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Aujourd’hui, je veux te parler de ma perfectionnite aiguë.
Non, il ne s’agit pas d’une maladie (pas en tant que telle, du moins) et pourtant, elle a des causes, des symptômes et même un traitement. Elle n’est pas à confondre avec le simple « perfectionnisme » car ce vocable a perdu son sens scientifique pour n’être plus qu’un de ces « défauts qui sont des qualités » que l’on balance en entretien d’embauche.
(Bon, comme je sais qu’il y a dans mon public des membres de la Team Premier Degré, dont je suis une fervente adhérente, je précise que tout ceci n’est définitivement pas du premier degré.)
Une fois n’est pas coutume, je ne vais pas traiter ces catégories dans l’ordre logique, mais dans l’ordre didactique, car il me semble important de partager avec toi la succession par laquelle j’ai pu commencer à contrer cette affection non médicale.
C’est par les symptômes que l’on s’aperçoit que l’on souffre de perfectionnite aiguë et c’est en les reconnaissant que j’ai pu commencer à travailler sur mes comportements liés à cette perfectionnite – en particulier pour ce qui concerne l’écriture.
Le premier symptôme de cette perfectionnite est… la procrastination.
Hein ? dois-tu te dire. Mais la procrastination, c’est l’inverse du perfectionnisme, non ?
QUE NENNI !
(Oui, je m’emballe.)
La procrastination surgit… pour plein de raisons. Je ne prétends pas être une spécialiste de la procrastination. D’ailleurs, il faudrait que je me renseigne davantage à ce sujet. Je ferai ça demain.
Une des causes de la procrastination sont les trop hautes attentes.
Cette phrase n’a aucun sens, Emma.
Je te trouve bien dialectique aujourd’hui, Emma.
Oui, en effet. Tu as doublement raison. C’est sans doute parce que j’ai eu beaucoup de mal à me mettre à cet article et que lorsque j’ai enfin eu l’inspiration, tout à coup un enthousiasme incontrôlable a pris le dessus. Je vais essayer de me limiter, promis.
Pour en revenir à la procrastination (pour info, ce terme vient du latin « pro », « pour » et « cras », « demain » ; étymologie expresse !) : lorsque je sais très exactement ce que j’attends d’un passage, d’un chapitre, d’un article que je dois encore écrire… je me bloque ! Parce que je sais ce que doit être cet objet de parfaite écriture et que j’ai peur de ne pas être capable de l’exécuter comme je l’imagine.
Je ne fais pas ça de façon consciente, bien entendu. D’ailleurs, maintenant que je suis au courant, je suis attentive à lutter contre ces attentes irréalistes que je m’impose. Si je sens que je résiste1 à l’effort d’écriture, je fais un pas de recul, et je me dis : écris ! Peu importe ce que tu écris, mais écris. Il y aura forcément du bon dedans, et tu pourras raffiner le brut pour atteindre ce que tu attends de toi-même.
Un des autres symptômes de la perfectionnite est la propension à se relire en écrivant.
TERRIBLE ERREUR. Que je fais encore.
(Là, par exemple, je viens de relire tout ce que je venais d’écrire.)
Le pire réside dans la relecture presque simultanée : j’écris une phrase, je la relis. Parce que je veux que cette phrase soit parfaite dès la première relecture complète. Non seulement, il s’agit encore d’une attente irréaliste, mais en plus j’interromps ainsi sans arrêt le flux de mon écriture.
J’ai encore un peu de mal à me discipliner là-dessus, en particulier pour les articles (je viens encore de relire et corriger un passage quatre paragraphes plus haut). Je m’améliore en revanche pour l’écriture romanesque. Clairement, en cet instant, je désobéis à mes propres principes : j’écris un bout de phrase et je l’efface, je relis le paragraphe précédent pour vérifier la cohérence…
Or ce n’est pas le moment de le faire ! Au lieu de me permettre d’atteindre une soi-disant perfection, ce comportement ralentit mon écriture, brise mon flux – et en plus, il faudra quand même que je me relise pour me corriger encore une, deux, dix fois !
Alors je vais essayer de finir cet article d’une traite, puis je relirai tout depuis le début. Je m’y engage. Pour toi. Pour ne pas être celle qui ordonne : faites ce que je dis, pas ce que je fais.
Un troisième symptôme est… la correction compulsive.
Je passe mon temps à me relire et à me corriger. Encore et toujours. Et à demander l’avis de mon amoureux, de ma famille, de mes proches, et à leur soumettre des idées, les supplier de bien vouloir lire un bout de mon roman… parce que j’ai l’impression que ce n’est jamais assez bien.
En réalité, ce comportement est le signe que… même si j’atteignais la perfection, je serais sans doute incapable de la reconnaître, puisque je passe mon temps à réclamer la validation des autres, au lieu de me la donner à moi-même.
Alors, oui, dans le cas de l’écriture, la validation du lectorat est importante – il faut bien que ça plaise aux autres et pas seulement à l’autrice que je suis. Mais si je ne suis pas capable de déterminer que ce que j’ai écrit me plaît (et non pas que c’est parfait) – comment puis-je attendre une telle évaluation de la part des autres ?
Je m’aperçois que j’ai donné trois symptômes – et trois « thérapies » – mais que je n’ai pas parlé des causes de la perfectionnite aiguë. Je pense que celles-ci dépendent de chacunǝ. Pour moi, elles viennent :
de mon côté première-de-la-classe-qui-réussit-tout-du-premier-coup-jusqu’au-BAC-puis-après-découvre-qu’il-faut-avoir-des-méthodes-de-travail-mais-qu’elle-n’en-a-pas (oui coucou toutes les Hermione)
de mon envie de bien faire et de mon besoin de validation (le serpent qui se mord la queue)
de mon narcissisme et de mon syndrome de l’imposteur (oui, c’est lié)
et de quelques autres raisons, sans aucun doute (mais ça, j’en parle à ma psy et c’est déjà bien).
Conclusion : je souffre de perfectionnite aiguë… mais je me soigne !
Pour le concept de Résistance (dans un contexte de création, pas dans un contexte de Seconde Guerre mondiale), qui englobe la procrastination, je recommande The War of Art (La Guerre de l’Art) de Steven Pressfield - que j’ai découvert grâce à l’Atelier Galita mais que je n’ai moi-même pas encore lu (c’est prévu).
Quoi, c'était pas du premier degré ? Oh mince, j'avais hâte de découvrir l'acception scientifique historique de "perfectionnisme" ! Déception !!
Encore des réflexions qui m'aideront à gagner en efficacité. Grâce à toi je m'appliquerai à surveiller mes relectures intempestives... C'est pas gagné !