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Je voulais écrire un mail sur l’autisme et le milieu professionnel… mais je me suis aperçue à mi-chemin que cet article serait bien trop long. Voici donc le premier mail dédié au sujet, concentré sur mes expériences professionnelles de bureau.
J’ai eu en tout et pour tout six missions en bureau, qui ont duré plus ou moins longtemps (de 3 mois à 2 ans).
Ma première expérience fut mon stage de M1, dans une agence de presse, un véritable repaire de requins où le sous-entendu régnait et les heures supplémentaires gratuites étaient attendues.
J’étais censée faire 6 mois de stage.
J’ai fondu en larmes au milieu du bureau au bout de 3 mois et j’ai démissionné le jour même.
Un exemple d’incompréhension autistique me vient facilement : alors qu’une directrice d’une maison d’édition représentée par l’agence de presse me présentait la couverture d’une biographie d’un groupe de rap très célèbre, j’ai eu le malheur de répondre « oh, moi je n’aime pas trop le rap… [gros blanc] euh, mais la couverture est chouette, oui ». La directrice de la ME a appelé ma supérieure pour lui faire part de cet impair de ma part et je me suis fait engueuler.
C’est ce moment qui m’a mis la puce à l’oreille : ce milieu n’était pas fait pour moi.
Deuxième expérience : stage de M2 en agence de voyage, au service technique, qui s’est transformé en CDI.
Je suis restée environ deux ans. Dans l’ensemble, l’expérience a été épanouissante, notamment grâce à des collègues et des supérieurəs compréhensivəs, qui ont vu mes qualités et mes défauts et ont su adapter le poste (il s’agissait d’une création de poste ce qui a facilité les choses). Je me suis cependant fait avoir une fois ou deux : j’ai priorisé les aspects de la mission que je préférais, à tel point d’en oublier les aspects moins intéressants… mais capitaux ! Oups.
Point intéressant : lorsque je suis partie, j’ai été remplacée non par une mais par deux personnes pour le même poste, tant je m’étais approprié de « nouvelles » tâches (celles qui m’intéressaient davantage).
Bon point de cette mission : le bureau du service technique était isolé, plutôt calme… et j’avais le droit de travailler avec ma musique dans les oreilles ! Les tâches étaient également très standardisées, avec un cahier des charges clair et des échanges directs (« réserve tous les hôtels pour le voyage n° XXX, chambres doubles non-fumeurs »).
J’ai quitté cette mission parce que je voulais explorer d’autres objectifs professionnels (qui n’ont pas abouti, mais fallait bien tenter), non sans avoir laissé une procédure de 200 pages avec captures d’écran et explications étape par étape de tous les aspects de la mission.
Oui, j’adore rédiger des procédures et des modes d’emploi… si bien que j’en ai laissé à chaque fin de mission après celle-ci.
Lorsque j’ai repris le travail en bureau, je suis cette fois passée par de l’intérim, notamment parce que la délimitation des missions dans le temps me rassurait.
J’ai eu énormément de chance pour les deux contrats qui ont suivi : petites équipes et N+1/+2 adorables, qui ont tout de suite identifié les points que je maîtrisais et ceux qui me posaient davantage problème. Je garde un très bon souvenir de ces deux missions, car la bienveillance de mes supérieures m’a également beaucoup aidée à prendre confiance en mes compétences !
Les deux dernières missions, elles, ont été moins agréables : pour la première, pas le droit d’écouter de la musique, bureau bruyant et très peuplé, missions moins clairement définies.
Quant à la dernière, il s’agissait d’une mission de téléconseil… on ne m’y prendra plus ! (Interdiction au portable ou au papier pour des raisons de confidentialité : d’accord, je comprends. Mais pourquoi diable n’avais-je pas même le droit à un scoubidou pour m’occuper les mains entre deux appels ????)
Tout récemment, j’ai fait une mission d’éditrice freelance en télétravail.
Pour la première fois, mes collaboratrices étaient au courant de mon TSA et le poste a été adapté à mes besoins. La communication avec mes collègues était fluide, je n’étais pas dans l’anxiété la plus totale à chaque mail écrit, envoyé ou reçu… mais j’ai finalement mis fin à la mission, car le community management représentait deux tiers de mes tâches. Or les réseaux sociaux sont une énorme source de stress et d’anxiété pour moi, j’ai donc finalement décidé d’arrêter pour me préserver (j’avais prévenu la maison d’édition que le community management n’était pas vraiment mon truc lors de mon embauche).
Je pense que je suis assez chanceuse, puisque la moitié de mes expériences professionnelles s’est bien passée. Mon camouflage autistique « hors pair » a certainement joué (wouhou).
Cependant, je me souviens bien de mon état en fin de journée quand je travaillais en bureau : à peine la porte de la maison passée, je n’étais plus capable de faire quoi que ce soit, totalement crevée, cuillères à sec. Même me nourrir était insurmontable (merci à mon amoureux d’avoir revêtu la toque du chef à domicile et de ne l’avoir jamais retirée).
Autant vous dire que je n’ai pas écrit une seule ligne d’écriture créative quand je travaillais en bureau. Rien. Nada. Zéro création.
De nombreux petits éléments s’accumulaient.
Ainsi, je portais ce que je pensais être un style vestimentaire adapté au bureau… mais visiblement aux bureaux des années 50, comme je l’ai appris lors de ma dernière mission.
(Qu’est-ce qu’on est censé porter au bureau ? Il faut que ce soit confortable, sinon je ne survis pas à la journée, mais que ça fasse sérieux. Est-ce que ça veut dire que certaines couleurs ne sont pas autorisées ? Que les jupes ne peuvent pas remonter au-dessus du genou ?)
Je me concentre mieux quand je peux m’isoler du bruit et de la stimulation extérieure, donc pouvoir écouter de la musique est nécessaire. Quand ce n’est pas possible, je m’épuise… ou je triche, ce qui hausse mon stress parce que je me sens coupable.
Si la tâche n’est pas clairement explicitée, je suis obligée de redemander 4, 5, 6 fois, jusqu’à avoir tous les éléments… et je passe pour une incompétente, alors que j’ai juste du mal à « deviner » les étapes intermédiaires.
Exemple : « Fais la veille sur ce sujet » : oui, d’accord, mais à quel degré ? Combien de temps ? Combien d’articles dois-je lire ? Comment doit être présenté le résultat de la veille ? Quel est le but de cette veille (histoire que je sache comment orienter mes recherches) ?
(Et puis, déjà, c’est quoi une veille ?)
J’ai beaucoup fumé par sociabilisation, parce que je n’arrive pas à bavarder pendant que je travaille (et que les conséquences d’interruptions sont compliquées à gérer). La pause clope est un moment clair de sociabilisation pendant lequel je peux mettre en pratique mes connaissances théoriques sur le bavardage et le small talk. Avec plus ou moins de succès en fonction des atomes crochus avec mes collègues.
(Bon, maintenant j’ai intégré la clope comme moment / signal de pause même toute seule à la maison, ce qui est un autre problème à régler.)
Le téléphone. Parlons du téléphone. Et des réunions. Tant de fois, j’ai dû renvoyer un mail pour vérifier que j’avais bien eu toutes les informations ou au contraire demander des éléments manquants. Ne serait-ce pas plus simple si on pouvait tout faire par mail, avec des plans clairs ? Et par pitié, quand je pose trois questions dans un mail, répondez aux 3 questions ! Je ne peux pas deviner les réponses, sinon je ne les aurais pas posées !
Et encore : j’avais si peur que mes mails soient mal pris que je les relisais 4 à 5 fois au bas mot, pour être sûre qu’il y avait bien toutes les formules de politesse, que je n’avais pas l’air trop autoritaire dans mon mail, qu’il n’y avait pas d’erreurs d’inattention, que j’avais bien mis la PJ, les bonnes adresses destinataires…
C’est certes lié à mon anxiété généralisée, mais ça ajoute à la fatigue du bureau.
Sans parler de toutes les stimulations sensorielles : la température qui ne va jamais (problèmes de régulation thermique), trop ou pas assez de lumière, clavier qui ne clique pas comme j’aime, gens qui bavardent juste à côté de mon bureau, bruits d’imprimante ou de machine à café quand mon bureau est situé près de ces équipements…
Des « petites » choses qui s’accumulent et intensifient la fatigue.
Je suis tout à fait consciente que nombre de ces problèmes sont également rencontrés par des personnes allistes (non-autistes), neurotypiques ou avec d’autres handicaps… ce qui ne fait que souligner l’importance des aménagements, car elles seront bénéfiques à plein de personnes et pas « juste » aux autistes.
Super intéressant en effet.
J'ai découvert l'expression "cuillères à sec' 🤷🏼♀️
Super intéressant, Merci!