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L’une des raisons pour lesquelles j’ai toujours autant aimé lire, c’est parce que les livres me permettaient de comprendre l’intériorité des personnages.
Leurs réactions sont expliquées, souvent de leur point de vue, les normes sociales suivies par les protagonistes sont éclairées, décortiquées. C’est un terrain d’apprentissage théorique inestimable.
Certes, la pratique n’a pas été toujours évidente, mais tout ce que j’ai appris dans les livres m’a servi d’une façon ou d’une autre à comprendre un peu mieux le monde ou les gens… ou tout simplement à me transporter dans un monde dans lequel la communication n’est pas si ardue.
Également, comme le dit Neil Gaiman, « [la fiction] développe l’empathie ». Lire les points de vue de tant de personnages m’a aidéə à appréhender la diversité des ressentis, des vécus, les infinités de façons dont une phrase, une scène, une action peuvent être interprétées et reçues.
L’effet pervers, c’est que je me fais aujourd’hui souvent avocatə du diable : « mais si Truc a fait ça, c’est peut-être parce que... » et parfois ce n’est pas ce que souhaite entendre mon interlocutricə.
Théoriquement (je dis bien théoriquement), la plupart des personnages que j’ai lus sont censés être neurotypiques. En réalité, il est certain que ce n’est pas le cas, car je pense que de nombreuxes autricəs étaient neuroatypiques, mais c’est un autre sujet !
Cependant, je me suis dit que peut-être certainəs d’entre vous manifesteraient de l’intérêt à découvrir ce qui se déroule dans la boîte crânienne d’une personne autiste, par exemple la mienne.
Après tout, pas besoin de comprendre autrui pour respecter ses demandes et ses besoins… mais ça aide !
Pas plus tard que l’autre jour m’est venue une métaphore du TDAH (Troubles Déficitaires de l’Attention avec/sans Hyperactivité) que j’ai partagée aussitôt avec un ami, qui a rebondi et m’en a proposé une autre pour le TDAH et le TSA (Troubles du Spectre Autistique).
Le TDAH et les Sims
Connaissez-vous le jeu « Les Sims » ? Si non, il s’agit d’un jeu où l’on contrôle un à plusieurs personnages, les fameux Sims, un peu comme si on était une divinité.
On peut par exemple choisir de les laisser vivre comme iels le veulent, en fonction des traits de caractère et des aspirations qu’on leur a choisies lors de la création du personnage : souvent, les Sims sont très nulləs pour s’en sortir sans aide et finissent en dépression ou affaméəs.
De fait, il est beaucoup plus drôle (et efficace) de s’occuper d’elleux et de les guider pas à pas. Pour ce faire, on peut mettre le jeu en pause et leur donner une liste de tâches à faire les unes après les autres, comme par exemple :
manger les spaghetti bolognaise
laver la vaisselle
vider les poubelles
s’exercer au code
jouer du piano
faire des longueurs
prendre un bain
regarder la télévision
aller se coucher
(Bon, ça fait longtemps que je n’y ai pas joué, donc ces tâches ne sont probablement pas texto celles qu’on trouve dans le jeu.)
Normalement, læ Sim accomplit toutes ces tâches l’une après l’autre et tout va bien. Sauf que parfois, il y a des bugs. Ainsi, quand læ Sim a fini la première tâche, le jeu marque toutes les tâches comme accomplies et les fait donc disparaître de la liste d’attente.
Et ça, ça m’arrive très souvent !
Il suffit que j’aie 3 tâches à faire, par exemple lancer la lessive, puis vider le lave-vaisselle, puis lancer l’aspirateur roomba… Une fois que j’ai fait la première tâche, c’est bon : j’ai fait ce que j’avais à faire. Bravo moi, j’ai fini, je peux passer à autre chose !
(Exemple d’aujourd’hui : je suis descendue après avoir écrit ce mail, j’ai lancé la lessive, j’ai vidé le lave-vaisselle, j’ai mangé… et je m’aperçois en relisant ce mail que je n’ai pas lancé l’aspirateur… Allez, on y va ! Fiou, c’est bon, c’est fait, on peut finir la relecture.)
Ce n’est que si mon amoureux me le rappelle ou bien au bout de X temps (et encore…) ou bien en repassant devant l’objet qui traîne à un moment où je suis apte à vraiment voir ce qui traîne (ce qui n’est pas toujours le cas), que les autres tâches me reviendront.
Fait intéressant : ça fonctionne aussi lorsque je change de pièce.
Si je rentre dans une pièce pour accomplir une tâche mais que je ne suis pas activement en train de m’occuper ou de penser à cette tâche, je n’aurai pas la moindre idée de pourquoi je suis rentrée dans la pièce et la tâche passera à la trappe.
Exemple tout bête : je me rends compte quand je suis aux toilettes que le rouleau de papier toilette est presque vide (oui, c’est prosaïque), donc je me dis « ah, il faut que je le change ». Mais une fois que j’ai tiré la chasse d’eau, que je me suis lavé les mains et que je suis sortie de la salle de bain (le stockage de papier toilette est dans le couloir), ma liste de tâches en attente se réinitialise au moment de passer la porte… et j’oublie de remplacer le papier toilette.
En général, j’essaie de me chanter une chansonnette (« laaaancer le roombaaa ») en boucle le temps de finir la tâche précédente, mais ça ne marche pas toujours…
Le bureau mental
Mon ami N. a aussitôt enchaîné sur une métaphore à laquelle il avait réfléchi de son côté et que j’ai trouvé très parlante, donc je vous la présente avec son autorisation.
Il existe deux types de mémoire, long-terme et court-terme, qui peuvent être représentées par un système d’archivage pour la première et un bureau de travail pour la seconde.
Quand une personne neurotypique réfléchit à un sujet, elle sort des archives les informations liées au sujet pour pouvoir le traiter. Une fois qu’elle a fini, elle range les informations dans son archivage et passe à autre chose.
Pour une personne autiste, le fonctionnement est le même… à la différence près que le bureau est incliné. Ainsi, tout document que la personne posera sur la surface va immédiatement commencer à glisser, plus ou moins vite en fonction de l’inclinaison du bureau. Pour peu que la personne n’y fasse pas attention, le temps de sortir d’autres documents des archives, ceux qui étaient déjà disposés sur la table ont glissé, se sont mélangés… et la personne ne sait donc plus où elle en était.
La personne autiste doit donc fournir un effort de concentration supplémentaire pour maintenir ce qui est sur le bureau tout en poursuivant ses recherches dans les archives.
Dans le cas d’une personne TDAH, le bureau n’est pas forcément incliné. En revanche, le système de recherche dans l’archivage est un peu trop performant, c’est-à-dire qu’avec un seul mot-clé, la personne TDAH se retrouvera avec beaucoup plus que ce dont il a besoin pour traiter le sujet. Son bureau finit noyé sous une masse d’informations souvent « inutiles », voire qui n’ont plus rien à voir avec le sujet initial.
Par exemple : on parle de skier, ça fait penser à la neige, à un jeu vidéo qui se passe dans la neige (Frostpunk), au steampunk au général, à un webcomic steampunk sur lequel on a actuellement une hyperfixation.
La personne TDAH doit donc fournir un effort de concentration supplémentaire pour ne pas perdre de vue le sujet initial.
La métaphore de N. me parle bien, notamment parce que je sais que j’ai justement développé un système de compensation. Comme mon bureau glisse et qu’en plus il a tendance à se recouvrir de beaucoup trop d’informations d’un coup, j’ai toujours une boîte de punaises psychiques (pas les insectes, hein) que je pique dans chaque nouveau document et que je connecte par un fil.
Cela me permet de revenir en arrière depuis le dernier sujet abordé jusqu’au sujet initial, parce que j’ai appris à enregistrer non pas les sujets en eux-mêmes mais le point commun qui a fait basculer d’un sujet au suivant.
Parfois ça marche, parfois pas…
Il s’agit de métaphores pensées par des personnes autistes et TDAH, qui ne sont pas du tout fondées scientifiquement, mais qui nous paraissent bien exprimer certains points de nos neuroatypies.
J’espère en tous cas qu’elle vous auront permis d’appréhender un peu mieux le TSA et le TDAH. 😊