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« Reste à ta place ou tu le paieras pour l’éternité ! »
Dans la mythologie grecque, il existe un concept très important : celui de l’hybris (que je prononce, à tort ou à raison, hubris).
Par essence, seuls les êtres humains peuvent se rendre coupables d’hybris, qui est un défaut d’orgueil caractérisé : celui de se croire égal ou supérieur à la divinité.
Et comme les divinités grecques sont très… humaines, elles sont aussi jalouses, et fières, et ne manquent jamais de remettre à leur place les mortelləs qui ont osé se prétendre meilleurəs qu’elles.
Oui, toutes les divinités, même les plus sages, comme Athéna. Et elles sont très inventives lorsqu’il s’agit de punir ces outrages, ce qui m’a toujours fascinée.
Mon premier instinct est de penser qu’un dieu ou une déesse ne peut pas douter de sa divinité, de sa toute-puissance.
Alors à quoi punir unə humainə trop prétentieusə, puisque de toute façon, iel ne pourrait jamais atteindre la divinité ?
C’est pourtant quelque chose qui est présent dans de nombreuses religions, y compris monothéistes : lorsque le roi de Babel, Nemrod, décide de faire construire une tour pour atteindre le Paradis et se montrer l’égal de Dieu, celui-ci punit non seulement le souverain mais toustes les ouvriers et ouvrières d’une façon très efficace. Chaque personne présente parle tout à coup une langue différente, ce qui cause incompréhension… et stoppe définitivement la construction de la fameuse tour. (En plus de générer des conflits par la suite, mais c’est une autre histoire.)
Les divinités n’ont pas peur d’être mises au défi. Non, elles savent bien qu’elles sortiront toujours victorieuses, par essence. C’est la simple tentative, l’orgueil, qu’il faut punir – afin de rappeler à ces misérables humainəs, qui n’existeraient pas sans leur « bonté », qu’iels n’ont pas à sortir de la place qui leur a été donnée. C’est par la punition qu’on donne l’exemple… et des exemples, il y en a une foultitude. Vraiment.
J’ai déjà évoqué Méduse et Prométhée, dans des mails dédiés : n’hésitez pas à aller les (re)lire !
Le mythe d’Arachné
La belle Arachné tissait avec passion, grâce et talent, si bien qu’Athéna, la tisserande divine (en plus d’être la déesse de la sagesse, de la stratégie, etc) décida de venir voir ce qu’il en était d’elle-même, transformée en vieille dame. Devant elle, Arachné se prétendit meilleure que la déesse Athéna : la vieille dame reprit son apparence et la mit alors au défi.
Chacune réalisa une toile : la déesse représenta le Panthéon dans toute sa gloire, ainsi que des humainəs présomptueusəs dans les coins. Arachné, elle, tissa les épisodes honteux des existences divines : les tromperies de Zeus, les scandales, les scoops de presse people. Furieuse, Athéna – ne trouvant aucun défaut dans la toile, si ce n’est le thème choisi – frappa la mortelle de sa navette et déchira la pièce. Désespérée, Arachné se pendit, et Athéna la transforma alors en araignée.
Comme avec Méduse, on peut y voir deux interprétations : Athéna aurait-elle eu pitié d’Arachné, lui permettant par la transformation de continuer à vivre et à tisser ? Ou au contraire considérait-elle le suicide comme une sortie facile, et condamne-t-elle ainsi Arachné à une existence interminable et maudite pour son outrage ?
Sisyphe et son rocher
Difficile de ne pas avoir au moins entendu le nom de Sisyphe, présent dans le titre d’un essai d’Albert Camus (que je n’ai pas lu, il faut que j’y remédie) : Le mythe de Sisyphe.
Je me souvenais juste de la punition de Sisyphe – devoir hisser un rocher en haut d’une colline, sans fin, car le rocher ne cesse de retomber – mais pas de la raison, et la relecture de son histoire a été… éclairante.
Sisyphe était une incarnation de la ruse, au même titre d’Ulysse, si bien que les mythes ont fini par se téléscoper : ainsi, dans certaines versions, Sisyphe a violé Anticlée, la mère d’Ulysse, pour être son père. (Super.)
Ce n’est cependant pas la raison pour laquelle il a écopé de ce châtiment (si les hommes étaient punis par les dieux d’avoir violé des femmes, ça se saurait). Non, Sisyphe a véritablement trompé, insulté, déjoué les dieux – et avec brio.
D’abord, il a exigé une source qui ne tarirait jamais au dieu-fleuve Asopos, en échange de la localisation de sa fille Égine, enlevée par Zeus (oui, on reparlera des nombreuses « conquêtes » de Zeus). Furieux qu’Asopos ait récupéré sa fille, Zeus envoie Thanatos, le dieu de la mort, récupérer Sisyphe pour l’emmener aux Enfers. Trop malin, Sisyphe accueille Thanatos et lui dit : « eh, tu veux voir ma toute nouvelle invention ? DES MENOTTES ! »
Enchaîné, Thanatos est incapable d’emmener les âmes des défuntəs aux Enfers, ce qui finit par susciter l’interrogation sur l’Olympe. Cette fois, Zeus envoie Arès, le dieu de la guerre (pas forcément la lame la plus affûtée du présentoir… mais doué à la baston), qui libère Thanatos et emmène Sisyphe.
Vous croyez que c’est fini ? Que nenni !
Sisyphe avait demandé préalablement à sa femme de ne pas lui organiser de funérailles adéquates – ce qui est tout de même problématique pour un roi (oui, parce que Sisyphe était roi) – et parvient à convaincre Hadès de le laisser retourner à la surface pour résoudre ce problème. Une fois là-haut, il refuse simplement de redescendre (on aurait fait pareil).
Zeus envoie enfin Hermès, le messager des dieux et occasionnel assistant de Thanatos, récupérer Sisyphe de force… et exige qu’il subisse son châtiment éternel pour avoir osé se jouer de la mort et des dieux, non pas une, mais deux fois.
Tantale
Le supplice de Tantale – et son crime – faisait partie de mes préférés. (Oui, j’étais une gamine bizarre.) Parce que ça parle d’anthropophagie. (Oui, je suis toujours bizarre.)
Fils de Zeus et de la nymphe Ploutô, Tantale était un roi, mortel, souvent invité à la table divine. Il existe de nombreuses versions de son mythe : dans certaines, il a volé du nectar et de l’ambroisie (des mets divins) ou raconté des secrets divins à d’autres mortelləs.
La version que je lisais, elle, était bien moins… gentille. Tantale voulait vérifier que les divinités étaient bien aussi omniscientes qu’elles le prétendaient (esprit scientifique, en quelque sorte) et décida pour tenter l’expérience… de tuer son propre fils, Pélops, et de le servir lors d’un dîner. Les convives divins s’aperçurent tout de suite de la supercherie, sauf Déméter qui pensait à autre chose (probablement à Perséphone) et mangea un bout de l’épaule.
Zeus ordonna à Hermès de remettre tous les bouts de Pélops dans la marmite et de le ressusciter – le bout d’épaule manquant fut remplacé par un morceau d’ivoire (la première prothèse ?).
Quant à Tantale, pour avoir douté de l’omniscience divine (quel toupet !) et avoir essayé de leur faire manger son propre fils (non mais vraiment…), il fut placé au centre d’un lac, sous les branches d’arbres fruitiers recouverts de beaux fruits, juteux et appétissants. Sauf que, dès qu’il essaie de se pencher en avant pour boire, l’eau descend, et dès qu’il tend la main pour attraper un fruit, les branches s’élèvent hors de sa portée.
Aujourd’hui, on peut appeler un « tantale » quelqu’un qui désire quelque chose qu’iel ne peut pas obtenir. Et en anglais, Tantale a même son propre verbe, to tantalize, qui signifie « tenter quelqu’un avec quelque chose de désirable mais le garder hors de sa portée / ne pas lui donner ».
Ce mail est déjà assez long. La prochaine fois, je vous parlerai donc de Niobé (la fille de Tantale, parce que l’orgueil est héréditaire), des Danaïdes, de Marsyas et de Sémélé (la mère de Dionysos). Et peut-être d’autres, si je m’en souviens d’ici là !