Aujourd’hui paraît La Chimère, le premier tome de ma trilogie Sublimes !
Sept camarades de l’Académie se réveillent sur l’herbe argentée d’une prairie inconnue.
S’ils pensent d’abord à un examen de simulation, les majors de la promotion sont vite rattrapés par la réalité. Piégés dans une étrange citadelle, ils deviennent les proies du jeu sadique auquel s’adonne une cour charismatique de jeunes nobles hédonistes… et anthropophages.
Qui des amoureux, de la jardinière, de l’actrice, du sportif ou des stratèges remportera la victoire ? Qui sera dégusté ?
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Sans plus attendre, voici ci-dessous le premier chapitre de La Chimère - bonne lecture !
(Attention, comme le reste du roman, ce chapitre n’est pas exempt de violence.)
Temps de lecture : 10 minutes
Pascal
Autour de lui s’étalait une immense prairie. Aucun bâtiment, aucun bruit, aucun moyen de s’orienter. Pascal tourna sur lui-même. Où était-il ? Pourquoi se sentait-il aussi vaseux ? Quelle heure était-il ? Depuis quand portait-il son uniforme ? Il fouilla ses poches à la recherche de sa navi, en vain. Impossible de se repérer sur le plan satellite.
Un banc de nuages dissimulait le soleil, alimentant une bruine glaciale des plus inhabituelles. La faible lueur grise conférait aux alentours une ambiance fantomatique digne d'un vieux film d'horreur. Afin de réchauffer ses membres glacés, Pascal se secoua. Sa chemise humide lui collait à la peau.
Peut-être rêvait-il ? Il se frotta les yeux, se pinça le bras, se claqua les joues. La douleur lui confirma qu’il ne dormait pas, sans pour autant le rassurer. Quelque chose clochait. La couleur de l'herbe, pour commencer. Il avait beau essayer de se convaincre du contraire, elle détonnait. Elle était… blanche ? Grise ? Parfois, elle miroitait d’argent. Plus que tout, la pureté de l’air l’interloquait. Le silence ouateux l’étouffait, la brume digérait le moindre son. Il se racla la gorge, intimidé. Le bruit se perdit, avalé par l’épaisse vapeur.
— Ohé ?
Alors qu'il se résignait à sa solitude, un son lui parvint, sépulcral et lointain : hé-o, hé-o.
— Ohé ? réitéra-t-il. Y a quelqu'un ?
Il tendit l'oreille, prêt à renouveler l'appel. La perspective de trouver d’autres personnes le réconfortait d’avance.
— Oui-i-i, par ici-i-i, entendit-il.
Dans le brouillard, la voix semblait venir de partout et de nulle part à la fois. Existait-il des mirages auditifs ?
— Où ça ? lança-t-il. J'entends mal !
Il avança d'un pas, puis se ravisa.
— Ici ! répondit son interlocuteur invisible, après quelques trop longues secondes.
Pascal se retourna d'un bond. Si près ? La voix lui avait paru plus lointaine. Pourtant, la brume s'ouvrit sur une pâle naïade blonde. Ses longs cheveux recouverts de rosée lui collaient aux épaules. Des perles transparentes au creux de ses cils et sa robe blanche alourdie par l’eau parachevaient l’illusion mystique.
Il soupira de soulagement en reconnaissant la nouvelle venue. Gabrielle, une de ses camarades de classe, présentait aujourd'hui son aspect féminin. Bien qu’il soit habitué à la fluidité de genre de son amie, elle le surprenait toujours. Parfois Gabrielle, souvent Gabriel, l'élève changeait de pronom au gré de l'identité qui s'imposait, en fonction des heures, des jours et même des semaines.
Rasséréné par sa présence, il l'enserra dans une étreinte d'ours. D’abord inquiète, elle se détendit pour joindre son rire au sien.
— Ça va aller, Pascal, tu peux me reposer.
Il s’exécuta, puis discerna derrière elle d'autres silhouettes qu’il identifia sans peine. Victor, son partenaire en Histoire de l'architecture, arborait l'air ennuyé de celui qui ne veut pas montrer son inquiétude. Ses yeux bruns dardaient de-ci de-là sous sa frange décolorée. À sa suite, bras-dessus-dessous, émergèrent deux autres étudiants que Pascal connaissait moins, Juliette et Tristan. La première, aussi grande et large d’épaules que lui, le visage auréolé d’un carré noir en bataille, levait haut son menton. Muscles en tension, elle semblait prête à se lancer dans un sprint ou une diatribe enflammée. Son compagnon tirait sur sa chemise, empêtré de ses longs membres fins. Enfin, Lucrèce, dont les flamboyantes bouclettes avaient doublé de volume sous l'effet de l'humidité, fermait la marche, l’air soupçonneux.
— Tu sais ce qui se passe, toi ?
— Non, répondit Pascal.
— Une simulation ? suggéra Juliette.
Pascal s’apprêtait à contredire la jeune femme quand Victor le prit de vitesse :
— Mais non, il y a toujours un brief avant !
— Et si cette fois, c'était un entraînement-surprise ? À Xīn Běijīng, il y en a souvent.
Xīn Běijīng ? Après un instant de confusion, Pascal se rappela que Juliette participait au programme d’échange avec l’Académie et leur venait du Comptoir chinois.
— Avec une équipe aussi hétéroclite ? demanda Tristan.
Juliette lui adressa une moue étonnée. Elle ouvrait la bouche pour rebondir, mais fut à nouveau interrompue par Victor, dont le ton s’acidifiait :
— Ouais, qu'est-ce que c'est que ce groupe ? On a deux stratèges…
— Un seul athlète, se désigna Pascal.
— Et le reste, je n’en parle même pas ! conclut Lucrèce.
Stratèges, athlètes, spécialistes de terrain, médic et parfois linguistes composaient les équipes d'entraînement tactique en réalité virtuelle, selon le type de mission. Bien que l’hypothèse de ses camarades ne manque pas de logique, quelque chose soufflait à Pascal qu’elle était erronée.
Il se tourna vers Gabrielle :
— Tu fais des sims, toi ?
Elle pouffa, petite note cristalline vite engloutie par l'oppressant silence.
— Non, mon seul terrain d'entraînement est la scène.
— On doit être dans une sim très bizarre, s’entêta Lucrèce. Raison de plus pour s’appliquer !
Pascal soupira. Comme à son habitude, convaincue qu’il s’agissait d’un énième examen universitaire et déterminée à exceller, la major de l’Académie partait bille en tête.
— Donc, Victor et moi sommes les stratèges et Pascal l’athlète. Et vous ? demanda-t-elle au couple.
Avant qu'iels ne réagissent, une autre voix se fit entendre :
— Euh, dites, je suis là, aussi…
La femme qui venait de parler, petite quinquagénaire au teint bistre à peine plus clair que celui de Lucrèce, détonnait avec le reste du groupe.
— Yolande ? s’exclama Juliette.
— Qui êtes-vous ? coupa Victor.
— Je suis paysagiste à l’Académie.
— Dommage, une prof aurait été plus utile.
Cachée sous sa chevelure châtain, la concernée haussa les épaules. Pascal fronça les sourcils. Pas de navi pour se repérer ou contacter la hiérarchie, pas d’avertissement de mission, un groupe inhabituel – dont une employée de l'Académie. Sans parler de l’environnement hors normes. Les simulations bluffaient le regard et les rendus météorologiques s'amélioraient ; pour autant, la technologie ne reproduisait pas si bien le goût de l'air, ni même la moiteur de la brume. Et cette végétation improbable ? Si c’était une sim, il n’en avait encore jamais vu de telle !
C’est alors que Victor reprit la parole, se grattant la tempe :
— Dites, j'ai l'impression d'avoir un trou de mémoire… C’est quoi votre dernier souvenir avant maintenant ?
Il y eut un bref silence, que Gabrielle rompit :
— Je pense que j’étais en répète…
— Moi j'avais pas cours, je ne suis pas sorti de chez moi, dit Victor.
— Ouais, on allait au cinéma, maintenant que j'y pense, confirma Tristan, un bras posé sur les épaules de son aimée.
— Oh non, commença Lucrèce, le visage livide. Oh non…
Tous les regards convergèrent sur la jeune femme. Savait-elle ce qui leur arrivait ? D'une voix saccadée, elle poursuivit :
— Mère doit être furieuse ! J’ai raté mon rendez-vous à la clinique !
Un soupir d'agacement collectif lui répondit. Un rendez-vous manqué à la clinique d’amélioration génique n’aurait pas vraiment de conséquences sur le futur de la major de promo. Pascal reprit d’une voix songeuse :
— C’est bizarre, non, comme début de sim…
— Oui, mais alors quoi ? coupa Juliette. Si c'est pas une sim, qu'est-ce qu'on fait ici ? Et où est-ce qu'on est ? Qu'est-ce que t'en penses ? sollicita-t-elle son compagnon.
Tristan se mordait nerveusement la lèvre inférieure.
— Rien de tout ça n'a de sens, dit Lucrèce, vexée.
Avec un mouvement impérieux de la tête, elle se détourna du groupe et fit mine de s'éloigner. Pascal la rattrapa par le bras.
— On n'y voit rien, on sait pas ce qu'il y a autour… Il vaut mieux ne pas se séparer.
Elle se dégagea d’un geste sec. Qu'elle était pénible ! Il leva théâtralement les yeux au ciel, ce qui fit glousser Gabrielle.
— Lucrèce ! insista-t-il. Reste avec nous !
Peu importe la situation, une vraie cohésion de groupe s’imposait, c’était la première règle qu’on lui avait enseignée. Mais la jeune femme demeura silencieuse, déterminée à le distancer.
— Ralentis, tu ne sais pas où tu vas !
Elle fit volte-face, le regard furibond.
— Vous non plus, que je sache ! Faut bien qu'on fasse quelque chose, non ?
Il acquiesça, espérant lui communiquer un peu de calme. Sans succès : Lucrèce se délitait face à l’imprévu.
— Qu'est-ce que c'est que cette épreuve de merde ?!
L'écho lui répondit, caverneux et sonore. Étonné, Pascal s'avança. Lucrèce fit un pas en arrière, pensant qu'il voulait la retenir. Et puis, Pascal vit le gouffre dans lequel se réverbéraient encore les restes de l'invective – merde, –erde, –de… Les traits de l’académicienne se décomposèrent tout à coup, prêts à se dissoudre dans le vide qui l'appelait, qui tirait sur le pied qu'elle avait cru poser sur un sol tangible. La panique jusque-là refoulée transparut sur son visage, exacerbée par la certitude d'une chute mortelle. Mû par un réflexe inespéré, Pascal la saisit par la manche. Lucrèce tomba dans ses bras, pour s'en dégager aussi sec. Il retint un « Je te l'avais bien dit » qui n'aurait rien arrangé tandis qu’un triomphe narquois réchauffait son abdomen. Même une petite victoire se savourait ! Prudente, elle s’éloigna du précipice, puis s’assura que personne n’avait assisté au fiasco.
— Euh… vous avez vu ça ?
Victor pointait du doigt quelque chose, de l'autre côté du ravin. Curieux, Pascal s’approcha du bord, attentif à la démarcation entre le sol et le vide. Le gouffre s'enfonçait jusque dans des profondeurs abyssales, les aspérités rocheuses disparaissaient dans une noirceur épaisse, opacifiée par le brouillard descendant. De l'autre côté de l'à-pic siégeait une citadelle fortifiée, très différente des forteresses qu'étudiait Pascal. Pas de meurtrières ni de créneaux à l'européenne, pas de tours ottomanes, pas de colonnades ni de mosaïques. La pierre blanche, brute, veinée d'argent irisé, s'élevait en une myriade de dômes et de coupoles qui pointaient de l’intérieur de la muraille, surplombées d’une haute aiguille dressée vers le ciel. Un unique morceau de verre soufflé par un géant complétait le tableau, sans doute le toit d’une serre.
L'ensemble donnait l'impression d'un… gâteau de mariage trop élaboré ? Non, cette comparaison ne rendait pas justice à la merveille architecturale. L'intelligence artificielle des nouvelles méga-imprimantes 3D elle-même n'aurait su engendrer une construction si fantasmagorique. La citadelle trônait sur une large colonne rocheuse au centre du précipice. Comment franchissait-on ces douves naturelles ?
Fasciné, Pascal entreprit de longer le bord de l'abîme, suivi par les six autres, tout aussi éberluées par l’invraisemblable forteresse. La brume commençait à se dissiper et rejoignait le gouffre, aspirée par les profondeurs. Le vide vertigineux s’effaçait sous cette nappe faussement rassurante, car le brouillard n'arrêtait pas la chute d'un corps… Au mieux étoufferait-il ses hurlements de terreur. Autour d'ielles, l'horizon se dégageait, des kilomètres de prairie vallonnée ondoyant d’or et d’argent sous les rayons d'un timide soleil. Pascal discerna enfin ce qu'il cherchait : le bandeau gris d’une route. Arrivant d'on-ne-sait-où, la voie aboutissait sans transition sur le vide abyssal. Il y avait forcément une passerelle pour rejoindre la ville !
Excité par la bonne nouvelle, Pascal se tourna vers ses collègues d'infortune :
— Regardez, si on suit la route, on trouvera peut-être des gens pour nous aider !
Tristan et Juliette manifestèrent leur enthousiasme, mais Lucrèce, Victor et même Gabrielle demeurèrent circonspectes. Yolande, bras croisés, haussa les épaules. Elle comptait sur les jeunes pour régler le problème.
— C'est hors de question, dit Victor. On sait pas où on est, on sait pas si c’est une sim… En tant que stratège, je te l'affirme : la route, c’est toujours un piège.
Pascal fronça le nez. Victor et ses grands chevaux…
— En tant que stratège, répéta Lucrèce, je confirme. Pas question de perdre des points pour une erreur de débutante ! Pas aussi près des examens !
L’athlète haussa les épaules. Si ces deux prétentieux à la rivalité de pacotille se croyaient toujours en réalité virtuelle, iels manquaient d’expérience.
— C’est pas une sim !
— Alors pourquoi on n’a pas encore été géolocalisées et récupérées ? demanda Lucrèce en désignant l’intérieur de son poignet, là où avait été implantée la puce que portait chacune d’entre ielles.
D’irrégulières percussions métalliques mirent un terme au débat. Pascal en chercha aussitôt l’origine. Entre les collines, tirée par deux chevaux, se dessinait une… calèche ? Désuet, l’attelage confirma les soupçons de Pascal : la forteresse était habitée ! Tendu de toile, tout droit sorti d’un film d’époque, un lourd coche avançait. Deux individus se tenaient à l’avant. Les équidés cheminaient d'un pas régulier, leurs sabots résonnant contre la pierre.
Pascal se mit à courir vers la route, luttant contre ses inquiétudes : et s'il n'arrivait pas à temps ? Si les gens ne s'arrêtaient pas ? Si le pont ne restait pas ouvert assez longtemps ? Sa course devint sprint. Très vite, il bondissait à travers l'herbe mouillée.
— Pascal, non ! s’écria Gabrielle.
Il décida de l'ignorer.
Inspirer sur trois temps, expirer sur deux, un-deux-trois, un-deux, un-deux-trois, un-deux, ne pas se laisser essouffler et puis éviter le point de côté, un-deux, un-deux-trois, un-deux. Le carrosse filait, il s’en rapprochait. Il ne fallait pas ralentir, il y était presque ! Il obtiendrait de l'aide pour tout le monde, il leur prouverait qu’iels se trompaient : iels vivaient une aventure bien plus étrange qu’une sim !
La diligence freina tandis que Pascal parcourait les derniers mètres. Il s'arrêta afin de reprendre sa respiration, calmer son cœur et préparer ses mots. Derrière lui, au coude à coude, Tristan et Juliette arrivaient à grandes foulées. Victor et une Yolande rouge d’effort surgissaient du haut d'une des petites collines, suivies par Lucrèce, la méfiance inscrite sur ses traits. Enfin, Gabrielle se montra, au pas, ce qui ne manqua pas d’irriter Pascal : il ne comprenait pas pourquoi son amie refusait aujourd’hui de lui faire confiance. Il aborda le véhicule.
Le conducteur et son passager, vêtus d’uniformes militaires démodés, descendirent de voiture. Le tissu, trop manufacturé par rapport à la coupe surannée des habits, rappelait à Pascal des reproductions mal documentées d'atours historiques. Leurs armes, des baïonnettes, étaient en revanche criantes de réalisme. Celui qui portait un sabre au côté se dirigea vers lui.
— Nom ? Origine ?
— Je-je sais pas, je suis perdu… Mes amies aussi – il leur indiqua les autres qui arrivaient – on cherche de l'aide.
Avisant les six camarades de Pascal, le chef fit signe à son acolyte d'approcher. Deux soldats sortirent de l'arrière du chariot. Tristan et Juliette couvraient la distance restante d’un pas désormais tranquille. Yolande et Victor attendaient les retardataires.
L’épéiste tint un court aparté avec ses hommes, à dix pas de lui. Pascal tendit l'oreille, attentif au moindre signe de danger, et crut entendre le mot « joueur ». De quoi parlaient-ils ? L'officier ne lui donna pas l’occasion de grappiller la moindre information :
— Nous allons vous aider. Appelez vos amis.
La sourde inquiétude de Pascal se volatilisa. Il tourna le dos au capitaine, agita les bras vers ses camarades, cria de tout son souffle :
— Venez, venez, ils vont nous aider !
Tristan et Juliette le rejoignirent. Yolande et Victor se hâtèrent à leur tour, animés par ses encouragements.
— On est sauvées, venez !
Iels franchissaient les derniers mètres, quand Pascal sentit un mouvement vif de la part du militaire. Il n'y prêta pas attention.
La seconde d'après, il sentit une douleur aussi fugace qu’insoutenable.
Le ciel s'envola, le sol se précipita vers lui.
Était-ce son corps décapité, là-bas, qui s'écroulait ?
J'avoue ne pas avoir relu ce premier chapitre : il me semble le connaître déjà par cœur ! Bravo pour la sortiiiiiie
Ça suffit j'ai déjà trop de livres à lire et pas assez de temps pour le faire 😠