Ma recherche sur... la forge [2/2]
Où l'on entre pour de bon dans la forge, qu'on martèle et qu'on trempe !
Est-ce que tu t’es remisǝ de ma « leçon » sur l’acier, le fer, le carbone, etc ?
Pas tout à fait ?
Ah que c’est dommage ! Car j’ai des précisions à apporter, grâce à ma consultante en physique-chimie.
Si tu t’en fiches d’en apprendre plus sur l’oxydation et le carbone, tu peux sauter la partie qui vient et directement passer à celle qui concerne la forge, personne n’en saura rien (sauf ta conscience).
La vie nous tue !
Mon enseignante de physique-chimie personnelle me précise donc que le graphite et le diamant sont à 100 % constitués d'atomes de carbone : leur seule différence est l’ordre dans lequel sont rangés ces atomes !
(Donc la prochaine fois que tu procrastines de ranger ta chambre, dis-toi que tu vas transformer du graphite en diamant, ça va peut-être te motiver.)
Je la cite directement pour éviter de faire des contresens en la paraphrasant :
D'une façon générale, le fer pur n'est pas stable dans la nature. Il réagit fortement au dioxygène qui va le couvrir d'une croûte, l'oxyde de fer (la rouille). Les alliages ajoutent des propriétés aux fer : l'inox [pour inoxydable] est de l'acier auquel on a ajouté du nickel ou du chrome qui sont, eux, inoxydables (donc inertes à l'action du dioxygène). D'où l'expression « nickel chrome » qui veut dire qu'une surface est très propre à la base (donc pas oxydée) et qui a dérivé en pas d'impureté, pas de soucis !
Le dioxygène est indispensable à la vie… Mais c'est aussi une molécule (assemblage de plus de 2 atomes) HYPER RÉACTIVE qui va progressivement attaquer la plupart des surfaces. Oui. Même ta peau. C'est pour ça qu'on te conseille de manger des… antioxydants.
Merci Elisa pour ces précisions ! Allez, on en a fini avec la physique théorique, plongeons désormais dans le brasier de la forge…
Que se passe-t-il dans la forge ?
La cémentation
Une fois que j’ai compris tous ces éléments physiques (est-ce que vous avez vu mon beau jeu sur la polysémie1 ?), je retourne donc sur mon premier article, qui m’explique que le fer est chauffé au charbon à plusieurs reprises (entre 900°C et 1200°C tout de même) pour diffuser le carbone du charbon dans le fer.
Seulement, le carbone ne pénètre que de 0,1 à 0,2 mm par heure de chauffe, c’est-à-dire que seule la surface du fer est aciérée.
La trempe
J’avais en tête le forgeron qui plonge la lame brûlante dans un seau d’eau, avec le psshhh ! de la vapeur. Mais la trempe est un processus bien plus complexe qu’un simple refroidissement du métal : le but de la trempe est d’augmenter la dureté de l’acier.
C’est là que ça devient technique : un acier dur, c’est bien ! Mais s’il est trop dur, on ne peut plus le façonner, le souder… Pire encore, il devient moins résistant aux chocs, voire cassant, ce qui est un comble pour une épée !
(Tu imagines, le duel de fines lames, les sabres qui s’entrechoquent… et là, elles tombent en morceaux parce qu’elles sont trop dures ? C’est un peu ridicule !)
Qu’est-ce qui rend l’acier dur, voire cassant ? Tu l’auras deviné (ou pas, ce n’est pas grave), c’est le carbone qui s’est invité dans le fer ! À partir de 2,3 % de carbone, il n’est plus possible de forger un acier car il n’est plus ductible (c’est-à-dire apte à être façonné par déformation).
Mais comment ça se passe la trempe ? Qu’est-ce que ça fait ?
Eh bien, lorsque le métal refroidit, des microcristaux apparaissent. Ce sont des symptômes de la modification de l’organisation cristalline d’un acier : chaque température provoque une structure bien précise dans l’alliage fer-carbone.
La trempe dans un bain plus ou moins froid a pour but de conserver une structure cristalline désirée qui confère à l'alliage une dureté voulue. La composition du bain, sa température, jouent un grand rôle au niveau des propriétés mécaniques du produit fini.
J’ai essayé de trouver une image pour illustrer les structures cristallines, parce qu’une image est souvent plus claire qu’un long texte, mais… les schémas que j’ai trouvés n’ont fait qu’accroître ma perplexité. Dans le doute, en voici tout de même une, peut-être qu’elle te parlera plus qu’à moi :
Après avoir chauffé l'acier aux environs de 800°C, il est refroidi brusquement dans un bain. Cette opération va transformer le carbone de l'acier en grains presque aussi purs que le diamant.
Avant l’invention de nos thermomètres, les forgerons se basaient sur la couleur du métal : c’est de la bonne maîtrise de ces couleurs que dépendaient tous les traitements sidérurgiques.
(J’adore le mot sidérurgie ! Sa racine grecque sideros (métal) est apparentée au latin sidus, sideris qui signifie… astre.)
Une petite image pour avoir une idée de ces couleurs et de la température correspondante :
Le revenu
Une fois que l’acier est chauffé puis trempé, il a donc tendance a être dur mais fragile. Pour limiter ces contraintes, les forgerons utilisent une technique nommée revenu, c’est-à-dire qu’ils réchauffent la pièce « à une température inférieure à celle de la trempe pour ne pas éliminer ses effets » (car la trempe est en effet réversible).
Les aciers corroyés
Jusqu’au XIIe siècle, les épées étaient corroyées, c’est-à-dire que l’acier était battu et soudé à chaud, car les forgerons avaient compris que « plus les couches de fer et d'acier étaient nombreuses, plus le corroyé était résistant ».
Ainsi, plier le métal à plusieurs reprises permettait d’allonger les fibres des macrocristaux, ce qui donnait de l’élasticité à l’acier.
L’action en elle-même, qui m’intéresse en particulier pour la description dans le roman, est bien décrite :
L'opération consiste à chauffer les pièces jusqu'à ce qu'elles soient à l'état pâteux, au blanc soudant, avec une température aux environs de 1300°C. Ensuite, il faut les marteler à coups de marteau, mesurés d'abord puis de plus en plus puissants, au fur et à mesure que le métal se refroidit.
Chaque soudure entraîne une perte de métal, brûlé dans la forge. Ainsi pour fabriquer une épée germanique, le travail est considérable ; il faut au départ environ dix kilogrammes de matière pour produire 2 kg de produit fini.
Cette technique, coûteuse en matière première, change à partir du XIIe siècle, puis est suivie d’une modification du type d’épée : on passe d’une épée de taille, large, à une épée d’estoc, dont le but est de « piquer » entre les plates des armures qui commencent à se répandre.
Taille et estoc ?
J’en profite pour faire une petite parenthèse sur la taille et l’estoc, une distinction qui importe !
Les épées de taille, comme l’indique leur nom, servent à tailler, couper, trancher : c’est le fil de la lame qui est affûté, et cette dernière est plutôt large. Pas vraiment lourdes (puisqu’on parle de 2kgs ci-dessus, contrairement à l’idée que veulent donner les films moyenâgeux), elles pèsent cependant plus lourd que les armes dédiées à l’estoc.
(En termes de jeu de rôle, les épées de taille font des dégâts sur le mode tranchant.)
Les épées d’estoc, en revanche, servent à piquer, pointer, à s’infiltrer entre les pièces d’armure. Plus fines, plus souples et plus légères, elles sont les stars des films de cape et d’épée.
(Toujours en termes de jeux de rôle, les épées d’estoc font des dégâts sur le mode perforant !)
Taille et estoc ne sont pas mutuellement exclusives : les premières épées de taille pouvaient avoir le bout pointu, et les rapières souples se voyaient dotées d’un tranchant effilé.
L’entretien des épées
Je complète ma lecture sur le forgeage des épées par un article sur les épées médiévales, lequel m’apprend que les épées s’oxydent assez vite, et ce, rien qu’au contact des doigts. Ma consultante en physique-chimie m’expliquait d’ailleurs l’importance de bien nettoyer des armes ensanglantées car le sang contient beaucoup de fer.
Les huiles corporelles et le sang permettent donc au dioxygène d’attaquer l’acier, et donc de faire rouiller l’épée. Je comprends mieux pourquoi les guerriers passent leur temps à nettoyer leurs armes !
(Tu m’étonnes que les chevaliers avaient un écuyer pour l’entretien de leur armure et de leurs armes, s’il faut passer son temps à les nettoyer, s’assurer qu’elles ne prennent pas l’humidité… L’enfer !)
Les parties d’une épée
Maintenant qu’on connaît les grandes étapes de fabrication, j’ai besoin de savoir nommer chaque partie d’une épée !
La lame comprend les éléments suivants :
le talon, à savoir la partie la plus large de la lame, qui fait le lien avec la monture,
la soie, l’extrémité de la lame, qui commence au talon et va jusqu’au pommeau ; on ne la voit généralement pas, car elle est à l’intérieur de la monture,
la gouttière, une cannelure creusée dans les lames de taille pour les rendre plus légères.
La monture, quant à elle, est composée de :
la garde, partie qui protège la main par exemple lorsque deux lames se croisent, elle peut être à quillons, et sert donc à parer,
la fusée, à savoir la partie qu’on tient dans la main, entre la garde et le pommeau,
le pommeau, à l’extrémité de l’épée, qui empêche la main de glisser et peut servir de contrepoids.
Une petite image, empruntée à l’article de Medieval Boutik :
Comprendre, c’est bien ; voir, c’est mieux !
Enfin, j’ai cherché une vidéo un peu didactique pour pouvoir observer toutes les étapes du forgeage et suis tombée sur celle-ci :
Voici les étapes, que j’ai relevées une par une, afin de me faciliter l’écriture des passages correspondants :
il faut commencer par chauffer la soie, puis taper ; quand le métal n’est plus assez chaud, il faut cesser de pilonner. Les forgerons de la vidéo commencent au marteau-pilon puis passent au marteau et à l’enclume ; dans mon roman, tout se fait au marteau simple ;
on trace ensuite les mesures exactes le long de la lame,
puis on passe la lame à la meule (pour faire abrasion).
Ensuite, il faut faire la gorge d’allègement (ou gouttière), afin que l’épée soit plus légère et plus souple.
On soude ensuite un crochet au bout de la lame (côté garde), on la suspend dans le four de trempe (traitement thermique à 880°C) puis on fait un choc thermique, d’abord en trempant dans l’huile (qui s’enflamme du coup, c’est très impressionnant !) puis dans l’eau (comme les escargots). À ce moment du traitement, l’épée est très cassante : si elle tombe, elle se brise.
Du coup, il faut faire un nouveau traitement thermique, c’est-à-dire qu’on la refait monter en température, puis on retourne la travailler sur la meule.
On passe ensuite au travail de la garde et du pommeau :
on chauffe la garde, un petit bout de métal qui sera perpendiculaire à la lame
puis on fait un trou dedans, dénommé le trou renflé, en y passant une broche (ici, elle a la forme d’un losange),
on insère la garde sur la lame,
on passe la fusée entre les quillons et l’extrême bout, sur lequel on fixe le pommeau,
et on finit en enroulant du fil, du tissu ou du cuir autour de la fusée, pour une prise en main plus agréable.
J’ai complété avec une autre vidéo, tirée d’une chaîne YouTube spécialisée :
Voilà, je t’ai expliqué tout ce que j’ai trouvé sur la sidérurgie, la métallurgie, la trempe… Bref, tout ce dont j’avais besoin pour décrire correctement l’expérience de la forge de mon protagoniste.
Et en pratique, ça donne quoi ?
Si ça t’intéresse, tu trouveras ci-dessous un petit extrait de la scène qui a nécessité de si longues recherches : il s’agit donc d’un spoiler !
Sinon, je te dis à mercredi pour un article un peu moins pointu (et ce jeu de mots-là, il était mieux ?).
J’obéis sans rechigner à ses instructions : aidées d’El et de No, nous frappons à tour de rôle le métal presque blanc tandis qu’Io le maintient sur l’enclume avec une pince plus grosse qu’elle. Lorsque la teinte du morceau atteint le jaune, commence à tirer sur l’orange, la fillette le replace dans les charbons qu’un gamin, chargé du four, alimente en permanence. Je dois avouer que donner des gros coups de marteau m’a bien plu ; le rire métallique de l’outil contre le fer m’a réjoui les oreilles – mais je n’ai pas perdu le fil.
Un mot polysémique est un mot qui a plusieurs sens.
Waouh, un vrai cours de forgerie ces articles ! Tu n'as pas fait semblant d'entrer dans le sujet, c'est chouette.