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J’avais prévu d’évoquer le camouflage autistique dans mon mail de la semaine dernière, car il fait partie du quotidien de nombreuxes autistes qui sont des femmes cisgenres ou des personnes assignées femmes à la naissance (AFAB). Cependant, j’ai trouvé que ce mail était déjà assez long comme ça… et que le camouflage autistique méritait bien son propre mail, car il n’est pas limité aux personnes AFAB !
Également appelé masking ou masquage, le camouflage autistique est une stratégie de compensation utilisée plus ou moins consciemment par de nombreuses personnes autistes.
À ma connaissance, les femmes cis, les personnes assignées femme à la naissance (AFAB) et/ou les personnes qui n’ont pas été diagnostiquées dans l’enfance y sont plus sujettes… ce qui est un peu un serpent qui se mord la queue : plus le masking est efficace, plus il est difficile d’identifier le TSA (Trouble du Spectre Autistique) depuis l’extérieur.
C’est pour cela que de nombreuxes adultes autistes sont à l’origine de leurs démarches diagnostiques : iels sont les seuləs à pouvoir (ou du moins les plus à même d’) identifier leurs difficultés, puisqu’iels les cachent en société.
Vous allez me dire : mais pourquoi se cacher ? Pourquoi mettre en place des stratégies qui paraissent plus néfastes que positives ?
La raison la plus simple, la plus évidente, c’est la peur de l’exclusion.
L’être humain est un animal social et ce n’est pas parce qu’on est autiste (avec l’introversion et/ou le besoin de solitude que ça peut impliquer) qu’on n’a pas besoin de contact humain. La communauté, le soutien, les proches sont nécessaires pour atteindre un bien-être minimum.
Or, les manifestations de l’autisme peuvent compromettre la création de tels liens.
Je vous disais la semaine dernière que si les profs n’identifiaient pas forcément le décalage que vivait unə élève autiste, ses camarades de classe en revanche, si. Très clairement.
L’enfance et l’adolescence sont des phases très importantes dans la construction d’une personne, je ne vous apprends rien. C’est le moment où l’on découvre qui on est, notamment par rapport aux autres. Et si les autres décident que tu es une personne bizarre et te le font savoir… tu te demandes ce que tu as bien pu faire pour provoquer ce traitement.
Quand on te dit : « mais ça me gave tes histoires de mythologie » alors que tu partageais ta passion en pensant que ça ferait plaisir à l’autre…
Quand quelqu’un fait une remarque que tu prends pour un compliment mais que toute l’assemblée rigole, sans que tu comprennes ce qui était drôle (et que tu te demandes si, du coup, c’était peut-être à tes dépens, mais que t’es pas sûre malgré tout)…
Quand tu as eu l’impression de suivre les consignes, mais qu’on te dit que ce n’était pas ça, et que quand on t’explique enfin (pourquoi ne pas expliquer tout de suite et laisser ces consignes trop vagues ???), tu y arrives sans problème…
Tu commences à comprendre que y a un truc.
Les autres comprennent les choses mieux que toi. Pas comme toi, en tous cas. Et plus tu montres que t’es en décalage, plus le décalage s’accroît. Et même si ça te va bien d’être tranquille avec tes bouquins, les camarades de classe, les potes, c’est important, tu le sais.
Commence alors un exercice délicat : copier les gens, copier les personnages des livres, des films et des séries que tu regardes, analyser les réactions des autres en permanence, pour essayer de comprendre la bonne façon de réagir.
Tu es la seule à être dérangée par ce bruit ? Serre les dents.
Personne d’autre ne réagit à cette odeur ? Respire discrètement par la bouche et surtout, surtout, ne te bouche pas le nez.
Tout le monde rit à cette blague que tu n’as pas comprise ? Ris aussi !
Quelqu’un parle d’un sujet grave ou triste ? Il faut absolument que ton visage montre que tu partages cette douleur, sinon tu seras prise pour une personne insensible.
Tu ne comprends pas l’intérêt de cette conversation, mais les autres ne sont pas intéresséəs par les thèmes qui te tiennent à cœur ? Renseigne-toi à fond sur ce sujet afin de pouvoir participer… et, dommage, c’était le hot topic de la semaine dernière et on est déjà passé à autre chose.
On te dit « écoute-moi ! », alors que tu écoutes déjà, et tu finis par comprendre que les gens ont besoin que tu les regardes dans les yeux pour considérer que tu les écoutes, alors tu te forces à les fixer… Mais pas vraiment dans les yeux, parce que c’est très désagréable. Tu regardes entre les yeux, ou la couleur de l’iris, ou un point derrière leur tête, ce qui te demande de la concentration… et finalement, tu écoutes moins bien que si on te laissait regarder ce que tu voulais, mais bon.
Bref, on met en place des stratégies plus ou moins efficaces pour limiter la casse et essayer de se fondre un peu mieux dans le moule social. On reste bizarre, parce qu’on ne peut pas réécrire totalement son fonctionnement, mais un bizarre supportable. Un bizarre qui permet d’avoir des potes et une vie sociale, de limiter l’omerta et les moqueries.
(J’ai l’impression que ça fait très « plaignez-moi, bouhouhou » mais ce n’est pas du tout le but. Je regarde ça avec un recul un peu amusé, un peu gêné et, oui, un peu triste, mais le but n’est pas d’être plainte. Juste d’expliquer et de montrer.)
Toutes ces stratégies forment le fameux camouflage social.
En fait, ce camouflage comprend deux aspects : d’une part, le masquage des caractéristiques de l’autisme (les intérêts spécifiques, les sensibilités sensorielles) et d’autre part, la compensation des compétences sociales absentes ou moins performantes que chez les personnes allistes (non-autistes).
Plus on grandit, plus on se rend compte de nos insuffisances (parce que quand on n’a pas de diagnostic pour expliquer, on en conclut que le problème vient de soi, qu’on fait éternellement quelque chose de travers et que c’est de notre faute, parce qu’on n’essaie pas assez fort et que si on s’appliquait encore plus, ça marcherait).
On se rend aussi compte qu’on ne peut pas avoir le même comportement avec tout le monde. Pourquoi les autres parviennent-iels à s’adapter d’un coup, comme ça, même quand ce n’était pas prévu ?
Qu’à cela ne tienne, on se fabrique différents masques : un pour les camarades de classe, un pour les profs, un pour les amiəs des parents, un pour les collègues d’activités extra-scolaires ou périscolaires… et on apprend à jongler entre les masques pour que tout le monde soit content.
Fiou, quand on a fait l’équilibriste toute la journée, ça crève.
Alors oui, les avantages du camouflage sont indéniables : ce sont ceux que j’ai évoqués ci-dessus, ceux qui poussent justement à le mettre en place.
Mais les conséquences négatives ne sont pas à sous-estimer.
D’abord, la fatigue.
Plus ou porte le masque, plus on tire sur ses réserves d’énergies (les fameuses cuillères que les personnes handicapées ont en nombre limité). Et on continue à puiser dedans jusqu’à s’écrouler.
Pendant près de 25 ans, j’étais tout le temps malade.
Premier jour des vacances ? Paf, grosse grippe. (Et le nez qui coule pendant le reste de l’année.)
Période d’examens bien stressante ? Maux de ventre insoutenables.
Sans parler de mon besoin de sommeil supérieur à la moyenne : j’ai besoin de près de 10h de sommeil pour être en forme… mais je souffre aussi d’insomnies, ce qui ne facilite pas le maintien de ce délicat équilibre quand je dois suivre un rythme circadien qui n’est pas le mien.
Ensuite, l’isolement social.
Oui, parce que, je ne vais pas vous surprendre, quand on porte un masque en permanence, c’est dur de s’ouvrir, même auprès de ses meilleurəs potes. Certains points, oui. D’autres, c’est plus difficile.
Et ce qui n’est pas dit reste enfermé et a tendance à pourrir sur pied. Ce qui alimente notamment les comorbidités : dépression, trouble anxieux…
Surtout, la confusion identitaire.
Je dis « surtout », parce que je sais que ça été la conséquence la plus importante du masking pour moi.
Ado, je me regardais dans le miroir et je ne savais pas qui j’étais.
J’avais tellement l’habitude de porter un masque – des masques – en toutes circonstances, que quand je me retrouvais seule avec moi-même, j’avais du mal à me reconnaître.
Sous le masque, il n’y avait que du néant.
Un vortex d’intérêts, d’émotions, de sensations que je cachais depuis si longtemps que je ne savais plus comment y accéder. Comment les toucher. Comment me les réapproprier.
C’était probablement d’autant plus dur que, comme une bonne proportion d’autistes, je suis sujette à l’alexithymie (mot barbare que j’ai fait répéter et épeler à ma psy la première fois qu’elle l’a utilisé afin de pouvoir – naturellement – me renseigner sur le sujet dès la séance achevée).
L’alexithymie se caractérise par une difficulté d’une part à ressentir ses propres émotions et d’autre part à les exprimer. Elle peut notamment faire partie du TSA ou surgir à la suite de traumatismes.
En psychothérapie, ces dernières années, j’ai beaucoup travaillé sur la reconnaissance empirique (par l’expérience) de mes émotions, en me basant notamment sur mes réactions physiques (douleur au ventre = anxiété, exaltation de la cage thoracique = joie, tension musculaire = stress… chez moi hein : ça dépend des personnes !).
J’ai aussi appris – ou plutôt, ré-appris – à me connaître. J’ai viré les bouts de masque qui ne m’intéressaient plus, j’ai arrêté de prétendre d’être une adulte, j’ai exhumé les parties de moi que j’avais enterrées parce qu’elles n’étaient pas correctes, normales, respectables, que sais-je.
Avec le soutien indéfectible de mon amoureux ❤️, le suivi thérapeutique, le diagnostic, la possibilité de m’ouvrir mieux et davantage auprès de mes potes, cette newsletter aussi, j’ai enfin entrepris de construire et (re)découvrir mon identité.
(Il n’est pas étonnant que l’identité et la recherche d’icelle fassent partie des thèmes principaux de ma trilogie… et probablement d’une grande part de mon œuvre passée, présente et future.)
Je crois que ce n’est pas pour rien qu’on dit que lorsqu’on a un diagnostic de TSA à l’âge adulte, on vit enfin son adolescence (ou une deuxième adolescence). Pareil pour les personnes trans ou queer qui le découvrent passés vingt ans : la première adolescence, celle du lycée, on ne l’a pas vraiment vécue, parce qu’on était à côté de ses pompes. On n’était pas vraiment soi-même.
Le camouflage autistique est une nécessité dans une société où la différence est si facilement reconnue, pointée et exclue.
Si on veut être intégréə, on doit s’adapter du mieux qu’on peut, même si ça ne sera jamais assez et que ça des conséquences importantes sur la santé physique et mentale.
Seulement, plus le masque est efficace, plus les symptômes visibles de l’autisme s’effacent, si bien qu’on peut être confronté à des proches ou même du personnel médical qui affirme qu’on n’est pas autiste sur la base d’observations superficielles. (Par exemple : « vous êtes capable de me regarder dans les yeux, vous ne pouvez donc pas être autiste ».)
Si on camoufle trop bien, alors on n’est pas vraiment autiste. Du moins, on n’en a pas l’air… Enfin, ça c’est une autre histoire.
Sur ce, on fait une petite pause sur le sujet du TSA pour les prochaines semaines, mais on y reviendra.
Vous l’aurez compris, c’est un thème qui me tient à cœur et c’est l’occasion d’informer et de sensibiliser sur le sujet. J’ai prévu d’évoquer l’autisme dans le milieu professionnel, mon parcours diagnostic, ainsi que le fameux « t’as pas l’air autiste ».
Si vous avez d’autres questions à ce sujet, n’hésitez pas à me les poser en commentaire ou par retour de mail !
Hello ! Je découvre tes articles sur l'autisme un peu tard, et un passage m'a marqué :
"Je crois que ce n’est pas pour rien qu’on dit que lorsqu’on a un diagnostic de TSA à l’âge adulte, on vit enfin son adolescence (ou une deuxième adolescence)."
Est-ce que tu as des ressources sur ce sujet ? Ca m'intéresse particulièrement en ce moment.
heute bin ich wieder sehr beeindruckt und dankbar, dass du das alles schreibst....man lernt viel, von dir persönlich und von deinem Wissen....lieben Gruß.