Qui aime les commentaires de texte ? Vraiment ?
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(Oui, je teste un nouvel horaire pour mes mails…)
Est-ce que tu fais partie de cielles qui trouvaient toujours que les profs de lettres allaient beaucoup trop loin ?
Est-ce que les analyses qu’iels te proposaient te paraissaient toujours capillotractées (un savant néologisme de 1968 qui signifie « tiré par les cheveux ») ?
Comment ça, l’utilisation du mot « rouge » dans la description des vêtements indique une colère sous-jacente de ce personnage ? À mon avis, l’auteur (accord au masculin à dessein parce qu’on étudiait quand même beaucoup plus d’auteurs que d’autrices – quoiqu’il me semble que ça s’améliore ces dernières années) voulait juste dire… que le pantalon du protagoniste était rouge.
C’est une position qui peut s’entendre – et il m’est arrivé de me faire le même type de réflexion. Certaines analyses peuvent en effet être poussées jusqu’à l’absurde.
D’un autre côté, quand on pousse, on peut tout rendre absurde. C’est d’ailleurs l’une de mes formes d’humour préférées.
En matière d’analyse littéraire, en revanche, ce n’est pas le but : une étude de texte a pour dessein de mettre au jour ce que voulait faire transparaître l’auteur ou l’autrice, ce qu’iel a caché dans le sous-texte, dans la formulation, dans la sonorité, le rythme, dans le choix des mots…
Au lycée, ce type d’exercice me terrifiait. Je ne comprenais pas ce que je devais chercher, ni ce que je devais analyser. Et je ne parle même pas des dissertations…
Tu t’en doutes, je prenais systématiquement l’écriture d’invention, de la sixième à la seconde. Ainsi, je savais que, même si j’étais hors-sujet et que je me plantais… au moins, je me serais amusée !
Hélas, en première L (je pense que tu t’en doutais, mais je précise tout de même), on a commencé à me dire qu’il fallait que j’apprenne à faire des commentaires de texte et des dissertations, parce que les écritures d’invention était moins bien notées par les correcteurices du baccalauréat.
Comme si la créativité valait moins…
(Et, accessoirement, si en première on avait encore le choix entre commentaire de texte, dissertation et écriture d’invention ; en terminale, nul choix possible : commentaire obligé.)
Mon esprit de bonne élève perfectionniste a très vite courbé l’échine : je ne voulais pas risquer une « mauvaise » note aux épreuves anticipées du Bac parce que j’avais préféré exprimer ma créativité plutôt que ma capacité d’analyse.
Bon, mes efforts en première n’ont pas franchement été couronnés de succès. En revanche, en terminale, quelque chose s’est débloqué – notamment grâce à l’étude de la philosophie. J’ai enfin compris ce qu’était un commentaire de texte.
C’était… une chasse au trésor !
Déjà fan des rébus et autres jeux de mots, je devins inarrêtable grâce à cette épiphanie !
(Bon, j’exagère, mais tu saisis l’idée.)
Le commentaire de texte n’était pas quelque chose d’aride, de sec, de purement méthodique. Non, lui aussi portait sa forme de créativité : celle de l’écrivainǝ, qu’il fallait réussir à reconnaître.
Que cherchait-iel à transmettre ? Quels étaient les indices disséminés dans le court extrait choisi – pour une bonne raison – par les profs ? Tout à coup, je redécouvrais cet exercice sous un nouveau jour.
Je continuais toutefois à me demander si chaque détail que j’analysais – désormais avec enthousiasme – avait vraiment été placé là avec soin par l’auteur•ice.
Eh bien, je ne peux toujours pas répondre pour ces personnes dont j’ai étudié les textes. Déjà, parce qu’une grande partie d’entre elles sont décédées, donc à moins de faire du spiritisme, je ne pense pas pouvoir obtenir de réponses.
(Alors, oui, certainǝs autricǝs ont eu des échanges épistolaires très importants, qui ont été rassemblés et édités, et qui contiennent certainement des informations là-dessus. Mais pour d’autres, à moins de parvenir à les invoquer juste pour leur poser des questions sur la tournure d’une phrase en particulier… (ce qui en soi me donne envie, mais je suppose que ça ne concerne que moi) … je pense qu’il faut admettre que nous ne saurons jamais plus que ce que nous sommes capables d’extraire de leurs écrits. Hélas.)
En revanche ! Je peux te parler de mon processus d’écriture !
Plus j’écris, plus je progresse dans mon écriture (une courbe infinie, comme on les aime), plus je m’aperçois que deux cas de figure complémentaires alternent et s’entremêlent.
Parfois, je tourne une phrase, un paragraphe, un passage entier en fonction d’un paramètre bien précis. Je m’applique alors, je cisèle, je choisis chaque mot avec une attention encore plus précise que d’ordinaire, pour être sûre que le rythme (lent ou emballé), la sonorité (douce ou criarde), le niveau de langage (familier ou soutenu) correspond parfaitement à ce que je souhaite faire ressentir à mon lectorat.
Parfois, j’écris au fil de la plume… et ne m’aperçois qu’à la troisième ou quatrième relecture que j’ai inséré, sans m’en apercevoir, un élément de style, de langage, d’intrigue (par exemple un indice). Je dois reconnaître que cette occurrence est plus rare.
Mais je pense que c’est tout simplement une conséquence de l’application que je mets dans le premier cas : on doit se concentrer pour respirer au bon moment lorsqu’on apprend le crawl, mais une fois que la technique est intégrée, cela devient instinctif.
De la même façon, la pratique permet une forme d’instinct dans la création.
Pour tout t’avouer, il m’arrive de temps en temps d’espérer que mon lectorat s’apercevra de ces subtilités que j’ai glissées, de ces sous-entendus à repérer entre les lignes, de ces termes que j’ai sélectionnés avec le soin d’une orfèvre…