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J’ai choisi une invite d’écriture (un writing prompt) et j’ai écrit.
— Je veux une infinité de vœux.
— Tout le monde sait que c’est interdit.
— Alors je veux 1000 vœux.
— Non, pas possible non plus.
— Bon, d’accord, alors je veux moins six vœux.
— Moins six vœux ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ?
Le génie te regarde avec une perplexité croissante. Jamais personne ne lui avait demandé un nombre négatif de vœux. Iel ne sait pas quoi faire et n’a pas le réflexe de te le refuser, comme les précédents.
— C’est mon souhait. Moins six vœux, répètes-tu avec une fierté d’enfant.
Tu as réussi à coincer un génie, ce qui te satisfait au plus haut point.
— Moins six vœux, répète-t-iel avec une expression songeuse. Moins six vœux. Je dois vérifier ce qu’en dit le livre des règles.
Le génie disparaît dans un nuage de fumée pastel. Un doux parfum de barbe-à-papa flotte dans l’air là où iel lévitait. Tu te laisses tomber dans un fauteuil et tu regardes la lampe que tu viens de frotter sans trop y croire. Une vraie lampe magique, la plus clichée possible, une lampe à huile dorée, un peu rouillée mais en bon état. Tu te demandes si elle éclaire encore et tu te lèves pour chercher du combustible. Tu n’en as pas le temps cependant : revoilà le génie.
Iel arbore une mine réjouie, assez effrayante, il faut le reconnaître. Comme iel n’est fait que de volutes, son anatomie varie sans cesse : son visage disparaît presque derrière le sourire qui recouvre son nez, la plus grande part de ses yeux, et même ses oreilles. Il ne reste plus que le rictus et rien d’autre.
— Ton vœu est exaucé. Tu as droit à moins six vœux.
Et alors que tu t’attends à tes explications, le sourire du génie retrouve des proportions humaines. Iel s’opacifie, petit à petit, son teint violacé s’assombrit, vers un beau cuivré, et les flammèches sur le sommet de sa tête – à défaut d’un meilleur mot – cascadent en longues mèches d’un noir brillant. Devant toi se tient une personne élégante, en costume soyeux d’un pourpre rosé. Seuls ses iris magenta conservent une lueur irréelle, un peu dansante.
— Lorsqu’une personne mortelle demande un nombre négatif de vœux, récite-t-iel, c’est elle qui doit réaliser les souhaits du génie.
Tu sens ta mâchoire se décrocher. C’est à toi de te mettre au service du génie ? Ça, tu ne l’avais pas anticipé, et tu commences à te demander si ton idée ne te plonge pas dans une mer d’ennuis. Tu te reprends : les règles sont les règles et tu as toujours assumé les conséquences de tes décisions. Ce n’est pas aujourd’hui que tu cesseras.
— D’accord, réponds-tu. Quels sont tes six vœux ?
Le génie réfléchit, fait apparaître un miroir pour admirer sa dégaine humaine, puis se tourne vers toi.
— Je ne sais pas. Je n’y ai jamais pensé. Je suis là pour donner vie aux souhaits des personnes qui m’invoquent : trois vœux, jamais plus, jamais moins. Ils ont leurs règles : les vœux ne peuvent pas influer sur l’amour et la mort. Je ne peux pas forcer quelqu’un à tomber amoureux ni tuer ou ressusciter qui que ce soit. Ces règles s’appliqueront donc à mes souhaits.
Tu ris jaune, ce qui suscite un froncement de sourcils chez ton vis-à-vis.
— Qu’y a-t-il de drôle ?
— Même si les règles l’autorisaient pour toi, je serais incapable d’exaucer de tels souhaits. Je ne fais pas de magie, moi, expliques-tu.
Le génie plisse les lèvres.
— En effet. Je te préviens, quand j’aurai l’idée de mes souhaits, ça ne m’arrêtera pas. Il faudra que tu trouves une solution pour me contenter.
— Bien sûr, réponds-tu. Tes souhaits sont mes ordres.
Le génie esquisse un sourire bien différent du précédent. Tu y lis une incertitude, un espoir qui n’ose pas s’exprimer. Tu ressens soudain une immense pitié pour cet être condamné à servir les propriétaires innombrables et changeants de la lampe que tu tiens encore en main et que tu serres par réflexe. Iel remarque ton geste.
— Ah, j’ai trouvé mon premier vœu, annonce-t-iel. Je souhaite que tu détruises la lampe.
— Vraiment ? rétorques-tu. Est-ce que ça ne risque pas… de te faire disparaître ?
Iel hausse les épaules.
— Trop tard. Il faut que tu exauces mon souhait maintenant.
Tu observes la lampe.
— D’accord. Viens.
Tu quittes le grenier de la grand-tante décédée dont tu triais les affaires jusqu’à dénicher la fameuse lampe, tu descends l’échelle brinquebalante, les escaliers vermoulus, tu te bats avec la serrure rouillée du garage et tu finis par vaincre le mécanisme. Le génie te suit, sur tes talons, comme s’iel avait peur que tu te volatilises.
Pendant que les vieux halogènes reviennent à la vie en grésillant, tu examines l’objet que tu dois détruire. C’est une chance que ta grand-tante ait été bricoleuse autodidacte, la « vieille folle » de la famille. C’est une chance, aussi, que tu aies été la seule personne à t’entendre avec elle et qu’elle ait décidé de te léguer sa demeure et ses quelques richesses – pas grand-chose, pas assez pour que le reste de la famille s’offusque, mais tout de même assez pour que les faibles liens qui demeuraient avec elle se coupent tout à fait.
Tu sens que tu es en passe de devenir toi-même l’ancêtre un peu bizarre de cette génération et tu te prends à espérer que peut-être un enfant de la prochaine décidera que tu vaux la visite. Dans tous les cas, tu as décidé d’emménager ici. Tu aimes cette maison.
Et surtout, tu aimes ce garage. Une vraie caverne aux merveilles. Le génie se penche à ton oreille – iel te dépasse, même dans sa forme humaine, mais tu as l’habitude que tout le monde te regarde de haut.
— Qu’est-ce que c’est ?
Tu ne réponds pas : tu attends que les ampoules illuminent l’immense pièce. Tu t’avances ensuite avec prudence jusqu’à la forge artisanale fabriquée par ta grand-tante et tu l’allumes avec le combustible entassé à côté.
— Oh, tu vas la faire fondre ?
Tu hoches la tête. Tes doigts fourmillent déjà – tu adores cette forge, tu adorais y passer des heures avec ta grand-tante, le tablier trop grand serré autour de ta taille. Tu attends que la température de la forge monte, tu l’alimentes sans un mot. Le génie sous forme humaine t’observe et tu te prends à lui jeter des coups d’œil sans en avoir l’air.
Iel a choisi une apparence séduisante : haute et large stature, embonpoint gracieux, bras épais, traits délicats. Ce sont ses longs cils qui t’interpellent. Épais, noirs, ils frangent son regard violacé et lui donnent une profondeur vertigineuse.
— Tu as bientôt fini ?
— Hmm, réponds-tu. En attendant, tu peux réfléchir à tes autres souhaits.
Iel acquiesce et s’installe sur l’une des chaises pliantes et fatiguées qui vous accueillaient, ta grand-tante et toi, pendant vos journées de bricolage.
Enfin, tu juges la température suffisante, et tu installes la précieuse lampe dans le fourneau. Elle fond, en larmes dorées. Tu crois entendre une longue plainte ou peut-être est-ce un cri de joie. Tu ne quittes pas le four des yeux, et tu surveilles. Quand le métal est liquoreux, tu ressors le creuset et tu verses son contenu dans un moule.
À ta grande surprise, la quantité dont tu disposes correspond exactement à celle dont tu as besoin. Il reste peut-être un peu de magie, dans cet or liquide.
La suite au prochain épisode, par ici !
Comme toujours un si beau mail... hâte de lire la suite !
Extra ! A quand la suite ?