Temps de lecture : 8 minutes
Au début, lorsque je me renseignais sur l’autisme, je me disais que certains points me concernaient mais que d’autres, pas du tout – ce qui en soi, n’est pas étonnant, puisque chaque personne autiste a un cocktail différent de traits autistiques.
L’un des traits dans lesquels je ne me reconnaissais pas du tout était le côté routinier.
Partout, je lisais que les autistes aimaient la routine. Sauf que moi, déjà, j’associais la routine au « métro-boulot-dodo » que je haïssais (et dont je me suis extrait·e aussi tôt que possible) ou simplement à l’ennuyeuse répétitivité. Mon amoureux m’a même récemment rappelé qu’au début de notre relation, il y a bientôt 10 ans, je lui ai affirmé détester la routine.
Soit, me disais-je : la routine ne faisait pas partie de mon cocktail autistique.
Jusqu’à ce que je comprenne que, comme souvent, des personnes allistes avaient défini ce trait – et pas de façon forcément limpide pour une personne autiste. (Ce qui arrive en réalité assez souvent dans les définitions des traits autistiques… mais c’est une tangente que je n’emprunterai pas aujourd’hui !) (Notez mon self-control.)
Ma compréhension s’est faite en deux étapes… tout simplement parce que dans ce terme de « routine » se trouvent deux réalités différentes.
La dimension rituelle
La première, et sans doute la plus facile à identifier, se définit mieux, à mes yeux, par le terme de « rituel » que par celui de « routine ».
C’est le réflexe ou la nécessité que vivent certaines personnes autistes de toujours faire la même chose de la même façon.
Je bois toujours mon chai tea du matin dans la même tasse – et si j’en bois un second dans la même journée, j’ai une seconde tasse dédiée.
J’utilise toujours les mêmes couverts – ceux qui sont en un seul morceau de métal (pas de plastique sur le manche ou quoi), avec un peu d’épaisseur (pas les trucs tous plats là) et qui pèsent un peu lourd en main.
Certains aliments ne sont mangés que dans certains types de vaisselle – et uniquement ceux-là. Bon, ça peut évoluer, mais ce n’est pas évident : au début de ma relation avec mon amoureux, j’ai découvert qu’il mangeait ses céréales… dans un mug. C’était totalement invraisemblable pour moi. Maintenant, ça m’arrive. C’est un peu exotique. Je préfère toujours les bols (mais pas trop grands ni trop profonds).
C’est aussi se brosser les dents en commençant systématiquement par le même côté de la bouche – et devoir faire un effort conscient pour alterner d’un jour à l’autre. Et me demander, souvent (et bieeen avant mon diag), si tout le monde est aussi rigide sur la façon dont se brosser les dents (notamment en comptant les secondes dans sa tête).
C’est aussi choisir toujours la même chaise pour s’asseoir à table (chez soi, chez des amix, en cours…). (Et bénir les profs qui imposent un plan de classe, ce qui fait que je sais que j’aurai toujours le même bureau du début à la fin de l’année scolaire.)
C’est aussi avoir une façon particulière de suspendre la lessive ou des étapes spécifiques et rigides dans la façon de la décrocher, plier, ranger.
Et, évidemment, c’est opposer une résistance lorsqu’on nous demande – ou lorsqu’on exige de nous – d’effectuer cette tâche d’une autre façon. Pour certain·es, ça génère de l’inconfort, pour d’autres, ça peut causer une véritable douleur.
Cette dimension rituelle fait partie de l’autisme, mais elle n’y est pas limitée : les troubles obsessionnels compulsifs peuvent en avoir des expressions similaires, me semble-t-il.
La dimension routinière
La seconde dimension, celle qui peut être plus proprement désignée par le terme de « routine », mérite, elle aussi, un peu plus de définition.
Encore une fois, ce trait ne se retrouve pas chez toutes les personnes autistes – et chez celles qui cumulent autisme et TDAH1, il crée de délicieux paradoxes.
En plus de ça, les réseaux nous matraquent de tout un tas de « routines bien-être », « routines beauté », « routines sportives », etc, qui m’angoissent rien qu’à les regarder.
Pourtant, il est indéniable que les routines ont un avantage pour les personnes autistes – et TDAH.
Pourquoi ?
Eh bien, figurez-vous que ces troubles neurodéveloppementaux génèrent chez beaucoup de personnes ce qu’on appelle la dysfonction exécutive.
Pour définir ce qui ne fonctionne pas, voyons déjà à quoi servent les fonctions exécutives. Elles permettent de2 :
- Décider d’un objectif
- Déterminer un plan pour l’atteindre
- Identifier les étapes qui constituent ce plan
- Les organiser mentalement d’un point de vue chronologique mais aussi d’un point de vue de pertinence (certaines étapes sont moins importantes que d’autres voire redondantes)
- Réagir si l’une des étapes du plan ne se passe pas comme prévu ou si des informations nouvelles nécessitent de modifier le plan
- Savoir ignorer les distractions lors de l’exécution d’une tâche
- Retenir et pouvoir manipuler les données nécessaires à l’exécution de la tâche en cours
- Avoir la flexibilité de passer d’une tâche à l’autre si l’imprévu survient ou si les circonstances changent
Il arrive chez tout le monde que les fonctions exécutives ne fonctionnent temporairement pas, par exemple si on est fatigué, qu’on a trop de choses à faire, qu’on traverse une phase de dépression… Cependant, chez les personnes autistes et/ou TDAH, l’exploitation des fonctions exécutives nécessite beaucoup plus d’énergie que chez les personnes neurotypiques (les fameuses « cuillères »).
Ça peut s’exprimer par une paralysie mentale et physique : comme je n’arrive pas à hiérarchiser les différentes tâches à faire, je suis bloqué·e. Je ne parviens pas à bouger et à entamer la moindre action, je reste donc à scroller sans but sur mon téléphone, alors que je sais que je devrais m’y mettre.
Les tâches sont des enfants dans la cour de récréation et elles refusent de se mettre en rang deux par deux alors que je fais sonner la cloche à m’en vriller les tympans.
C’est là que s’exprime la magie des ✨routines✨.
En mettant en place des routines, on épargne beaucoup de travail aux fonctions exécutives.
Par exemple, on sait que tous les jours il faudra :
se laver,
s’habiller et donc savoir quoi mettre,
se brosser les dents (2x),
manger (3x), et donc se faire à manger (nombre équivalent) et donc trouver/savoir quoi manger (nombre équivalent),
prendre ses médicaments,
faire des tâches d’entretien domestique (combien, quand, comment, lesquelles ?)
Chacune de ces étapes, y compris celles entre parenthèses, me consomme de l’énergie – même pas juste pour la faire, mais aussi pour l’anticiper, décider à quel moment la faire, m’y mettre et l’achever (parce que si on m’interrompt au milieu d’une, tout est à recommencer).
Or, depuis que j’ai mis mes routines en place, je n’ai plus besoin de réfléchir à ces tâches : elles sont dans mon petit tableau plastifié et je peux cocher au feutre effaçable chaque tâche quand je l’ai faite (ce qui est d’ailleurs très plaisant et encouragé, car les systèmes dopaminergiques des neuroatypiques fonctionnent différemment, ce qui impacte la régulation de la dopamine – et cocher des trucs sur des listes peut déclencher une micro-libération de dopamine et faire fourmiller les récepteurs) (et on aime ça, quand ça fourmille).3
Et comme je chéris mes abos d’amour, voici mon petit tableau sur Canva et en PDF ci-dessous :
(Bon, je ne fais pas la lessive tous les jours, faut pas abuser, mais je fais 2 lessives par semaine : 1 jour pour laver le linge sale & le suspendre, 1 jour pour plier et ranger le linge sec, ce qui me prend 4j/semaine.)
Je ne me contente pas de ce petit tableau. J’ai deux autres outils – ce qui m’en fait 3, ô joie – et ils sont complémentaires.
Le deuxième est alimentaire : tous les dimanches, nous établissons le menu de la semaine avec mon amoureux (midi et soir) sur un petit tableau effaçable aimanté au frigo. Comme ça, pas besoin de paniquer avant chaque repas et, en plus, on a choisi des plats faciles / rapides pour les jours chargés, anticipant sur l’énergie disponible (le fruit de longues années d’erreurs et d’essais).4
Le troisième est un bullet journal, qui me sert justement à anticiper et organiser tout ce qui est hors routines – donc ce sera un sujet pour un prochain article.
Le rôle des rituels et des routines
Comme vous l’avez constaté, je n’avais pas vraiment de routines avant mon diagnostic et ma TCC. J’avais clairement des rituels, mais je ne les avais pas développés en routines.
Pourtant, les routines ont la même fonction que les rituels : elles rassurent, elles rendent le contrôle sur un monde imprévisible, elles cadrent et canalisent.
Pour les personnes autistes, les routines – si elles ne sont pas déjà là avant une TCC5 ou une mise en place intentionnelle – permettent de contrer la dysfonction exécutive et d’avoir déjà une visibilité sur l’ensemble de la journée. (Le besoin de prévisibilité est un trait autistique.)
Pour les personnes TDAH, les routines permettent également de contrer la dysfonction exécutive et, entre autres, d’éviter les oublis générés par le côté inattentif.
Et j’ajoute que les routines peuvent être utiles à tout le monde, neuroatypique ou non, notamment en période de stress, de surcharge mentale, de dépression... Souvent, ce qui est perçu comme ennuyeux est aussi sécurisant (alors que ce qui est excitant, c’est ce qui est risqué/dangereux).
Il faut cependant suffisamment se connaître pour établir des routines qui font sens pour soi. Les routines d’autrui (cf mon tableau) ne sont pas forcément les bonnes. Je vous l’ai mis pour l’exemple et peut-être qu’il pourra servir à certaines personnes, mais clairement pas à tout le monde.
Enfin, je m’aperçois en concluant que cet article démontre un autre trait autistique qu’est la rigidité. Alors je précise que ces routines ont pour but d’aider, de rassurer, de faciliter la vie. Il faut savoir s’en défaire ou les ajuster quand elles deviennent un poids ou qu’elles sont trop dures ou frustrantes à suivre.
Comme dit Barbossa :
Bon, et maintenant, dites-moi : c’est quoi vos rituels à vous ?
Troubles Déficitaires de l’Attention avec/sans Hyperactivité – qui n’est pas un déficit et mériterait une autre dénomination, comme par exemple « VAST », qui met l’accent sur la variabilité de l’attention : https://www.additudemag.com/attention-deficit-disorder-vast/
Ici définies par Julie Bouchonville dans son article nommé « Dysfonction exécutive » : https://bienetreautiste.com/blogs/infos/dysfonction-executive
Voici un article de La Mini Coach TDAH sur le sujet : https://www.laminicoachtdah.fr/vivre-avec-le-tdah/adhd-and-dopamine
Ça a d’autres avantages, comme nous forcer à manger les ingrédients dans le frigo et limiter ainsi le gaspillage, car nous avons toustes les deux la propension à oublier l’existence des aliments s’ils ne sont pas sous nos yeux à chaque instant.
Thérapie Cognitivo-Comportementale
Merci pour ce courrier 🤩
Mon rituel préféré c'est au réveil : lancer la bouilloire et boire deux tasses de thé chaud avant les premiers aliments. Je tiens aussi à écrire dans le journal chaque jour pour savoir où j'en suis de mes émotions, justement pour adapter la routine au moment présent (ahlala, toutes ces adaptations 😂).
Il faut vraiment que je me crée des tableaux pour les tâches ménagères et les repas, ça m'éviterait bien des angoisses et des procrastinations ! De voir ton tableau, ça m'inspire parce que je me dis : reste simple, va à l'essentiel, t'adapteras le tableau au fur et à mesure.
Bonjour, chaque matin j'ouvre ma fenêtre pour aérer la pièce au moins dix minutes et je note sur une feuille combien d'eau je bois dans la journée pour bien boire deux litres d'eau (donc je bois soit dans un verre qui fait 0.3 l soit dans une bouteille de 0.5 l). Pour mon café, j'utilise toujours le même mug. Je note dans un cahier les livres que je lis (il a des entrées par lettre) avec l'année, ce qui me permet à la fin de l'année de compter le nombre de livres lus. J'essaie aussi de faire une critique de chaque livre lu sur le site Babelio, avec des citations du bouquin, mais là, j'ai déjà 3 livres lus pour lesquels je n'ai pas fait la critique (aïe aë aïe).