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J’ai lu plusieurs témoignages d’autricəs racontant l’émotion qu’iels avaient ressentie en tenant pour la première fois leur roman sous forme papier. J’avais hâte de ressentir ça, de goûter le papier, d’avoir en main l’aboutissement de douze ans d’obsession.
J’aurais dû savoir que ça ne se passerait pas comme ça.
Il faut dire que les conditions dans lesquelles j’ai tenu pour la première fois un exemplaire de mon roman n’ont pas été… idéales.
En raison des délais d’impression et de la nécessité que j’aie au moins quelques exemplaires à présenter sur mon stand lors du Festival Finistellaire, il a fallu commander en urgence des exemplaires imprimés par KDP, le service d’auto-édition proposé par Amazon.
Il est notoirement su (surtout par les autricəs auto-éditéəs et les maisons d’édition) que ce service n’offre pas forcément des impressions de première qualité. Pour être plus juste : les impressions des reliés (livres à couverture dure) sont très belles et arrivent en bon état… mais c’est moins le cas pour les brochés (livres à couverture souple).
Tenir en main quatre exemplaires KDP arrivés un peu cornés, avec l’image de la couverture mal alignée (si bien qu’il y avait une bande blanche sur le côté pour deux d’entre eux), ça ne m’a pas vraiment mis des papillons dans le ventre.
Qu’à cela ne tienne : je savais que j’aurais les beaux exemplaires, les vrais, les 200 qui ont été commandés chez un imprimeur de qualité, à temps pour le Salon du Livre du Touquet-Paris-Plage. Je les ai même reçus quelques jours auparavant.
Pourtant, je n’ai rien ressenti.
Pas de déception – que je n’ai pas même vécue en tenant les exemplaires KDP – mais pas de joie non plus. Grand maximum j’ai reniflé les pages du roman qui sentaient bon le neuf, pour le plaisir olfactif.
Bon, deux jours plus tard, je me suis enfin autorisé à ouvrir vraiment un exemplaire et à lire quelques extraits, à admirer le rendu, à apprécier l’objet.
J’étais toujours loin de ce raz-de-marée de joie que je pensais, que j’espérais, que je voulais ressentir.
Il y avait comme un détachement entre mon livre et moi-même.
Ce n’est qu’une fois de retour chez moi, après près de deux semaines en vadrouille, que ça m’a frappée. Et encore, il m’a fallu plusieurs heures, le temps que mon âme, mon esprit rejoignent vraiment mon corps et s’aperçoivent que j’étais à nouveau dans mon cocon.
Mon cocon dans lequel j’apprends à ressentir, mon cocon dans lequel je m’autorise à éprouver.
Là, enfin, au retour de mon amoureux – que je n’avais pas vu depuis mon départ, qui n’avait pas encore vu les exemplaires papier – là, en lui montrant Sublimes, avec la fierté que j’étais censée ressentir, quelque chose s’est allumé en moi.
J’ai enfin été submergée.
J’ai enfin regardé ce kilo de phrases et j’ai su que c’était moi qui l’avait produit et que je pouvais être fière et heureuse et sauter de joie.
Ce que j’ai fait, bien entendu. Notamment en le répétant une bonne vingtaine de fois au cours de la soirée, à mon amoureux à la tendre patience : « c’est incroyable, jusqu’à maintenant, vraiment, je n’arrivais pas à connecter, à ressentir ça, mais ça y est, je sais que ce livre est le mien, que je suis publiée, et il est si beau, et… »
Pourquoi ai-je mis si longtemps à ressentir ce plaisir ?
Pour plusieurs raisons, à mon avis, liées à l’autisme et à l’alexithymie.
« L'alexithymie est une difficulté à identifier, différencier et exprimer ses émotions, ou parfois celles d'autrui. Ce trait de personnalité est communément observé parmi les patients présentant des troubles du spectre de l'autisme et des symptômes psychosomatiques. » (Wikipédia)
Tout au long de ces deux semaines de vadrouille, j’ai eu de très nombreuses interactions sociales. Et, à plusieurs reprises, on m’a dit : « tu dois être contente ! », à moins que ce n’ait été : « tu dois être contente ? » (j’ai souvent du mal à distinguer s’il y a un « ? » ou un « ! » à la fin de ce type d’exclamations).
Que répondre ?
« Non, je ne suis pas contente... » Super, une jeune autrice publiée déjà cynique, incapable de se réjouir de l’aboutissement de son travail !
« Ben, en fait, je ne ressens rien… » En fonction de la personne en face, ça peut déboucher sur une conversation plus ou moins longue et plus ou moins agréable.
Et puis, je n’avais pas l’énergie mentale de me pencher sur la question pendant cette période bien remplie.
Alors, comme à cette question si performative qu’elle en devient vide qu’est le « ça va ? », je me suis résolue à répondre « oui ».
Peut-être un peu, aussi, parce que dans « tu dois être contente » est utilisé le verbe « devoir ».
Vous allez me dire : « oui, mais là, c’est dans un sens hypothétique ! »
Je ne dis pas le contraire. Mais, il y a tout de même de l’injonction, dedans. Une injonction qui ne date pas de la parution de mon roman.
En effet, parce que je suis autiste et alexithymique, j’ai dû apprendre comment réagir.
Quand on reçoit un cadeau, quand on a une bonne note, quand il se passe quelque chose qui ne m’influe pas le moins du monde mais qui, visiblement, devrait : je dois être contente. Et je dois aussi le montrer.
Attention, ce n’est pas un reproche, envers qui que ce soit. J’ai déjà suffisamment de mal à me comprendre, je ne peux pas m’attendre à ce qu’autrui en sache plus sur moi que moi-même.
Alors, comme souvent, j’ai fait semblant d’être contente.
D’une, parce qu’on supposait que je devais l’être.
De deux, parce que je savais, aussi, que c’était la réaction « normale » à avoir dans ces circonstances.
Et de trois, parce que je voulais ressentir ce plaisir, ce bonheur, parce que c’est une émotion positive que j’avais « méritée » (à défaut d’un meilleur mot). C’était mon dû, non ? D’avoir créé, d’être allée au bout de cette aventure, d’avoir produit un roman, avec l’aide de mon entourage intime et professionnel.
Et si je ne l’ai ressenti qu’en rentrant chez moi, c’est peut-être parce que j’avais besoin d’être dans mon cocon, d’être seule avec mes pensées, pour enfin laisser cette émotion s’épanouir.
Peut-être que c’est grâce à mon amoureux, qui vit ses émotions avec tant de sincérité qu’il est impossible de ne pas y réagir.
Peut-être que c’est tout simplement parce que vivre les émotions « à retardement » est un trait autistique assez courant.
Il m’aura fallu un peu de temps, mais ça y est : qu’est-ce que je suis contente !
Et si vous voulez me faire encore plus plaisir, n’hésitez pas à vous procurer votre propre exemplaire :
Sept camarades de l’Académie se réveillent sur l’herbe argentée d’une prairie inconnue. S’ils pensent d’abord à un examen de simulation, les majors de la promotion sont vite rattrapés par la réalité. Piégés dans une étrange citadelle, ils deviennent les proies du jeu sadique auquel s’adonne une cour charismatique de jeunes nobles hédonistes… et anthropophages.
Qui des amoureux, de la jardinière, de l’actrice, du sportif ou des stratèges remportera la victoire? Qui sera dégusté?
C'est vraiment curieux l'alexithymie, je n'en fais pas du tout mais quand j'ai rencontré mon mari il ne ressentait et n'exprimait les choses qu'une fois que j'avais nommé le changement de vibes que j'avais senti chez lui. Il y avait beaucoup d'inhibition chez lui et que je pointe avec une précision surprenante ce qu'il cachait même à lui-même c'était comme une autorisation à l'exprimer.
Although my wife and I have 2 actual children, I called my book a newborn baby when a box of copies arrived from the publisher. I announced the “birth” by saying it was 1 lb, 11 inches!