CONSOMMATION de CONTENUS, le trop plein de et en même temps le vide que ça me laisse. Si je compare avec les œuvres dont je me délectais plus jeune, avant cette ère du contenu, c'est sans appel... Il y a longtemps que j ai envie d'une désintox, tout en sachant que l'omniprésence, la confortable récurrence des "contenus" et ma propre addiction vouent ce pieu vœu à l'échec.
Peut-être que cet article aura allumé une étincelle pour m'aider à suivre la voie que j'espère :)
Je suis demandeur d'une partie 2 si tu as envie de creuser davantage ce sujet !