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Je voulais écrire ce mail sur l’appropriation linguistique – l’appropriation culturelle au niveau linguistique – mais je m’aperçois que ce n’est pas une bonne idée. Pas tout de suite, du moins. Il faut que je me renseigne davantage et surtout que je trouve la bonne façon d’en parler, sans prendre la place des communautés concernées. À la limite, je pourrais parler du yiddish – et encore, je ne l’ai jamais appris moi-même !
Mais comme j’ai beaucoup d’amour pour la linguistique, je pense trouver un angle qui me permettra d’évoquer l’appropriation linguistique… Peut-être par le biais de la traduction, peut-être par une approche cosmogonique / de worlbuilding ? Je laisse ce sujet en suspens pour l’instant…
Me voilà bien embêtée, et je dois piocher dans l’un de mes sujets de secours pour ce mail. Comme mes derniers conseils « pratiques » d’écriture datent d’il y a tout juste un mois (La Grille des Savoirs), je me suis dit qu’il était temps de repartir sur un mail de ce type…
Le « TGCM », c’est chouette mais ça transforme votre histoire en ballon !
« TGCM », c’est un sigle qui vient de l’univers des jeux de rôle : « ta gueule, c’est magique » (ou en version science-fiction, que je découvre à l’instant : TGCQ, « ta gueule, c’est quantique », j’adore !).
En jeu de rôle, on utilise « TGCM » pour imposer la validité d’un événement ou d’un retournement de situation sans explication logique : ça n’a pas besoin d’être logique, puisque c’est magique !
Si en JDR, le TGCM peut être utilisé à loisir (en fonction des tables, bien entendu), dans un roman, cela peut vite lasser le lectorat.
Il en est de même du deux ex machina, qui vient pour le coup du théâtre. Le deux ex machina, c’est littéralement le « dieu qui sort de la machine(rie) », un personnage tout-puissant qui sort de nulle part (et souvent, sans explication) pour sauver les protagonistes et retourner la situation par sa seule présence.
À force de tirer sur la corde de la fameuse SCI (Suspension Consentie de l’Incrédulité), elle finit par casser : en tant que lectrice, je suspends volontiers mon incrédulité, mais il faut au moins qu’il existe une logique à l’intérieur de ce système magique.
Ou pour conserver la métaphore du ballon : à force de gonfler son ballon de baudruche, il finit par éclater, et on se rend compte qu’il n’y avait qu’un peu de caoutchouc (c’est fait en caoutchouc les ballons ? Ah non, en latex, tiré de l’hévéa) et beaucoup d’air.
Alors, pour que le TGCM tienne la route, il faut que la magie ait des règles.
Dans Harry Potter, il faut utiliser des baguettes magiques et des formules. Il est possible de s’en passer, mais pour cela il faut beaucoup plus d’entraînement – et une très forte affinité avec la magie. L’origine de la magie n’est, à ma connaissance, pas plus expliquée que cela.
Dans Les Annales du Disque-Monde, il existe plusieurs façons de pratiquer la magie, elle-même liée à la fameuse Huitième Couleur, titre éponyme du premier volume de la saga. L’humour présent dans toute la série permet d’ailleurs une très bonne utilisation de la SCI, puisqu’on accepte plus facilement l’illogique si le but est de faire rire !
Pour ma part, la magie n’est que peu présente dans le premier tome de Sublimes. Elle est là, on la devine, on sait qu’elle existe puisque sans elle certains éléments seraient inexplicables. Je commence juste les explications à partir du tome 2… pour donner les éléments finaux dans le troisième tome.
En revanche, ce qui sera révélé dans la trilogie ne sera qu’un fragment de tout ce que j’ai élaboré pour mon système de magie. Je sais, moi, autrice, comment fonctionne la magie dans le monde de Sublimes, d’où elle vient, ses limites et ses capacités, ses différentes expressions… mais je n’ai pas besoin de tout expliquer à mes lectricəs. Au contraire, la magie doit garder une part de mystère.
J’en donnerai juste assez pour que ce ne soit pas perçu comme un TGCM péremptoire, mais bien comme un « mmh, c’est énigmatique la magie, hein ? Mais ça a un fonctionnement logique, comme la gravité ou l’électromagnétisme ».
(Si en revanche, un jeu de rôle basé sur Sublimes voyait le jour, la partie dédiée au système de magie serait bien plus exhaustive, afin de donner – paradoxalement – plus de liberté d’interprétation aux MJs et joueusəs.)
Le B.A.-BA de la sorciécrivaine
Pour élaborer un système de magie fonctionnel, j’ai procédé un peu de la même façon que pour créer un personnage : j’ai fait une fiche, avec des catégories et des sous-catégories.
(J’aime les fiches, les catégories et les sous-catégories.)
L’origine de la magie
D’où vient-elle ? S’agit-il d’un élément omniprésent (ou presque), comme l’oxygène ? Ou au contraire, crée-t-on soi-même la magie (par des rituels, formules, sacrifices…) ?
Par exemple, dans Septimus Heap d’Angie Sage, la magie est omniprésente. Il faut juste savoir / pouvoir la canaliser.
Le fonctionnement de la magie
Comment canalise-t-on la magie ? Faut-il réciter des formules, effectuer des rituels, sacrifier quelque chose d’équivalent au pouvoir utilisé ? Suffit-il au contraire juste de se concentrer ?
Par exemple, dans la série Netflix The Order, les praticiennəs de la magie doivent se blesser (verser quelques gouttes de sang) pour chaque sortilège effectué. S’il n’y a pas ce donnant-donnant, cela crée un déséquilibre aux conséquences cataclysmiques… Pareil dans le manga / anime Fullmetal Alchemist, dans lequel il me semble que c’est la première règle : on ne peut rien créer sans sacrifier quelque chose d’équivalent.
La répartition de la magie
Est-ce que tout le monde peut pratiquer la magie ou seulement une certaine partie de la population ?
Dans La Roue du Temps de Robert Jordan, seules les femmes peuvent canaliser la magie sans risquer leur santé mentale. Dans Harry Potter, une grande partie de la population est incapable de canaliser la magie (les moldus).
Y a-t-il une raison à cette répartition, s’il y en a une ? Par exemple, faut-il être d’une lignée spécifique ? Avoir passé un rite d’initiation ? Rassembler différents paramètres ?
La famille des Targaryens est techniquement la seule à pouvoir chevaucher les dragons dans A Song of Ice and Fire / Le Trône de Fer de George R. R. Martin. Dans La Quête d’Ewilan de Pierre Bottero, plus grand est l’équilibre entre le Pouvoir, la Créativité et la Volonté d’une personne, plus ses capacités magiques sont exceptionnelles.
Les capacités et limites de la magie
Que peut faire la magie – et surtout que ne peut-elle pas faire ?
Peut-on ressusciter des personnes ? Voyager dans le temps ? Est-ce une magie qui permet « juste » d’améliorer ses capacités physiques ou peut-on changer la réalité lorsqu’on la manie ? S’agit-il de petits tours de passe-passe (léviter, réparer de petits objets) ou de puissances incontrôlables (incendier une forêt d’un claquement de doigts, faire surgir une montagne) ?
De la même façon, qu’est-ce qui limite les pratiquantəs de la magie ?
Ainsi, dans Le Tombeau Scellé de Tamsyn Muir, les nécromants et nécromanciennes ne peuvent pas faire de magie quand iels sont dans des navettes spatiales : iels ont besoin d’être sur des planètes qui ont connu la vie – et, plus important, la mort – afin d’être en mesure d’utiliser leurs pouvoirs.
Ou encore, dans le manga / anime One Piece, les personnes qui ont mangé les Fruits du Démon (qui leur donnent des super-pouvoirs) sont privées de ce pouvoir lorsqu’elles sont en contact avec du granite marin. Par ailleurs, à partir du moment où elles mangent ce fruit, ces personnes ne peuvent plus nager et coulent à pic : un sacré désavantage vu que One Piece est un monde de piraterie et se passe donc principalement sur la mer.
Une magie toute-puissante est ennuyeuse, tant pour l’autricə que pour le lectorat : soit les protagonistes n’ont aucune chance face à l’antagoniste (et la fin risque d’être capillotractée), soit læ protagoniste est beaucoup trop puissantə (auquel cas, il faut au moins jouer sur des vulnérabilités émotionnelles ou relationnelles)…
En revanche, on peut laisser croire que la magie de l’antagoniste est toute-puissante, puis révéler une faiblesse qu’iel a pris soin de dissimuler et que les protagonistes ont réussi à découvrir… mais qui ne sera pourtant pas évidente à exploiter !
Les règles de la magie
Y a-t-il un trop de magie – et quelles seraient ses conséquences sur la personne ou sur l’environnement ? Existe-t-il un seul type de magie ou plusieurs types ? Dans ce deuxième cas, une seule personne peut-elle pratiquer ces plusieurs types de magie ?
Dans Avatar : Le Maître de l’Air, il y a une double répartition, entre d’une part les maîtrəsses élémentaires, qui peuvent manier un des éléments (air, eau, feu, terre), et les personnes qui ne peuvent pas manier les éléments. Les maîtrəsses des éléments ne peuvent manier qu’un seul élément, sauf l’Avatar, qui manie les quatre éléments et est en plus en lien avec le monde des esprits. Chaque voie élémentaire a ses sous-voies (l’électricité pour le feu, le sable pour la terre, le sang pour l’eau, entre autres). Pour manier la magie, il faut effectuer des mouvements (inspirés d’arts martiaux, pour le détail extradiégétique).
Voilà les grandes lignes des questions à se poser lorsqu’on crée un système de magie, afin qu’il tienne la route et que le lectorat puisse y adhérer et s’y raccrocher.
Bien entendu, pas besoin de tout expliquer dans l’œuvre : il suffit que vous connaissiez ces éléments. Vous vous y tiendrez et, à la lecture, la présence et l’utilisation de la magie seront fluides et ne frustreront pas (trop) la suspension consentie de l’incrédulité.