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En octobre 2024, j’avais écrit un article sur l’intérêt du diagnostic autistique, car la question était revenue à plusieurs reprises.
Depuis quelques semaines, le sujet me taraude à nouveau, car mes connaissances du sujet théorique comme pratique ont augmenté1 et j’ai identifié quelques points supplémentaires qui valent le coup d’être évoqués. Parmi mes sources et mes motivations à écrire cet article, je compte la série de mails de Nicolas Galita sur le sujet, à commencer par « Le diagnostic de l’autisme est vital », et l’article du Dr Devon Price sur les phases communes de l’acceptation de l’autisme (en anglais).
Il faut dire que pour moi, la découverte que j’étais autiste était l’aboutissement d’un errement qui datait de l’enfance. Je savais qu’il y avait quelque chose de bizarre chez moi, que je ne rentrais pas dans le puzzle de la société2 et que j’avais beau me plier en quatre, il y avait toujours des bouts qui dépassaient.

Découvrir et comprendre que j’étais autiste était pour moi une épiphanie, une révélation, la lumière au bout du tunnel. C’était une expérience d’une positivité écrasante – même, si, bien entendu, il y a eu des passages plus complexes, je ne le cacherai pas.
Du fait de mon vécu de ce « diagnostic »3, j’ai considéré, dans ma bienveillance infinie (aka mon petit complexe du sauveur), qu’il fallait que j’aide toutes les personnes que j’identifiais comme autistes à embrasser cette partie de leur identité, parce que je voyais le bien que ça m’avait fait et je souhaitais le même bonheur pour elles.
Je savais déjà qu’il valait mieux ne pas y aller trop de front et plutôt orienter vers la découverte autonome. Malgré tout, j’ai commencé à voir des réactions diverses, notamment le rejet de la possibilité qu’on soit autiste, ce qui me plongeait très honnêtement dans des abymes de perplexité.
Pourquoi ce rejet ? Pourquoi l’idée même d’être autiste générait-elle chez moi un tel enthousiasme et chez d’autres un malaise, un refus instinctif ?
J’ai plusieurs pistes en tête : des décennies de conditionnement, la méconnaissance de l’autisme et un validisme profondément ancré… et on va les suivre ensemble !
Car aujourd’hui, je veux essayer de m’adresser au plus de monde possible : aux personnes qui se demandent si elles sont autistes mais n’osent pas l’assumer, à celles qui ne veulent pas être autistes (alors que plusieurs personnes autour d’elles l’ont déjà suggéré, voire qui en distinguent elles-mêmes les indices à contrecœur), à celles qui ne comprennent pas à quoi ça sert de se coller cette étiquette (une de plus !), à celles qui ont peur de découvrir que leur unicité ne vient « que » de l’autisme, aux proches de personnes autistes, et à bien d’autres encore.
Comme je le disais, le rejet frontal n’a pas été mon vécu. Il faut dire que depuis que je connais Internet, j’ai fait tous les tests de personnalité en ligne que je trouvais, des plus débiles aux pseudo-scientifiques en passant par l’astrologie.
En trois mots : je me cherchais.
Et vous savez quoi ? Ce n’est pas en découvrant que j’étais autiste que je me suis trouvéə. Non, ça m’a juste permis de pouvoir commencer cette exploration depuis un sol stable, et non plus des sables mouvants.
« Ça ne peut pas être moi »
Pour certaines personnes cependant, la simple perspective de se considérer autiste est une douleur, qui ravive des blessures infligées au cours de la vie et provoque une réaction de refus.
D’un autre côté, quoi de plus normal ?
Accepter tout à coup qu’on est autiste reviendrait à confirmer ce que disaient nos familles, pairs, corps enseignants – à accepter que les critiques et insultes validistes reçues étaient « vraies ».
D’autre part, l’autisme est si mal connu qu’on n’en connait que les pires stéréotypes (Rain Man ou Sheldon, l’absence d’empathie…) ou ceux qui sont loin de notre propre réalité (génie en maths ou en astrophysique).
Sans parler du fait que le terme d’autiste était (est encore ?) utilisé comme insulte dans la cour de récréation.

Les autistes pointéəs par ces insultes sont souvent (pas que) cielles qui n’ont pas les outils pour masquer, voire pour s’exprimer.
Pour autant, il y a énormément d’autistes qui sont tout à fait « capables » de masquer, de dissimuler leurs particularités, d’apprendre à faire comme les allistes4 (en s’exerçant à faire des expressions dans le miroir pour développer une mémoire musculaire, en apprenant comment se comporter dans les livres, les films, les séries…).
C’est d’ailleurs la population autistique avec le plus haut taux d’idées suicidaires et de passage à l’acte, sachant que la mortalité suicidaire des personnes autistes est trois à sept fois supérieure à celle de la population générale, en fonction des pays.5
Instinctivement, je savais que je portais un masque depuis des années6. Aussi, quand j’ai découvert les tests sur l’autisme (et leurs intitulés écrits par des allistes), j’ai répondu comme j’aurais répondu dans l’enfance, et non plus à l’âge adulte, où tant d’épaisseurs de masque et de tissu me séparaient de qui j’étais vraiment.
Je crois que beaucoup d’autistes ont passé tellement de temps à masquer sans le savoir qu’iels ont du mal à se reconnaître dans les descriptions les plus connues et qui sont, je le rappelle, écrites par des allistes pour pointer ce qui les gêne dans le comportement autistique.
Difficile alors de se dire « ah oui, j’ai un déficit de réciprocité sociale » quand on sait qu’on parle facilement avec tout le monde, que ce soit parce qu’on a appris à être le centre de l’attention en mode clown pour couvrir ce qu’on craint être des impairs, ou parce qu’on adore parler de ses intérêts spécifiques et écouter les passions des autres.
Enfin, il y a une grosse part de validisme7 intériorisé à mon avis, qui s’exprime de plusieurs façons :
d’une part, on n’a pas envie d’être perçuə comme handicapéə (parce bouh, c’est horrible d’être handicapéə 🙃)
et, simultanément, on se dit « mais je suis trop fonctionnellə pour être autiste » (tout en oubliant – au hasard – la tendance à être systématiquement malade le premier jour des vacances, le retour cyclique de phases dépressives8, la fatigue chronique ou les moments de vide et/ou d’absence totale d’énergie9).
Comme le sexisme ou le racisme intériorisés, le validisme intériorisé est le résultat d’une valorisation de la productivité, de la performance et de la conformité, omniprésente dans notre société. Dès l’enfance, on nous dit qu’il faut « surmonter » ses difficultés, comme le prouve la survalorisation des cas où une personne handicapée parvient à être exceptionnelle (ce qui, par définition, est une exception).10
Dans un monde fait pour les personnes valides, le handicap est un échec social : comment pourrait-on vouloir accepter son autisme ?
On peut ainsi rejeter cette idée parce que ça contredit notre image de nous-mêmes. Ou alors, dans d’autres cas, le refus peut venir d’une autre raison : le doute sur l’utilité de se coller une étiquette qui a si mauvaise presse.
Mais alors, qu’est-ce que ça change ?
Et en effet, si on se colle l’étiquette de l’autisme (parce que d’autres gens l’ont dit, que ce soit psy, proches ou famille) sans aller plus loin… ça n’a pas grand intérêt.
Ça peut servir à expliquer certaines choses, mais, en soi, c’est juste un mot.
Accepter qu’on est autiste, ça n’a un intérêt que quand on se penche un peu sur le sujet (traité, si possible, par d’autres personnes autistes), car là, on peut commencer à découvrir ce qui relève de l’autisme et comment on peut : compenser ce qui peut l’être, s’offrir de la tendresse et de la compréhension sur ce qui ne le peut pas, communiquer avec son entourage pour créer un environnement épanouissant, etc.
Pour certainəs autistes, découvrir qu’iels ne sont pas des neurotypiques nulləs mais des personnes autistes tout à fait normales suffit. Iels voient alors qu’elles essayaient d’être des poissons alors qu’elles étaient des oiseaux (ou vice-versa).
Pour d'autres, la notion d’être une « personne autiste tout à fait normale » est un drame… parce qu’iels ont la sensation d’y perdre leur unicité, ce qui faisait leur personnalité, leur originalité (même si c’était d'être « uniquement » nullə, le syndrome d’imposture, tout ça).
Et oui, beaucoup de ce que je pensais être « ma personnalité » était en fait des traits autistiques. Est-ce que j’en perds pour autant ce qui me rend unique ? (Non, parce que ça, ça vient du fait que je suis Verseau.)
Non, bien sûr que non.
Nombre d’autistes sont fans de fantasy, adorent écrire et partagent des intérêts spécifiques, des hyper- ou hyposensibilités sensorielles avec moi. Et ce n’est pas une mauvaise chose de le découvrir !
Au contraire, pouvoir distinguer ce qui relevait de l’autisme et ce qui était moi m’a permis de me défaire (lentement) de beaucoup d’insécurités et d’embrasser tout ce qui me rendait moi.
Dernier point : on peut craindre de tout à coup se résumer à son identité autistique.
Pas de panique, beaucoup de monde passe par là et non sans raison : l’autisme étant un neurotype, un fonctionnement cognitif, il touche à tous les aspects de notre vie.
Ce n’est donc pas étonnant qu’on puisse se sentir « réduitə » à ça pendant un moment. C’est transitoire. C’est le temps d’apprendre à faire la part entre ce qui relève de l’autisme et ce qui relève de notre individualité.
Il faut apprendre comment fonctionne le logiciel avant de pouvoir s’en servir.
Découvrir la possibilité qu’on soit autiste est une expérience qui varie en fonction des personnes. Ce n’est pas parce que ça a été un véritable soulagement11 pour moi que ce le sera pour tout le monde…
Pour autant, ce n’est pas aberrant, au vu de ce qui est en jeu dans notre société, des clichés sur l’autisme, de la méconnaissance à son sujet et du validisme de la société en général. Personne n’a envie de se voir comme « moins que » !
Cependant, des récits que j’ai lus et entendus, le rejet initial cède en général. Souvent, le temps suffit : on n’est parfois pas prêtə à l’accepter la première fois qu’on l’effleure… mais quand on y revient plus tard, l’évidence s’installe.
Dans tous les cas, que vous soupçonniez être autiste ou qu’on vous l’ait suggéré, que ça vous soulage ou que vous le rejetiez : toutes les réactions sont légitimes. Si vous préférez refuser cette étiquette, c’est mille fois compréhensible.
Et j’ajoute une dernière chose, la plus capitale à mes yeux : c’est à vous de vous définir et à personne d’autre.
On continue sur le sujet la semaine prochaine, en se penchant sur un autre point commun à beaucoup d’autistes qui se découvrent à l’âge adulte : le syndrome de l’imposture autistique.
(En vrai, je voulais tout traiter d’un coup, mais ça aurait fait un mail de 20 minutes de lecture. Je suis fièrə de ma retenue.)
Si vous avez des questions sur le sujet ou des pistes que vous souhaitez que j’explore, n’hésitez pas à les suggérer en commentaire ou directement dans ce document :
Oui, je suis unə de ces nombreuxes autistes qui a développé un intérêt spécifique… sur l’autisme.
J’en profite pour sniper Autism Speaks, une horrible organisation super validiste qui veut guérir l’autisme (ce qui est totalement impossible, puisque l’autisme est juste une construction neurologique différente et la « guérison » implique donc de forcer les autistes à apprendre comment réprimer et cacher leur autisme… ce qui cause des souffrances énormes) et dont le symbole et la couleur sont le puzzle et le bleu. Si vous voyez ces deux symboles dans le cadre de l’autisme, allumez votre détecteur à bullshit : même si Autism Speaks n’a pas la même visibilité en France qu’aux Etats-Unis, ses idéologies ont pu parvenir ici.
Je mets désormais « diagnostic » entre guillemets, car comme l’a rappelé Nicolas Galita, ce n’en est pas un dans le cadre de l’autisme. Un diagnostic évalue une maladie (ou un trouble). Or, comme l’autisme est un neurotype, une construction différente du cerveau, il ne s’agit pas d’une maladie… et on ne peut donc pas la « diagnostiquer ».
Non-autistes
https://fr.wikipedia.org/wiki/Suicide_chez_les_personnes_autistes
Mon intérêt spécifique sur les masques, les costumes, le déguisement, le cosplay… était un bon indice.
«Le capacitisme ou validisme est un système de valeurs sociales faisant de la personne dite « valide », sans handicap, la norme sociale. Au sein d’une société se conformant à une telle norme peuvent dès lors se développer des jugements dévalorisants à l’encontre des personnes vivant un handicap. »
Qui pourraient être du burn-out autistique
Qui pourraient être des shutdowns autistiques
Je repense à mon interview qui avait été intitulée « Une romancière combat l’autisme avec les belles-lettres » …
Une des rares émotions que je comprends et ressens sans problème, je tiens à le dire.