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Il m’a fallu longtemps pour comprendre que les expressions « atteintə de » et « souffrant de » ne sont pas tip-top lorsqu’on parle de personnes handicapées.
Depuis que je sais que je suis autiste, c’est devenu un sujet qui me touche directement – et j’y ai donc beaucoup réfléchi, même s’il n’est pas toujours évident de se sortir de ses réflexes linguistiques.
J’encourage l’utilisation d’une langue la plus inclusive possible, de toutes les façons possibles !
Cela exclut forcément d’utiliser des termes liés à l’identité minoritaire ou à la profession comme insultes (pédé, pute, etc), mais aussi d’employer des termes qui privent de leur autonomie les personnes désignées. C’est le cas des expressions que j’attaque aujourd’hui, à prohiber si l’on veut nourrir un langage inclusif et respectueux envers les personnes handicapées.
L’instant étymologie
Un épisode des « mots du mois » ne serait pas entier si on ne parlait pas étymologie !
Le terme « atteindre » vient du latin « attangere », qui signifie « toucher ». Dans « atteint de », on retient la notion d’être touché par quelque chose qu’on n’a pas choisi et qui fait du mal.
Interprétation similaire dans « souffrir de », du latin sufferre (« supporter, endurer ») de fero (« porter ») avec le préfixe sub- (« sous »). Encore une fois, et c’est assez transparent, la personne handicapée endure nécessairement son handicap, et surtout, elle l’endure passivement.
Ces deux expressions réduisent donc les personnes handicapées à des victimes de leur condition.
Vous aimez être vuə comme une victime ?
Non, hein. Alors, imaginez si toute votre identité était résumée à n’être qu’une victime de la vie. Pas super agréable.
Par ailleurs, ces expressions renforcent l’idée selon laquelle le handicap est une maladie ou un fardeau. Alors oui, le handicap peut être pénible pour une personne handicapée – personne ne va dire qu’iel apprécie ses douleurs chroniques (enfin, je suppose ?).
Le problème n’est pas seulement là : si on considère le handicap comme un fardeau pour la personne handicapée… alors par extension, on considère la personne handicapée comme un fardeau pour la société. Ce qui, vous l’avez devinez, alimente la discrimination et l'exclusion : personne ne veut s’occuper d’un fardeau !
Au niveau psychologique et émotionnel, ces expressions sont également douloureuses pour les personnes handicapées. Paradoxalement, les formulations comme « atteint d'autisme » peuvent donner l'impression aux personnes concernées qu'elles sont définies uniquement par leur handicap, négligeant ainsi leurs autres caractéristiques… tout en séparant arbitrairement le handicap de leur identité.
Je m’explique : je suis autiste – pas atteinte d’autisme, ce qui me mettrait en position passive et souffrante. Je suis autiste, parce que ça fait partie de moi et que, même si c’était possible, je ne m’en débarrasserais pas. Je suis partie prenante de mon handicap.
(Encore une fois, il existe autant de façons de vivre son handicap qu’il y a de personnes handicapées, donc il est tout à fait possible que certainəs aient un rapport bien moins serein avec leur handicap que moi avec le mien et c’est tout aussi légitime !)
Quelles autres possibilités ?
L’utilisation d’un langage inclusif a nécessairement un impact positif sur l’estime de soi et l’inclusion des personnes handicapées.
Plutôt que « atteint d’autisme », « avec autisme » ou « souffrant d’autisme », privilégiez « personne autiste » ou tout simplement « autiste », des termes respectueux et valorisants, qui permettent de reconnaître l'autonomie et l'identité de la personne dans son ensemble.
Je ne peux évidemment pas parler pour toutes les communautés de personnes handicapées – sans oublier que même au sein d’une communauté, chaque personne aura ses préférences – mais je sais par exemple que certainəs préfèrent « sourdə » ou « personne sourde » (plutôt que « atteintə de surdité / souffrant de surdité »), qui sont des expressions qui mettent l'accent sur l'individualité et la dignité des personnes concernées.
L'expression « personne en situation de handicap » reconnaît également l'aspect social du handicap et encourage à prendre en compte les barrières environnementales qui peuvent empêcher la pleine participation de la personne.
Pour rappel, le handicap n’existe en tant que tel que parce que la société est adaptée aux personnes valides. Moins il y a d’adaptation, plus le handicap est complexe à gérer au quotidien. En lui-même, cependant, le handicap n’est pas un fardeau.
Comment sensibiliser et éduquer ?
Il existe de nombreuses façons de se former et se sensibiliser sur le sujet, en commençant par la lecture de témoignages de personnes concernées, l’interaction avec elles, les rencontres…
Certaines personnes se sont professionnalisées, comme Clara FemmeBionique, qui propose des formations en entreprise et des ateliers de sensibilisation sur la surdité !
N’hésitez pas, vous-même, à relever les utilisations d’expressions aliénantes : qu’est l’océan si ce n’est une multitude de gouttes ? (pour citer David Mitchell et sa Cartographie des Nuages).
Je compte sur vous pour bannir « atteintə de » et « souffrant de » de votre langage – du moins en rapport avec les personnes handicapées !
J'ai une amie Aurore qui vient de faire un spectacle bien être incroyable "pile et face" sur comment dépasser ses peurs. Elle a accumulé une somme de connaissance et de pédagogie et d'éloquence incroyable.
Et dans son spectacle elle explique que cette force incroyable est née de son combat pour se reconstruire après un viol.
Pile et face, les épreuves sont douloureuses et injustes mais elles nous font aussi grandir.
On ne peut pas choisir d'avoir seulement les bonnes expériences et les bonnes émotions. Si on s'en prive, on se prive du côté face derrière.
Sans la depression j'aurais été un conformiste, et encore pour formiste je suis pas sûr
Je lis ce texte longtemps après ça parution.
Merci, pour ton explication, je comprends mieux pourquoi je n'aime pas la formulation "atteinte de" et sa formulation passive.
Et je me posait une question, en parlant de "personne autiste" ou "autiste", est-ce qu'on ne risque pas de réduire la personne à son handicap en la définissant à travers lui ?