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L’autisme est encore mal connu. Les stats varient : jusqu’à il y a peu, je pensais que les autistes représentaient 1 à 2% de la population mondiale, mais des études plus récentes tendent à montrer qu’une personne sur 36 est concernée1, ce qui montre que les chiffres évoluent selon les critères d’identification et les études menées.
Évidemment, ça génère des réactions comme : « tout ça, c’est un effet de mode » ou « les vaccins / la pollution augmentent les cas d’autisme ! ».
J’ai une grande nouvelle : non.
L’autisme est génétique et héréditaire. Il y a peut-être d’autres causes (des facteurs environnementaux pourraient influencer son expression, mais il ne s’agit pas d’une « maladie qui se développe »). En tous cas, la « hausse » de l’autisme est surtout due à une hausse d’identification de l’autisme.
La première personne identifiée comme autiste par la psychiatrie moderne, Donald Triplett, est décédée en 20232 : c’est signe que c’est une découverte encore récente et que la croissance constante des connaissances permet une meilleure identification de l’autisme. Notamment par les personnes concernées !
Eh oui, Internet permet d’avoir accès à des savoirs auparavant réservés à une élite (scientifique, par exemple) et ainsi, de nombreuses personnes peuvent s’informer sur l’autisme… et se demander si ça ne les concernerait pas, cette histoire.
Seulement, pour de nombreuses raisons, beaucoup d’adultes qui découvrent l’autisme et se demandent s’iels seraient autistes… ont tendance à en douter. Beaucoup.
En même temps, entre l’éducation genrée (qui influe en partie sur l’identification de l’autisme), l’ignorance systémique et/ou systématique des difficultés exprimées (et donc une intériorisation qu’on n’a pas de légitimité à se définir soi-même) ou encore le fait que les « symptômes » de l’autisme référencés dans le DSM3 pointent surtout les comportements de personnes autistes en état de stress et/ou ce qui gêne les personnes allistes, pas étonnant que le doute subsiste.
Il faut dire que l'autisme étant encore mal compris, la méconnaissance alimente le doute, même chez les personnes concernées.
Je suis bien entendu passéə par là : je me disais que j’exagérais mes difficultés, que je ne correspondais pas aux stéréotypes, que je « prenais la place » de « vraiəs » autistes.
Bref, j’étais en plein dans le *roulement de tambour* syndrome de l’imposture autistique !
« Et si je me faisais des films ? »
Je crois que j’ai observé cette sensation d’imposture chez toutes les personnes autistes autour de moi, de diverses façons, mais qui se résumait toujours à la même idée : « non, je ne dois pas vraiment être autiste, je me fais des films ».
Il y a une fascination terrifiée qui s’empare de beaucoup d’autistes qui se découvrent à l’âge adulte : la peur de toucher cette explication simple de nos difficultés décennales… et qu’elle s’effrite entre nos doigts.
Qu’on nous dise, encore une fois, qu’on se trompe, qu’on invente, qu’on essaie de faire son intéressantə.
D’ailleurs, c’est souvent le moment où on devient hyper-conscientə des moments où « tout va bien » et où on fonctionne « normalement », histoire de donner encore plus de fioul au vilain sentiment d’imposture.
Eh oui, si tout va bien, on ne peut pas être autiste !
J’ai une anecdote pour ça : unə thérapeute qui racontait avoir été confrontéə à des parents perplexes. Iels s’étonnaient que leur enfant autiste ne fasse pas de meltdowns ou de shutdowns, évoquant la possibilité que leur enfant n’était peut-être pas vraiment autiste.
Lae thérapeute leur a répondu : « si votre enfant ne fait ni shutdowns ni meltdowns, ça n’invalide pas son autisme… ça montre juste qu’iel vit dans un foyer sain où ses besoins et limites sont respectées ».
Les meltdowns et shutdowns sont des réactions à des surcharges de stimulation (sensorielles, sociales, exécutives…), qui s’expriment par une explosion (vocale, physique… qui va de la crise de larmes à l’automutilation par mouvements répétitifs incontrôlés) ou un arrêt de toutes les fonctions externes (mutisme soudain et incontrôlé, fatigue intense, incapacité à bouger, à tolérer le moindre contact…).
Si on parvient à ne pas provoquer de situation de surcharge (en s’écoutant, en s’adaptant, en compensant), on peut éviter ces crises. Une personne autiste dans un cadre qui lui convient, qui ne vit pas d’imprévus ou de situations de surcharge, ne subira pas de meltdowns ou de shutdowns. Et tant mieux !
La peur d’« usurper » une identité autistique est un écueil généralisé…
Belle ironie, car, au fond, c’est quelque chose d’extrêmement typique de l’autisme, puisqu’on retrouve chez beaucoup de personnes autistes une difficulté à mentir, à prétendre être ce qu’on n’est pas.4
La question qui vient est alors : pourquoi est-ce que c’est si fréquent ?
J’ai quelques hypothèses, à commencer par le grave déficit de représentations variées.
On a Rain Man, Sheldon, l’héroïne du film « Music » de Sia : une partition entre les autistes « génies » et les autistes non-oralisantəs (qui ne parlent pas ou peu), entre les personnes froides en sans empathie et celles qui ont l’air d’être tellement dans leur monde que la réalité ne les impacte pas.
Attention, je vous vois venir : non, ce ne sont pas les « extrêmes du spectre ». Ça ne fonctionne pas comme ça. Une personne autiste non-oralisante peut être un génie en maths. Ce n’est pas mutuellement exclusif. Il n’y a pas d’échelle de l’autisme, avec en bas les « très autistes » à un bout et les « un peu autistes » à l’autre.
On est autiste ou on ne l’est pas.5
En revanche, il y a autant de façons d’être autiste qu’il y a d’autistes – avec des points qui permettent de les identifier (la préférence de l’infodump face au small talk, des hyper- ou hyposensibilités sensorielles, une fatigabilité sociale accrue, des intérêts forts qui génèrent des hyperfixations et des hyperfocus).
Les représentations (par des personnes autistes elles-mêmes, notamment) commencent à se multiplier, comme par exemple le personnage de Qinni dans Hartley, cœurs à vif (Heartbreak High), joué par une actrice autiste (qui a influé sur la représentation du personnage).
Une autre raison à la sensation d’imposture vient, ironiquement, du fait qu’on est autiste et que, toute notre vie, on nous a conditionné à minimiser nos propres ressentis. Je crois que ça a été relativement « facile » pour moi de me défaire de cette pression-là, car malgré tous mes efforts, il n’y avait aucun doute que j’étais bizarre.
Je vois cependant des personnes avec un masque peut-être plus efficace que le mien ou des intérêts plus « acceptables » socialement – ou, « pire », exploitables professionnellement – qui se battent avec cette sensation d’imposture. Elles ont tellement entendu qu’elles exagéraient, qu’elles pouvaient faire plus d’efforts, que, bon, d’accord, elles sont peut-être « un peu » bizarres, mais pas assez pour être autistes…
Car, et ça me transitionne parfaitement sur mon troisième point, c’est le comble avec l’autisme : on l’associe avec une déficience « grave » et du moins très visible (perception largement due aux classifications médicales, qui présentent l’autisme sous l’angle du déficit plutôt que du fonctionnement cognitif différent), ce qui complique l’identification quand on ne correspond pas à cette image.
Et ce, même si on pense ne pas correspondre à cette image.
Car les allistes nous repèrent, peu importe l’épaisseur du masque, je vous l’assure – mais, du fait de la même méconnaissance de l’autisme, ça se transforme juste en « elle est super autoritaire », « j’en peux plus de ses histoires qui ne finissent jamais », « pourquoi elle s’habille comme ça ? » ou « il est trop snob pour prendre le café avec nous ».
ressort régulièrement cette image quand une personne autiste dit qu’elle « masque très bien » et je la trouve géniale, alors cadeau :Le besoin de validation
Ensuite vient la crainte que les autres (proches, pros, communauté autiste) ne valident pas cette identité autistique.
Alors en tant qu’autiste qui a un intérêt spécifique sur l’autisme, je m’adresse à toutes les personnes qui sont dans cette phase :
les pros sont souvent à côté de la plaque sur le sujet de l’autisme,
votre famille risque de rejeter l’idée… notamment parce que comme c’est génétique, il y a des chances pour que plusieurs membres de votre famille soient concernéəs et considèrent que ce qui fait partie de l’autisme touche tout le monde et qu’il faut juste serrer les fesses (pour simplifier)
et la communauté autiste est variée, avec une part qui considère que seuls les pros devraient pouvoir « poser le diag » (ce qui, cf mon premier point, est compliqué pour le moment…) et d’autres qui soutiennent « l’auto-diag » (dont je fais partie).
En plus, j’ai envie de dire : si vous vous posez la question, c’est que vous avez besoin d’une réponse. Testez celle-là, voyez si elle colle toujours au bout de quelques mois. Si oui, vous l’avez, votre réponse. Si non, testez autre chose (et bon courage 💜).
Moi je vous valide en tous cas. Vous êtes valides. Enfin, autistes, donc pas valides. Mais je valide votre identité autiste d’invalide, du coup. Bref. Vous avez compris l’idée.
J’ajoute cependant que j’ai passé ma vie à chercher de la validation extérieure pour tout et n’importe quoi (genre, 0 légitimité si je n’ai pas un diplôme pour prouver que je me suis bien penchéə sur tel ou tel sujet – mais ça va mieux, merci) et que l’autisme n’a pas fait exception.
Alors c’est normal de se dire que notre ressenti n’est réel que si on a une validation extérieure (surtout si, comme moi, on est alexitymique et qu’on ne sait pas ce qu’on ressent, ce qui aide beaucoup pour se faire confiance) (c’est du sarcasme) (je précise pour mes adelphes de la team premier degré).
Cependant, je rappelle que l’autisme n’est pas une maladie, donc on ne peut pas vraiment parler de « diagnostic ». En plus de ça, assez peu de professionnelləs de la santé mentale en France sont vraiment au courant de ce qu’est l’autisme (hormis les stéréotypes mentionnés plus haut).
La nécessité d’un « diagnostic » n’est donc pas absolue… sauf si vous avez besoin de faire une demande auprès de la MDPH6 (pour des aides, comme l’AAH7 ou la RQTH8), auquel cas, il vous faudra en effet un papier.
Bon, les pros ne sont dont pas tellement plus légitimes que vous pour déterminer que vous êtes autistes (à moins qu’iels le soient aussi, ce qui est encore rare).
On peut aussi vouloir une validation extérieure pour pouvoir… justifier les aménagements et ajustements dont on a besoin.
Eh oui, accepter son autisme, ce n’est pas juste se coller une étiquette, c’est ouvrir le pot et piocher dedans tout ce dont on a besoin. C’est identifier les choses qui nous posent problème et trouver des moyens de les apaiser, contourner, améliorer, éviter.
Pour mettre en place ces altérations du quotidien, le soutien – ou, a minima, l’acceptation – des proches (famille, conjointə, amiəs, voire collègues) est nécessaire. Bien sûr que ça fait peur de se dire qu’iels risquent de penser qu’on en demande « trop », qu’on fait du drama ou autres remarques validistes.
Sauf que l’autisme étant un fonctionnement cognitif et que pour le moment il n’est « diagnostiqué » que par entretien et observations du comportement, c’est difficile à « prouver » de façon évidente (par rapport à un handicap physique invisible, par exemple, comme la surdité) (attention, je ne fais pas de hiérarchisation, c’est juste pour montrer la difficulté inhérente au « diagnostic » des troubles psychiques et neurotypes).
Des études commencent à produire des imageries du cerveau, mais ce n’est pas encore démocratisé du tout et, pour l’heure, le certificat psychiatrique paraît être le meilleur argument à opposer aux incrédules (et encore…).
Alors, pour essayer de contourner ce besoin ou cette quête de validation, quelques suggestions :
lire des témoignages d’autres autistes, car s’y reconnaître aide à légitimer son ressenti (oui, ma newsletter compte 🤭)
s’observer sous le prisme de ce qu’on a appris sur l’autisme et voir si le temps confirme ou infirme l’hypothèse ; pas besoin d’immédiateté : vous avez déjà vécu toute votre vie avec (sauf en cas d’idéation suicidaire ! là, dans tous les cas, s’il vous plaît, cherchez de l’aide9 💙)
se rappeler que l’autisme n’est pas une étiquette imposée, mais bien une clé pour mieux se comprendre – et si c’est le cas, autant l’ajouter à son trousseau !
« Je ne peux pas être autiste parce que… »
Bon, maintenant, petit tour des pensées auto-invalidantes qu’on peut avoir. Vous allez voir, ça va être rapide.
Vous vous dites « Je ne peux pas être autiste, j’ai des amis et une vie sociale ».
Oui, c’est normal. Votre gestion de vos amitiés diffère de celles des allistes (quelque chose me dit que l’apéro après le boulot n’est pas votre truc) ou alors elle vous génère davantage de fatigue sociale… ou encore, une grande partie de vos amiəs (si ce n’est l’intégralité) est neuroatypique aussi.
(Mon meilleur éditeur Léo m’avait prévenu qu’il y aurait un effet domino après mon diag. Ouais. Pas qu’un peu. Tout mon cercle d’amix s’est révélé soit autiste, soit TDAH, soit les deux.)
Vous vous dites « Je ne peux pas être autiste, je comprends l’humour et les métaphores ».
Mais oui, moi aussi !
C’est plus une question de contexte. J’ai tendance à prendre les choses au premier degré et on m’a ainsi souvent traitéə de « naïvə ». Non, je ne suis pas naïvə, je vous l’affirme (😏). Et j’aime le sarcasme, même si quand autrui l’utilise je ne le saisis pas toujours instantanément.
Quant aux métaphores et expressions, je les adore (mais c’est peut-être une compensation poussée à l’extrême), à tel point que je les collectionnais pendant de longues années.
Vous vous dites « Je ne peux pas être autiste, je suis trop fonctionnellə ».
Ah, oui. J’ai été très fonctionnellə – au point de me rendre systématiquement malade le premier jour des vacances. Ou en plein milieu d’une mission pro, d’ailleurs. J’étais beaucoup malade, en fait, parce que j’en demandais juste trop à mon corps et mon esprit.
Le fait de compenser au quotidien ne signifie pas que l’on ne souffre pas (plutôt le contraire, mais l’habitude a la vie dure).
Ce dialogue intérieur, cette (re)mise en doute d’un éventuel autisme est quasiment un passage obligé. Il peut être bref ou long, il peut se manifester par une acceptation initiale « en surface » puis un oubli total de la notion d’autisme, jusqu’à ce que ça ressurgisse des années plus tard, ou encore il peut provoquer un voyage de diag en diag.
C’est normal. C’est un mécanisme d’auto-défense face à une révélation ou du moins un bouleversement identitaire.
Au pire, vous vous êtes ditə autiste alors que vous ne l’étiez pas. Personne ne vous en voudra (en tous cas, ça ne fait de mal à personne, donc si quelqu’un vous en veut, c’est son problème).
Si vous avez toujours du mal à l’accepter… mon mail de la semaine prochaine devrait vous aider (j’espère, en tous cas).
Et si vous n’êtes décidément pas autiste, au moins, vous en saurez plus sur l’autisme, et c’est important aussi !
https://www.msdmanuals.com/fr/accueil/problèmes-de-santé-infantiles/troubles-de-l-apprentissage-et-du-développement/trouble-du-spectre-autistique
https://www.thetransmitter.org/spectrum/donald-triplett-autisms-case-1-dies-at-89/
Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, publié par l'Association américaine de psychiatrie (USA), définissant des critères standardisés pour la classification des troubles mentaux.
Je repense à une conversation où j’affirmais “je peux mentir, je sais le faire, mais ce n’est pas agréable, ça me met mal à l’aise et j’ai l’impression de me trahir” et où on m’a répondu “donc tu ne peux pas”. Et j’ai lentement acquiescé.
Petite nuance cependant : on peut avoir certains traits autistiques sans être autiste, par exemple si on a grandi dans un foyer avec d’autres personnes autistes, si on a un syndrome post-traumatique complexe… qui sont alors plutôt de l’ordre de « l’acquis » que de « l’inné », mais ça ne veut pas dire qu’on est « un peu autiste ».
Maison Départementale pour les Personnes Handicapées
Allocation aux adultes handicapés
Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé
Le numéro national de prévention du suicide : 3114. La ligne est ouverte 24h/24, 7j/7. L’appel est gratuit et confidentiel.
Merci @Emma Schütz pour cette série ! Ça me parle beaucoup et me donne encore plus envie de creuser… ☺️
Trop bien cet article ! Et j'ai rigolé d'être crédité pour un mème populaire ! Mais j'avoue ça mériterait que je rajoute les captions sous les personnages