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J’ai grandi avec les mythes, les mythologies, les contes, les légendes, les fables et les récits religieux.
Les mythes fondateurs comme les contes de fées me fascinaient : parce que leurs personnages sont plus souvent des concepts que des personnes, parce que la structure narrative a un but, parce qu’elles enseignent quelque chose – pas forcément de façon directe, avec une morale, mais il y a toujours une intention derrière.
J’ai lu tous les contes de Perrault, d’Andersen, des frères Grimm. J’ai dévoré les 1001 nuits traduites par Antoine Galland, puis la version d’Aboubakr Chraïbi. J’ai découvert le Mahabharata dans une édition délicieuse, raconté par Samhita Arni et traduit par Anne Krief. J’ai plongé dans des légendes juives, des contes russes, des récits de toutes origines, notamment grâce aux 365 Contes des Pourquoi et des Comment rassemblés par Muriel Bloch. La mythologie grecque, je l’ai adorée à la sauce de l’autrice-illustratrice Aliki.
La notion de mythes fondateurs, l’existence de légendes et de fables, tout ça est constitutif de l’humanité et des sociétés. Il était donc impensable que je ne donne pas de tels récits aux sociétés inventées dans ma cosmogonie.
J’ai ainsi inventé la genèse de ce(s) monde(s) (j’essaie de laisser planer le doute pour ne pas divulgâcher) – et ensuite, j’ai pris en compte le temps qui a passé et qui a forcément altéré l’histoire, petit à petit, comme un message chuchoté, amplifié, transformé au cours des narrations et des répétitions.
Je tiens à souligner que je suis très admirative de la façon dont George R. R. Martin travaille ses mythes fondateurs et ses altérations dans Le Trône de Fer.
Cependant, je ne peux pas (encore) vous proposer l’un ou l’autre de ces contes inventés pour Sublimes. Alors, à l’inverse, je veux vous parler de ceux qui ont influé sur les personnages, sur la cosmogonie, sur la narration de ma trilogie.
Le Malin
Beaucoup (si ce n’est toutes ?) les religions ont une figure caractérisée par sa langue fourchue, sa capacité à tenter, à mentir, à flouer, à tromper – que ce soit pour du gain personnel (voler votre âme) ou juste le plaisir de semer la zizanie.
On parle du diable, de Lucifer, de Loki (ou Loge), d’Hermès, de Seth, du kitsune (divinité-renard) ou du tanuki (divinité-chien viverrin) japonais, des djinns, des fées ou fae…
Un point que l’ont retrouve chez plusieurs de ces êtres, c’est la notion de pacte, de contrat. En échange de ceci, je te donne cela. Il peut s’agir de son âme contre la richesse, d’années de sa vie contre l’amour de la personne qui ne nous voit pas, de la capacité à ressentir une émotion contre le succès…
On connaît ces mythes. Ils sont hyper-présents, notamment pour inciter à ne pas se fier trop facilement aux marchés étrangement séduisants.
Souvent, l’être malin détourne les clauses du contrat à son avantage. Il arrive aussi que son vis-à-vis parvienne ensuite à retourner la chose et que ce soit la créature qui soit prise à son propre jeu.
Parfois, la personne qui veut signer le contrat se retrouve dans le domaine de l’être surnaturel – et quand elle revient dans la réalité, le temps s’est écoulé bien plus vite ou plus lentement à l’extérieur qu’à l’intérieur.
Le Faust de Goethe est un récit à l’influence inévitable : on parle même de littérature faustienne, dont font partie des œuvres comme Le Maître et Marguerite de Boulgakov ou L’Histoire du Soldat de Stravinski, que j’adore tous les deux !
Le second est un mimodrame (musique de scène en forme de mélodrame), sur un texte de Charles-Ferdinand Ramuz, pour trois récitants : le Lecteur, le Soldat et le Diable. Vous vous doutez qu’il n’arrive pas que du bien à ce pauvre soldat…
(Ça dure une heure, ça s’écoute comme un audiobook musical ou un podcast.)
Cette figure mystique du trompeur (la plupart du temps masculin en occident) m’a toujours attirée. Iel ne respecte pas les règles, est capable de tant de choses incroyables, ne respecte rien ni personne… sauf ses contrats. Iel est capable de tourner les clauses à son avantage, ça oui, mais malgré tout, iel se tient au texte et s’incline (la plupart du temps) quand son adversaire parvient à le prendre à son propre jeu.
Souvent, la figure diabolique est ambiguë tant sexuellement qu’au niveau du genre. C’est l’incarnation même de ce qui sort de la norme, autre raison pour laquelle j’ai une telle affinité pour elle. Les représentations du diable dans les œuvres de toutes époques en font un être séduisant et indéfinissable à la fois, très souvent codé queer.
C’est particulièrement le cas dans les médias les plus récents : le Hadès du Hercule de Disney, le Lucifer de Netflix (joué par Tom Ellis), le roi des gobelins de Labyrinth joué par nul autre que David Bowie, le Dr Frank-N-Furter joué par Tim Curry dans le Rocky Horror Picture Show…
Alors, moi aussi, il fallait que j’aie un tel personnage. Un personnage insaisissable et pourtant lié par ses contrats. Un personnage flou, sans passé et sans futur. Un personnage un peu… chimérique.
Les anthropophages
Un autre lieu commun des mythes et légendes est la présence de créatures mangeuses de chair humaine – qui sont d’autant plus monstrueuses si elles sont elles-mêmes humanoïdes.
J’ai déjà parlé des ogres et ogresses, cielles du Chat Botté, du Petit Poucet ou de la Belle au Bois Dormant, mais aussi la Baba Yaga slave, la Téryel kabyle, l’ogre de Sindbad le Marin ou encore Yubaba du Voyage de Chihiro.
Mes anthropophages sont comme les ogressəs de Perrault : haute stature, richesse écœurante, pouvoirs étranges, absence de pitié… J’ai bien entendu adapté, modifié, ajouté ici, retiré là.
Je fais aussi référence au premier banquet au cours duquel les convives mangent la chair métaphorique de leur hôte : la Cène.
Les mythes sont riches de consommations cannibales – à commencer par le titan Chronos qui dévore ses propres enfants ou Tantale qui cuisine son propre fils, avec une belle notion incestueuse en plus.
Tout ce qui est goules, vampires, zombies, loups-garous (dévoreurs de cœurs) s’appuie sur cette même consommation du corps humain, par petits bouts ou entiers.
Alors c’est avec beaucoup de prévenance que je vous avertis de bien accrocher votre estomac avant d’entamer Sublimes…