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Ce mail sera un peu différent des précédents sur l’autisme : j’ai voulu intégrer des éléments d’aménagements possibles, comme si je m’adressais directement à des entreprises.
Je suppose que les excellents mails de Clara FemmeBionique sur les aménagements pour les personnes sourdes m’ont donné envie de donner à mon tour mes billes sur le sujet !
J’axe pour info mon mail pour un environnement de travail de bureau, car c’est le seul type d’environnement dans lequel j’ai travaillé.
Le milieu professionnel : un aquarium peu adapté aux personnes autistes…
Alors, quels sont les problèmes que les autistes rencontrent au travail ? Comment l’aspect professionnel impacte-t-il leur vie privée ? Comment aménager le monde du travail pour les personnes autistes ?
Les spécificités autistiques en milieu professionnel
Si j’ai évoqué mes difficultés personnelles dans mon mail de la semaine dernière, je sais que nombre d’entre elles se retrouvent pour les autistes qui travaillent en bureau.
Elles sont dues à :
nos difficultés de communication, qui varient d’un individu à l’autre,
notre besoin de routine (qui peut cependant être en opposition avec un Trouble Déficitaire de l’Attention avec ou sans Hyperactivité et nécessitera alors tout de même de varier régulièrement les tâches / missions afin d’éviter qu’on se lasse),
l’hypersensibilité sensorielle, qui peut causer une grande fatigabilité voire des situation de crise (meltdown ou shutdown) si la personne ne peut pas s’y soustraire,
les comorbidités et troubles associés : TDA/H (évoqué ci-dessus), mais aussi anxiété sociale ou Trouble Anxieux Généralisé (TAG), dépression, sensibilité accrue au stress… et je n’ai pas même évoqué les handicaps physiques (par exemple, il est très courant que les personnes autistes aient un transit erratique ou fragile, ce qui n’est pas forcément évident à gérer en bureau).
Ces difficultés peuvent être mal interprétées, mal gérées et mener à du rejet voire de la discrimination. Souvent, les personnes autistes sont considérées comme « cheloues » par les personnes neurotypiques, qui ne savent pas forcément comment sociabiliser avec elles – l’inverse est évidemment vrai.
À mon avis, la divulgation du diagnostic aux collègues ne devrait jamais être une obligation. Cependant, dans certains cas, elle peut faciliter l’appréhension des difficultés par l’ensemble de l’équipe. Tout dépend de la bienveillance et de l’éducation des personnes concernées.
Les problématiques générées
Toutes ces difficultés sont à l’origine des problématiques rencontrées par les personnes autistes sur le marché du travail. Certaines sont assez faciles à deviner, notamment la difficulté à trouver un emploi adapté à nos besoins spécifiques – et je dirais même plus, à nos intérêts spécifiques.
En effet, unə autiste se lassera bien moins vite de son emploi s’il est lié à son ou l’un de ses intérêts spécifiques. Pour rappel :
« L’intérêt spécifique est un centre d’intérêt, une passion ou un hobby auquel la personne autiste va se dévouer. Tous les autistes n’en ont pas, certains en ont plusieurs, et si certains intérêts sont des passions qu’une personne va entretenir tout au long de sa vie, d’autres ne dureront pas aussi longtemps.
L’intérêt spécifique d’une personne autiste est son sujet préféré et elle tire un immense plaisir des moments où elle peut s’y consacrer, que ce soit lire sur le sujet, en parler avec quelqu’un, le pratiquer, collecter des informations ou simplement y penser. D’être plongée dans son étude est non seulement agréable pour elle mais aussi une source de relaxation et l’opportunité de recharger ses batteries mentales. Son intérêt peut lui servir de refuge, de prisme pour percevoir le monde et apprendre de nouvelles aptitudes. » (Source : Bien-être autiste)
Une fois qu’on a trouvé un emploi, l’entretien est également un gros frein : un tête-à-tête ou une réunion avec plusieurs personnes, à qui il faut expliquer nos motivations, nos qualités, ce que nous apporterions à l’entreprise… tout en gardant un contact visuel suffisant (pas trop intense mais quand même assez).
Je sais que les autistes ne sont pas les seuləs à appréhender les entretiens d’embauche, mais il faut dire que c’est une étape clairement éliminatoire pour les autistes dont le masque social n’est pas parfait.
Encore une fois se pose la question d’évoquer le TSA (Trouble du Spectre Autistique) dès l’entretien.
Évidemment, dans le cas d’une demande de poste adapté avec la RQTH (Reconnaissance en Qualité de Travailleur•se Handicapé•e), il faudra l’évoquer, mais s’il n’y a pas de RQTH en jeu, la question peut se poser… Pas forcément par crainte de discrimination (même si elle est là), mais aussi tout simplement parce que les réactions de validisme bienveillant sont usantes à force.
(Oui, je fais un parallèle avec le racisme bienveillant. Mais je ne vois pas comment qualifier autrement les réactions du type : « mais t’as pas l’air autiste », « oh, mon neveu est autiste, je sais donc très exactement ce que tu vis » ou « mais on est toustes un peu autistes ».)
Le soutien et les ressources pour s’intégrer dans le milieu du travail sont encore balbutiantes. Souvent, ces balbutiements sont la cause de stigmatisations et de discriminations fondées sur des stéréotypes et des préjugés.
Exemple personnel : lorsque j’étais à Caen, dans une des deux missions dont j’ai le meilleur souvenir, nous avons accueilli un jeune stagiaire en immersion. Je commençais à l’époque tout juste à me demander si par hasard je n’étais pas autiste. Le stagiaire passait une première journée dans un autre service, puis venait dans le nôtre, où je serais en charge de son immersion (une demande de ma N+2 que j’ai acceptée avec plaisir).
Eh bien, avant même qu’il n’arrive dans notre service, toutəs mes collègues intérimaires se chuchotaient déjà que le stagiaire était « bizarre », « chelou », « je crois qu’il est autiste » – un adolescent, en plus, plus jeune que l’ensemble des collègues en question.
Comment voulez-vous que les personnes autistes masquées se sentent bien dans ce genre de circonstances ? J’ai fait ce que j’ai pu pour le protéger de ça et lui montrer mes missions, en privilégiant les aspects qui semblaient l’intéresser au maximum et en le lançant sur ses intérêts spécifiques dans les moments de creux… et on a passé un bon moment. Enfin bon, je dois être biaisée…
D’autres problématiques s’ajoutent à celles-ci.
Il peut être difficile de maintenir un emploi sur le long terme en raison de la fatigue générée par le manque d’aménagements, mais aussi la pression sociale et les normes (pas toujours logiques à nos yeux) qui peuvent être imposées.
Or, comme on l’a vu, s’outer comme autiste pour demander des ajustements sur le lieu de travail peut paraître effrayant : comment être sûrə que cela ne causera pas plus de mal que de bien ?
Et bien entendu, si on n’arrive pas à sociabiliser « de la bonne façon », comme ça a été le cas dans mes dernières missions, on se retrouve facilement en situation d’isolement. Je n’ai ainsi pas réussi à nouer quoi que ce soit avec les membres de mon service… et ai été « sauvée » de déjeuners en solitaire grâce à des membres d’un autre service, qui m’ont chaleureusement invitée à leur table et intégrée malgré ma « timidité ».
Oui, même quand on est introvertiə, la sensation d’exclusion n’est jamais agréable. Savoir qu’on a la possibilité de rejoindre un groupe (parce qu’on a été invitéə, parce qu’on en fait partie) ou au contraire de dire qu’on veut aujourd’hui manger de son côté, ce n’est pas du tout la même chose que d’être excluə par défaut.
C’est en comprenant ces problématiques qu’on pourra ensuite envisager des solutions et des aménagements.
Parce que je peux vous assurer qu’une personne autiste dont le métier est lié à son IS (intérêt spécifique), dont le cadre de travail est adapté à ses hypersensibilités et dont l’organisation de travail prend en compte le besoin de prévisibilité et de routine s’épanouira et sera un excellent élément (pour parler en termes capitalistes).
Pour rester dans ce type d’argumentation, améliorer l'inclusion des personnes autistes dans le milieu du travail peut profiter à l'ensemble de la société en renforçant la diversité et en valorisant les compétences spécifiques des personnes autistes.
Et au niveau personnel, si l’environnement de travail est adapté aux besoins d’une personne autiste, c’est bien entendu tous les autres aspects de sa vie qui sont positivement impactés : qualité de vie, santé mentale et bien-être général.
Quelles solutions peut-on implémenter ?
À mes yeux, la sensibilisation et l’éducation à tous les niveaux est capitale. J’ai lu des témoignages d’autistes confrontéəs à des membres des Ressources Humaines totalement à côté de la plaque.
Ce n’est pas une fatalité !
Déjà, tout aménagement doit être discuté avec l’autiste : c’est ellui qui sait le mieux ce dont iel a besoin… mais pas forcément dès le début. En effet, verbaliser ses besoin n’est évident pour personne et d’autant plus pour de nombreuses personnes autistes.
Il faut donc également être prêt à réévaluer et réadapter les stratégies et aménagements dès que leurs limites sont visibles.
Les missions où je me suis le mieux épanouie sont celles où j’avais une référente (oui, c’était une femme à chaque fois) : une collègue au même niveau hiérarchique ou juste au-dessus, que je pouvais « embêter » pour toutes mes questions, qui me rassurait et m’évitait de ruminer où de me lancer dans des tâches inutiles.
Souvent, cette référente a également été mon soutien voire mon intermédiaire lorsque je n’osais pas m’adresser directement à la hiérarchie.
(Et cette référente ne m’a jamais été assignée du fait de mon autisme - je n’étais pas du tout au courant à l’époque ! Comme quoi, ce n’est pas un aménagement si spécifique.)
La mise en place d’unə collègue-référentə bienveillantə et patientə peut donc être un aménagement très important et utile – bonus si c’est cette personne qui s’occupe aussi de la formation de la personne autiste à son nouveau poste, ça facilite ensuite la demande d’aide par la suite.
Ensuite, absolument indispensable : une mission très précisément cadrée. Toutes les tâches, je dis bien toutes doivent être listées (si possible dès la fiche de poste) et pas des tâches vagues (« gestion des mails ») mais précises au possible (« lecture des mails, puis transmission aux personnes concernées ou réponse pour obtenir davantage de détails, en fonction des cas A ou B expliqués lors de la formation »).
C’est avec une feuille de route claire et exhaustive qu’on se sent le mieux.
C’est aussi beaucoup plus simple de comprendre des demandes postérieures, en les confrontant aux missions qui sont listées : si ça ne se recoupe pas, alors il est temps de demander des informations supplémentaires, mais sinon, on a déjà les réponses et ça facilite la tâche à tout le monde !
Il faut en tous cas que les objectifs soient clairs, réalisables, datés (oui, les délais, ça ne se devine pas !) et on peut également échanger avec læ salariéə autiste pour mettre en place les différentes étapes.
Surtout, éviter au possible les changements de dernière minute, les ajouts inattendus, les réunions imprévues… La prévisibilité et la routine sont des maîtres-mots de l’organisation au bureau pour une personne autiste.
Si c’est possible, proposer tout ou partie des heures en télétravail peut soulager une personne autiste avec des problèmes d’anxiété sociale. Sinon, éviter les open space et privilégier un bureau isolé ou maximum à 2-3 personnes (si possible avec læ collègue-référentə le cas échéant) : cela limitera d’office les problèmes liés au bruit (brouhaha général, bavardage, bruits de machines et de clavier).
On peut également proposer un casque anti-bruit et permettre l’utilisation d’un casque pour écouter de la musique en travaillant ou accepter la présence de stim toys (des jouets utilisés spécifiquement par les personnes autistes et TDA/H pour satisfaire le besoin de mouvements répétitifs qui survient en cas d’émotion forte, stress, concentration… bref, plein de situations).
Avant même tout ça, expliquer les règles est très utile : j’ai toujours lu avec attention les règles spécifiques à chaque entreprise, mais certaines normes implicites n’y paraissaient pas.
Pourtant, on peut avoir du mal à deviner le fonctionnement social de l’entreprise. Par exemple : tutoiement ou vouvoiement ? Si tutoiement général, y a-t-il des exceptions ? Quel est le fonctionnement hiérarchique ? Y a-t-il des endroits où il faut être discret ? Quels sont les différents services ? Y a-t-il des règles sur l’apparence et la personne autiste a-t-elle par pitié le droit d’y déroger et de venir avec des cheveux multicolores ? 😇
Un trombinoscope (avec prénom, nom, service et titre de poste) peut aider, mais faire le tour de tous les membres de l’entreprise le premier jour peut en revanche être très anxiogène… surtout si c’est fait en une seule fois et qu’il y a beaucoup de monde. Mieux vaut faire un service à la fois, petit à petit… de mon expérience du moins !
Au niveau de l’entreprise, la sensibilisation des employéəs aux défis rencontrés par les personnes autistes ainsi qu’aux stratégies à adopter pour les intégrer est nécessaire. Elle peut passer par des formations pour l’ensemble des collaboratricəs (il en existe déjà, notamment proposées par Autisme Emploi – je ne dis pas que ce sont forcément les meilleures : je dis qu’elles existent et c’est déjà ça).
J’en profite pour faire de la pub (non sponsorisée ahah) à une conseillère/médiatrice autisme en entreprise et université, elle-même autiste : Conseil Autisme Entreprises. Je suis tombée sur sa page lors de la rédaction de ce mail et n’ai donc pas la moindre idée de sa pratique, mais je tenais à souligner son existence. Quitte à partir vers des formations et sensibilisations, c’est toujours mieux d’avoir recours à une personne concernée !
Par exemple, quelques informations simples : ne vous formalisez pas si votre collègue autiste ne vous regarde pas dans les yeux, n’hésitez pas à lui demander quels sont ses hobbys plutôt que de parler de la pluie et du beau temps – et s’iel en parle trop longtemps, dites-lui gentiment, avec le sourire, que vous reprendrez éventuellement la conversation plus tard.
Surtout, n’oubliez pas ce point capital : votre collègue autiste est – surprise ! – une personne.
Voilà mes billes – voire mon énorme sac de billes – sur le sujet de l’autisme au bureau et des aménagements possibles. Je reste ouverte aux questions sur le sujet ou sur l’autisme au général, bien entendu ! 😁
Ce que tu ne savais pas comment tourner, c'est du validisme ordinaire, parfois bienveillant parfois pas : des comportements validistes qui ne seront pas considérés comme tels par les personnes non renseignées (là où tout le monde sera d'accord pour dire que "espèce d' *ttardé" ou "sale *truc raciste*", ça ne se dit pas). Les versions bienveillantes et ordinaires existent pour toutes les oppressions systémiques, c'est même leur expression principale, et c'est l'accumulation de toutes ces micro-aggressions qui fait l'enfer des concerné.es, cause leurs "syndromes d'imposteur" etc
Concernant la RQTH, les employeureuses vont essayer de te demander, mais t'es pas du tout obligé de dire pourquoi tu l'as ! Perso quand je mets RQTH sur mes CV, je décris mes limites et besoins spécifiques en entretien mais je leur dis pas que je suis autiste ! Je le faisais au début, optimiste quant à la compréhension et la bienveillance qu'on aurait pour ça, mais justement le validisme ordinaire m'a vite fait déchanter. À quelques exceptions près, ce n'est jamais qu'une pseudo-compréhension : les NT font pas l'effort de vraiment comprendre, donc ça te coince en pédagogie/ auto-justification permanente/gratitude que vous daignez m'accepter. Et ça se retournera trèèès vite contre toi au premier pépin... Bref, maintenant, j'attends de bien connaître tout le monde et de gagner leur "respect" avant de m'outer autiste, si je le fais tout court.
Voilà pour me petit complément, merci à toi pour ces mails :)