J’ai adoré Twilight.
Reste, je t’en conjure, je t’assure que cette entrée en matière a une raison d’être !
Ça sang les vampires…
(Oui, je te préviens, je vais faire des jeux de mots encore plus pourris que d’habitude.)
Lorsque j’avais quinze ans, mon père m’a emmenée à New York pour un colloque… auquel je n’ai pas assisté, bien entendu. J’ai donc écumé les librairies, et j’y ai trouvé un roman qui me tentait bien : ça parlait d’amour, de vampires…
Ça avait l’air chouette ! Et en plus, il y avait déjà trois tomes ! Je les ai donc dévorés en quatre jours – et quelques mois après mon retour en France, le premier volet sortait au cinéma.
Je ne reviendrai pas sur l’aspect puritain de la tétralogie (pas étonnant, venant d’une autrice mormone) : je voulais juste évoquer un point qui m’a toujours perturbée.
À chaque fois que Bella, l’héroïne, se blesse, c’est le branle-bas de combat : l’odeur de son sang a des conséquences terribles sur le self-control des vampires qui l’entourent.
Et moi, je me disais : « Et quand elle a ses règles, alors ? Niveau odeur, ça doit être bien intense, pourtant ! »
Je suis donc parvenue à la conclusion que les menstruations n’existaient pas dans la fiction. Et je trouve ça bien dommage !
Une littérature sang besoins physiologiques
(J’avais prévenu !)
Tu t’es peut-être déjà posé la question toi-même : pourquoi Sherlock Holmes ne va-t-il pas aux toilettes ? Pourquoi les besoins physiologiques disparaissent-ils dans la fiction ?
Il y a des exceptions, naturellement : parfois, la « pause pipi » est un prétexte à une scène ou un événement. Elle n’est alors évoquée que dans ce cadre : la sentinelle qui s’éloigne du camp pour se soulager se fait attaquer à ce moment-là, le passage aux WC permet la découverte d’un indice…
Je ne déroge pas à la règle : j’exploite l’envie pressante d’un de mes personnages pour rendre la situation dans laquelle il se trouve d’autant plus tendue, j’évoque l’odeur de déjections pour montrer la misère de la plèbe…
La littérature se passe la plupart du temps de parler de la digestion et ses conséquences, simplement parce qu’on part du principe que ces actes quotidiens, répétitifs et peu poétiques n’ont pas besoin d’être retranscrits.
Les règles du genre
(Ah, il était peut-être un peu moins facile celui-là ? Ça y est, tu l’as compris ?)
Le cas des menstruations me paraît pour autant un peu différent. Oui, il s’agit d’un fonctionnement physiologique que vit la moitié du genre humain (à la louche). L’évoquer n’est peut-être pas des plus lyriques…
Pour autant, j’ai déjà lu des romans qui s’attardaient sur les règles, notamment dans des récits de passage à l’âge adulte, où les premiers saignements – appelés la ou le ménarche (du grec ancien mên (μήν), mois, et arkhê (αρχή) début, commencement) – sont décrits comme ce qui transforme la fille en femme.
Et… je déteste cette idée.
Ce n’est pas parce qu’on se met à saigner que d’un coup on développe de la maturité. Ce n’est pas parce qu’on se met à saigner qu’on est prêt à pratiquer l’acte sexuel. Ce n’est pas parce qu’on se met à saigner qu’on veut devenir mère, tout de suite – ou du tout, d’ailleurs !
Et ce, d’autant plus que les personnes menstruées ne sont pas toutes des femmes !
(Ce qui signifie qu’une personne menstruée peut être père, par exemple.)
Hors du cas de la ménarche, les évocations des menstrues dans la littérature sont plutôt rares. Elles revêtent dans la plupart des occurrences une signification symbolique qui me déplaît, parce que ça me donne l’impression qu’on ne peut parler des règles que si elles se muent en allégorie.
En me renseignant sur le sujet, j’ai découvert qu’une étudiante de l’Université de Poitiers, Julia Barantin, avait fait un mémoire sur le sujet dans le cadre de son M1 de Littératures, Arts et Sciences Sociales en 2018-2019 : « L’épreuve du sang féminin : dispositifs de résistance et réappropriation par la littérature et l’art contemporains ».
Intriguée, j’ai donc parcouru son travail : il m’a confirmé ce que j’avais remarqué, à savoir que le discours autour des menstruations s’ouvrait de plus en plus… mais qu’il était largement absent du canon littéraire. En (grande) partie, parce que la plupart des auteurs de ce canon n’avaient pas de règles.
(Qui l’eût cru ? L’absence des menstruations dans l’art et la littérature est une conséquence du patriarcat ! Incroyable !)
Parler sang détour
(On ne m’arrêtera pas !)
Dans son mémoire – ainsi que son article « Des menstruations et du langage » –, Julia Barantin évoque les très nombreux euphémismes du langage courant pour évoquer les règles ; certaines d’entre elles m’étaient inconnues et m’ont bien fait rire :
Avoir la malédiction, […] repousser les Boers, avoir les Anglais qui débarquent, casser la gueule à son porteur d’eau, […] recevoir le marquis, […] toucher sa paye en rubis, […] avoir le cul dans les fraises, […]
Le mémoire de J. Barantin s’appuie également sur cinq œuvres de la littérature française. La plupart des ouvrages évoqués – Baise-Moi de Virginie Despentes (1994), Mémoire de fille d’Annie Ernaux (2016), La Joie de Vivre d’Emile Zola (1884) et Le Montespan de Jean Teule (2008) – sont des récits ancrés dans le réel.
Seul le roman d’horreur aux notes fantastiques de Stephen King, Carrie (1974), sort de ce genre littéraire. Mais les premières règles de Carrie sont alors l’élément déclencheur du roman, elles servent un but narratif, et ont une symbolique chrétienne assez forte (« anti-baptême » du sang qui la macule à la sortie de la douche).
Sang pour sang fantastique !
(C’était le dernier jeu de mots, promis !)
C’est pourquoi j’ai décidé d’inclure les menstruations dans ma trilogie, Sublimes.
D’une part, je veux travailleur la banalité de leur intégration, en faire un élément normal, peut-être justement une béquille du quotidien, une branche à laquelle se raccrocher pour mes personnages déracinés…
De fait, je me rends compte qu’il me sera difficile d’éviter un aspect symbolique aux menstrues ; il faut juste que je réfléchisse à la nature de ce symbole !
Et d’autre part, je vais leur donner une importance cosmogonique. Je ne peux pas trop entrer dans les détails, hélas, afin de ne pas divulgâcher un point important du premier tome, mais je peux te dire que je vais parler de cycles hormonaux de créatures fantastiques.
(D’ailleurs, Stephenie Meyer évoque dans sa saga (Twilight) les menstruations de Leah, seule louve-garou de la meute : sa mue lycanthrope la prive de ses règles. Le sous-texte me plaît moyen, mais je n’aborderai pas ce sujet. Je me souviens juste que j’avais été agréablement surprise de ce détail dans la construction du monde.)
Voilà, je t’ai parlé d’un sujet qui me tenait à cœur ; sur ce je vais me faire une tisane parce que mes crampes menstruelles ont décidé de se réveiller maintenant (sinon c’est pas drôle).
C'est drôle, toustes mes protagonistes menstrué.es parlent de leurs règles, avec plus ou moins de détail. T'inquiète, la relève arrive, on va te chambouler toute cette morne prose de patriarches fragiles ;)
Je beurk aussi le délire "tu es une femme ma fille, tiens, meet your husband". Dans le même genre, certains délires "féminin sacré" bien en vogue de nos jours me gavent, avec leur essentialisation cis-centrée.