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Je ne pense pas qu’on naisse anxieux, même si on peut y être prédisposé.
Je me souviens de moments de ma petite enfance où j’agissais sans réfléchir aux mille façons dont cet acte ou cette parole pourrait dégénérer.
L’anxiété est apparue un peu plus tard. Avant le collège, je pense. Vers le CM1, peut-être ?
Pourtant, il m’a encore fallu des années avant de comprendre que je ressentais de l’anxiété. Et, encore d’autres, pour comprendre que je pouvais faire quelque chose, que je n’étais pas forcéə de me soumettre à mes angoisses et de les subir passivement.
Spéciale dédicace à ma super psy qui, au bout de quelques rendez-vous où j’évoque mon anxiété sociale, m’arrête et me dit :
« Oui, vous avez clairement une anxiété sociale, mais de ce que j’entends, votre anxiété ne s’y limite pas. Je pense que vous avez un trouble anxieux généralisé. »
J’ai eu un petit rire et j’ai acquiescé.
Avec mes diverses psys, j’ai travaillé sur les différents aspects de mon anxiété généralisée1. Ce parcours m’a fait découvrir que l’anxiété avait quelque chose d’incroyable, de par sa versatilité et sa capacité à évoluer avec moi, à toujours toucher à de nouveaux sujets, à se renouveler en permanence et, presque paradoxalement, à tourner en boucle.
Combien de fois ai-je connu des insomnies longues et insupportables parce que je ne parvenais pas à éteindre mon cerveau, occupé à rédiger mentalement une réponse cohérente et exhaustive à une personne qui m’avait dit quelque chose qui allait à l’encontre de mes valeurs ou de mes croyances et que je cherchais, en mon for intérieur, à la convaincre – pour me rassurer moi-même du bien fondé de ma position ?
Combien de journées ai-je passées à ressasser un sujet donné – quelque chose de lié à mon identité, à la façon dont je vais être perçuə – à tel point que j’étais incapable d’entamer la moindre activité, paralyséə par mon flux de pensées anxieuses ?
La thérapie, notamment la thérapie cognitivo-comportementale, aide à trouver des méthodes pour – à défaut d’un meilleur mot – gérer l’anxiété. Je ne sais pas si on peut la soigner ou s’en débarrasser pour de bon. Je ne pense pas.
Des stratégies face à l’anxiété
En revanche, je sais que j’ai trouvé des outils, des parades, des chemins de traverse pour être moins vulnérable face à mes angoisses.
Parfois, j’affronte mon anxiété : je lui dis littéralement « ta gueule », je m’ancre dans ce que je sais et je fais la décision consciente de refuser la spirale. Ça ne marche pas toujours… et très rarement du premier coup.
Je dois planter mes talons dans le sol et résister contre l’attraction doucereuse de l’anxiété, contre le plaisir de se faire hypothétiquement du mal, et répéter, encore et encore, « ta gueule, je ne veux pas t’écouter », quitte à crier plus fort que les pensées anxieuses.
Parfois, je choisis de fuir l’anxiété, de me plonger dans un livre, de m’affaler devant une série ou un film, de parler avec quelqu’un, de prendre des anxiolytiques, de me promener, de me concentrer sur un autre sujet sur lequel je peux agir – bref, d’user du divertissement pour faire diversion.
Parce que l’anxiété, c’est souvent un fonctionnement hors du présent, qui se repaît de notre impuissance : elle attrape un événement de notre passé et essaie de le plaquer sur le futur.
Forcément, si l’événement était traumatique – ou même juste douloureux, humiliant, désagréable – eh bien, on se retrouve coincé dans une boucle. On se voit revivre en pensée, encore et encore, ce même événement passé appliqué au futur.2
Heureusement, j’ai une bonne nouvelle : on change. Même, on passe sa vie à changer. Et ce qu’on a vécu il y a dix ans ne se déroulerait pas de la même façon aujourd’hui, parce qu’on n’est plus la même personne.
J’ai aussi beaucoup – de plus en plus, du moins – parlé de mes angoisses autour de moi : à mes psys, avec mon amoureux, avec mes proches et ma famille. Qu’est-ce que ça allège le fardeau, mine de rien !
Parfois, on a juste besoin de partager ou d’être rassuréə.
Et, finalement, quand le combat, la fuite ou le partage ont montré leurs limites, je me suis élancéə à bras-le-corps et j’ai entrepris d’identifier le nœud de l’anxiété : pourquoi est-ce que tel sujet revient si souvent ? Pourquoi m’obsède-t-il à ce point ? Que dit-il de moi et de mes besoins ?
Il y a eu, par exemple, la question de mon identité – une grosse source d’anxiété, qui activait d’ailleurs pas mal mon anxiété sociale. Je ne savais pas qui j’étais, je ne savais que paraître, et c’était un inconfort insupportable.
Alors je l’ai explorée, en long en large et en travers, mon identité. J’ai commencé par essayer de comprendre mon fonctionnement, de m’observer et de m’analyser, de comparer avec des témoignages.
Ce processus m’a menéə vers mon diagnostic d’autisme, vers ma suspicion de TDAH – et, de façon intéressante, il a été nourri par la découverte de mon trouble anxieux généralisé, ou plutôt, par les mots mis dessus.
Je ne dis pas que le diagnostic est nécessaire. Pour certaines personnes, il suffit de comprendre son fonctionnement, ce que j’entends tout à fait.
Pour moi, nommer ces particularités m’a permis de me débarrasser d’une anxiété du paraître qui me contraignait à tenter d’être quelqu’un que je n’étais pas. Surtout, ça m’a permis de comprendre la partie fonctionnelle de mon identité.
Puis, comme l’anxiété identitaire demeurait, j’ai poursuivi mon chemin et j’ai enfin attrapé ma non-binarité à bras-le-corps. Et ça a été vraiment libérateur.
Je sais aujourd’hui qui je suis et comment je fonctionne – et ça me permet à la fois d’être honnête avec moi-même et les autres, et de ne pas m’imposer des attentes incompatibles avec mon fonctionnement.
J’ai réduit la distance entre la personne que je pense être et la personne que je veux être, ce qui donne beaucoup moins de prise à mon anxiété : la majorité de mes angoisses identitaires se sont évaporées. Quel soulagement !
La magie de l’anxiété
Cependant, il y a un problème. Je reste une personne angoissée. Eh oui !
Parce que là où l’anxiété est très puissante, c’est qu’elle trouvera toujours autre chose à exploiter.
Même en renforçant l’armure qui dissimule et protège les sujets dont elle se nourrit avec le plus d’appétit, on n’est jamais à l’abri. L’anxiété cherche toujours une faille. Si elle en trouve une, elle s’y engouffre avec élan. Et hop, il faut reprendre le travail !
Si, en revanche, l’armure est d’extrêmement bonne facture, l’anxiété ne se démonte pas. Elle se met en quête d’un autre thème sur lequel focaliser nos obsessions et avec lequel nous faire souffrir.
C’est presque un peu magique à quel point l’anxiété est capable de prendre n’importe quel sujet et d’en faire une source de son pouvoir.
Quand j’avais 12 ans, j’ai découvert À la Croisée des Mondes de Philip Pullman et je me souviens qu’une phrase (en réalité, un paragraphe) au sujet de l’héroïne, Lyra, m’avait beaucoup, beaucoup perturbéə :
Lyra n’était pas du genre à se morfondre ; c’était une enfant d’un tempérament optimiste, dotée d’un grand sens pratique. En outre, elle manquait d’imagination. Une personne imaginative n’aurait jamais envisagé sérieusement d’entreprendre un tel voyage pour sauver son ami Roger ; ou bien, ayant eu cette idée, elle aurait immédiatement trouvé mille raisons pour démontrer que cela était impossible. Un menteur chevronné ne possède pas forcément une imagination débordante ; à vrai dire, beaucoup d’excellents menteurs n’ont aucune imagination, c’est ce qui confère à leurs mensonges un tel pouvoir de conviction.
Aussi, maintenant qu’elle était prisonnière [des méchants], Lyra ne se laissait pas effrayer par le sort de [ses amis].
(J’ai très vite fait éclusé les plus gros spoilers dans le doute.)
Vraiment, cette formulation m’avait plongéə dans des abymes de perplexité, parce que ce que j’en avais tiré c’était : ne pas avoir d’imagination permet d’avoir moins peur.3
Aujourd’hui, je suis d’accord : puisque l’imagination est un terreau fertile pour la peur, si on en est dépourvu, on est techniquement à l’abri de beaucoup de peurs et d’angoisses.
C’est l’imagination qui nous fait voir des ombres vivantes dans la nuit.
C’est l’imagination qui fait surgir un monstre sous le lit.
C’est l’imagination qui nous projette dans des scénarios terrifiants à tout bout de champ.
Faut-il pour autant craindre sa propre imagination ?
Non, car l’imagination est une forme de créativité et que sans imagination, sans capacité d’inventer des images, des histoires, des formes, des sons… l’humanité ne serait pas ce qu’elle est.
En revanche, si on inverse le postulat, on peut y trouver du réconfort. Et c’est ce que j’essaie de me dire, souvent, quand je me retrouve à angoisser : l’anxiété, c’est le signe d’une imagination irréfrénable.
Je dirais même que l’anxiété est l’expression d’une imagination débordante mise au service de la peur.
Alors peut-être que l’anxiété est un fléau – je ne compte plus le nombre de nuits ruinées, de journées passées à ressasser la même idée en boucle, de crises de douleurs dues à mes angoisses – mais, on peut aussi se dire qu’elle a des avantages, juste pour se rassurer et la rendre plus vivable.
D’une, elle permet, quand on décide de creuser la raison d’une anxiété obsessionnelle, d’apprendre à mieux se connaître et se comprendre. (Et ça, c’est souvent plus facile quand on le fait accompagnéə.)
De deux, elle est très utile pour parer à toute éventualité : personnellement, je fais partie des anxieuxes qui, dans le doute, embarquent pour chaque sortie des pansements, des médicaments, des mouchoirs, de la monnaie, une batterie externe, etc.
Il y en a d’autres qui l’appliquent à des processus – par exemple, dans le code informatique. C’est en partie l’anxiété qui nous fait nous demander « qu’est-ce qui pourrait merder ? », et nous force à prévoir des solutions anticipées. Certes, parfois, c’est pour rien et, là où elle devient envahissante, c’est quand le ratio anticipation de problème / problèmes rencontrés est totalement déséquilibré.
Apprendre à maîtriser son anxiété, c’est aussi identifier là où elle devient un véritable frein – et trouver des solutions adaptées.4
Et de trois, je crois bien qu’il est impossible d’être anxieux sans être imaginatifve. Si notre esprit est capable d’inventer mille hypothèses et issues toutes pires les unes que les autres à une situation donnée, c’est bien signe que ça mouline là-dedans.5
D’ailleurs, souvent, lorsque je suis coincéə dans une boucle anxieuse - par exemple, au sujet d’une conversation difficile -, j’essaie de changer l’aiguillage du train de mes pensées.
Plutôt que de ressasser ce que j’aurais pu dire ou ce que je voudrais dire, j’enclenche le levier d’aiguillage pour passer de la voie « diatribe solitaire stérile » à la voie « écriture fictionnelle » et je me concentre sur quelque chose d’enthousiasmant : mon prochain chapitre, un élément d’intrigue, le développement d’un personnage (bonus si j’arrive à utiliser ma boucle anxieuse pour travailler l’arc dudit personnage).
Parfois, ça marche. Parfois, non.
Alors oui, souvent, je la maudis, mon anxiété qui m’empêche de dormir, de me concentrer, d’être sereinə, qui me rend insupportable les veilles de voyage et me paralyse ou me provoque des meltdowns dès lors que ça concerne l’administratif.
Mais j’essaie aussi de lui donner un peu de tendresse, parce que je me dis que sans elle, je n’aurais pas eu ce besoin viscéral de me comprendre, j’aurais sans doute été bien plus souvent prisə de court – et raté beaucoup de trains et d’avions vu ma capacité d’anticipation – et, peut-être même que je ne serais jamais devenuə autrice.
Et si l’anxiété vous bouffe vous aussi, sachez que je compatis – et que rien ne vous oblige à mener un combat solitaire contre elle. De toute façon, je crois bien qu’elle ne nous quittera pas, donc autant la désarmer un tant soit peu en lui disant :
Même si tu utilises mon imagination pour me faire peur, n’oublie pas que c’est mon imagination.
Je te la prête, bien malgré moi.
Elle ne t’appartient pas.
L’anxiété peut s’exprimer de diverses façons : anxiété sociale, trouble anxieux généralisé, syndrome de stress post-traumatique “simple” ou “complexe”, crises de panique, troubles obsessionnels compulsifs... Certaines forment s’expriment par des crises de sidération ou d’hyperventilation, d’autres par des pensées intrusives et redondantes…
Ma psy m’avait dit que le fonctionnement anxieux venait d’une « mauvaise route » dans le cerveau : un événement traumatique (qu’il paraisse anodin ou non à autrui) crée un barrage sur la rivière de nos émotions. La rivière sort alors de son lit et se crée une rigole improvisée à travers le territoire de la panique et de l’adrénaline.
Sauf que, même après le retrait du barrage (disparition du stimulus traumatique), la rivière continue à couler à cet endroit au lieu de retrouver son lit, s’affolant pour des situations qui ne nécessitent pas un tel débordement.
La bonne nouvelle, c’est qu’on peut apprendre à ramener la rivière dans son lit. Ce n’est pas facile, et je peux vous dire que ça ressemble plus à un marécage qu’à une rivière de mon côté… mais au moins, on s’en rapproche !
On a d’ailleurs l’exemple totalement inverse avec Usopp / Pipo de One Piece, qui est aussi mythomane que Lyra… mais, lui, doté d’une imagination extrêmement vivace – et donc, il a peur de beaucoup de choses ! (Il est même montré comme le couard de l’équipe…)
Je pense à cette anecdote d’une dame qui avait toujours peur d’avoir oublié d’éteindre son sèche-cheveux. San thérapeute lui a recommandé… d’embarquer son sèche-cheveux avec elle. Certes, un peu plus encombrant, mais anxiété totalement annulée : s’il est dans le sac à main, il n’est ni branché, ni allumé !
Attention, on peut aussi être très imaginatifve sans être anxieuxe (enfin, j’espère) – et ça, c’est chouette, je ne dirai pas le contraire.
Oh la la, comme j’aime ce rapprochement entre imagination et anxiété ! Comme dit, on peut essayer de la gérer au mieux mais difficile de la faire disparaître donc la voir de ce point de vue là permet de l’envisager presque avec tendresse, comme une partie de soi, je trouve cela très réconfortant.
Et j’ai beaucoup aimé l’anecdote du sèche-cheveux, dommage que ce ne soit pas transposable avec une cuisinière à gaz 😁 Dans la même idée je connais quelqu’un qui se filme en train de fermer la porte à chaque fois qu’il sort de chez lui, comme ça il n’a qu’à regarder la vidéo quand il a un doute…
Bonjour. Merci beaucoup pour cet article très intéressant et qui nous éclaire sur différentes stratégies existantes par rapport à l anxiété. J ai toujours hâte de recevoir vos articles ! Merci encore.