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Je t’ai déjà raconté que je m’inspirais de mes rêves, de mes lectures, de ce que je regarde, du jeu de rôle… Pourtant, la source la plus inépuisable d’inspiration à mes yeux reste le réel.
Ce qui peut, bien entendu, paraître paradoxal quand on écrit, comme moi, de la fantasy et autres mondes fantastiques, irréalistes ou oniriques.
Parmi mes convictions, et je pense la partager avec beaucoup d’autricǝs, l’une d’entre elles est la nécessité de se tether, de se rattacher à la réalité – car elle est d’une incroyable richesse, pour peu qu’on prenne le réflexe d’enregistrer ce qui nous paraît pertinent.
Je vais donc aujourd’hui te présenter les catégories (il y en a… trois) d’événements ou de bouts du réel que j’exploite pour mieux écrire.
Observer le réel
La première, la plus « simple », est celle où je me place naturellement en observatrice. Lorsque je me promène, dans la nature ou dans la ville, je regarde autour de moi : les gens, les plantes, les animaux, les constructions…
Je ne me contente pas de regarder avec mes yeux : je sollicite mes autres sens, car pour permettre à celleux qui me lisent de se retrouver mieux encore dans la peau de mes personnage, je dois rendre leurs sensations.
Alors j’essaie de retenir la sonorité d’un rire, la texture de l’air lorsqu’il a plu, le goût d’un mets raffiné, la douceur d’une étoffe ou la dureté d’une pierre. Exprimer les températures, les odeurs, la luminosité d’une fin d’après-midi ne peut se faire que si je me suis attachée à en retenir mon ressenti.
Parfois, l’observation se fait plus prosaïque : je suis allée dimanche dernier au Museum de Toulouse, où se tenait une exposition sur la magie et la sorcellerie et j’ai photographié tous les panonceaux explicatifs pour en avoir une trace… Si bien que je n’ai pas même pensé à prendre en photo les statues, gemmes, plantes et autres éléments exposés !
Ressentir le réel
La deuxième catégorie englobe les bouleversements personnels. Elle s’ancre de fait bien plus dans la subjectivité, dans mon expérience. J’utilise mes traumas, mes douleurs, mes deuils afin de conférer davantage d’authenticité à ce que vivent mes personnages.
Il y a peu, la matriarche de notre tribu féline nous a quittéǝs : afin de rendre ce deuil plus surmontable, j’ai couvert des pages de mon carnet de ma peine. Et, par un triste hasard, je me suis retrouvée peu de temps après à devoir narrer le deuil d’unǝ de mes protagonistes.
Pour l’écrire, j’ai donc repris certaines des phrases que j’avais notées pour gérer ma propre perte. Je les ai adaptées, bien entendu, mais le noyau de douleur qu’on y retrouve provient de mon deuil à moi, ce qui, j’espère, permettra de partager la peine du personnage.
Vivre le réel
Enfin, et pour finir ce mail sur une note plus amusante, la troisième catégorie regroupe les scènes du quotidien. Certaines ne sont pas drôles, comme les disputes, et d’autres permettent au contraire d’alléger le ton.
J’ai par exemple vécu un moment désagréable avec une connaissance, un différend qui nous a opposées. Après notre confrontation, et même pendant qu’elle se déroulait, je me suis dit : « ah, ce qui se passe marcherait très bien pour une scène entre X et Y ».
Je me suis donc inspirée de notre échange, des paroles au langage non-verbal, pour écrire une scène entre deux de mes personnages – une scène importante pour le développement de l’unǝ des interlocutricǝs.
À l’inverse, c’est un souvenir d’enfance que j’ai exploité pour une autre scène.
Je vais te la raconter : l’une de mes sœurs, alors âgée de cinq ans grand maximum, faisait une petite représentation pour mes parents et des amiǝs. Emportée dans son enthousiasme, elle s’emmêle les pinceaux, ce qui suscite l’hilarité de l’assemblée. Furieuse, comme peut l’être une enfant que les adultes ne prennent pas au sérieux, elle s’exclame alors : « arrêtez vos rigolations ! »
Je n’ai pas repris cette scène telle quelle, mais elle s’est réinvitée, du point de vue de mon héroïne – à un moment où je ne m’y attendais d’ailleurs pas du tout. C’est la peur de ne pas être respectée, de ne pas être considérée comme l’égale des autres, qui provoque chez mon héroïne une réaction bien plus agressive que celle de ma petite sœur, et les conséquences de son exclamation se révèlent autrement plus graves que les rires attendris que récolta ma sœurette.
Afin de pouvoir ainsi m’inspirer du réel pour rendre mes récits plus authentiques, j’ai développé une déformation professionnelle – que je partage certainement avec nombre d’autres créatricǝs : tout ce que je vis, je l’expérimente en tant qu’actrice, mais je l’observe aussi en tant qu’autrice.
Je prends sans arrêt des notes, mentales ou sur mon carnet, afin de pouvoir réutiliser tout ce qui m’arrive.
C’est pour cela que malgré mon amour de la solitude, je m’ouvre au monde, je pars à la rencontre des gens, je me promène et je visite, car l’inspiration que l’on peut obtenir entre les quatre murs de son bureau pâlit devant la richesse de la vie ininterrompue.