« T’as pas l’air autiste » n’est pas un compliment
Pourquoi ce type de réflexion est extrêmement malvenu et comment mieux réagir !
Temps de lecture : 6 minutes
Souvent, lorsque je dis que je suis autiste, j’obtiens les réactions suivantes : « mais t’as pas l’air autiste », « un autisme léger, alors » (un dentiste vu en urgence) ou « oh, mon neveu est autiste aussi ! ».
J’imagine bien que l’intention n’est pas mauvaise, bien au contraire, et que les personnes qui me disent ça ne pensent pas à mal. Il y a même fort à parier que quiconque a déjà prononcé ces paroles imaginait donner un compliment.
Il n’en est rien, hélas. Ce type de réflexion est douloureux pour la personne qui le reçoit et empreint de validisme.
Je veux aujourd’hui vous expliquer en quoi et pourquoi il faut absolument éviter d’énoncer de tels commentaires.
L’autisme, ça ne se voit pas.
Qu’est-ce que ça veut dire « avoir l’air autiste » ? Réfléchissez-y un instant : que voulez-vous dire, quand vous dites que quelqu’un n’a pas l’air autiste ?
Vous partez du principe que l’autisme est visible – et qu’il correspond à des traits stéréotypés, vus et revus dans les médias. Ainsi, une « vraie » personne autiste :
serait, avant tout, un homme (c’est bien connu, il n’y a pas de femmes ou de non-binaires autistes)
serait nécessairement géniale en maths (ou dans un autre domaine spécifique)
aurait des difficultés sociales, serait incapable de former des relations, ne saurait pas s’exprimer, ne ressentirait pas d'émotions
ferait des gestes bizarres en permanence (les stims), serait incapable de croiser votre regard
ne parlerait que de son ou ses intérêt(s) spécifique(s)
serait incapable de comprendre l’ironie ou l’humour
serait incapable de fonctionner de manière indépendante.
Je ne dis pas que c’est forcément ce que vous avez en tête. Je dis juste que ces stéréotypes existent et que, consciemment ou non, lorsque vous dites « t’as pas l’air autiste », vous vous basez sur ces stéréotypes pour « diagnostiquer » la personne qui vient de vous dire qu’elle est autiste.
Si c’était aussi simple, je n’aurais pas attendu près de 30 ans pour comprendre que je le suis.
Le diagnostic de l’autisme est complexe et long : une observation extérieure de quelques minutes suffit rarement pour rivaliser avec les spécialistes et les concernéəs.
L’autisme ne s’exprime pas de la même façon d’une personne à l’autre. Certes, il y a quelques caractéristiques communes (qui sont nécessaires pour poser le diagnostic), mais elles ne s’expriment pas de la même façon d’unə autiste à l’autre : on parle bien de spectre autistique.
Par ailleurs, de nombreuxes autistes bénéficient de l’« offre spéciale comorbidités » : TDAH (Troubles Déficitaires de l’Attention), TAG (Trouble Anxieux Généralisé), dépression, TDI (Troubles Dissociatifs de l’Identité), TOC (Troubles Obessionnels Compulsifs) et bien d’autres font souvent partie du package et influent donc sur le comportement de chacunə.
Il est donc, de fait, impossible de déterminer « comme ça » qu’une personne est autiste ou non. Si on vous dit « je suis autiste », acceptez-le. Je vous assure que personne ne s’amuse à se prétendre autiste pour le fun.
(Et même si c’était le cas, vous préférez vraiment vous concentrer sur ce minuscule pourcentage potentiel plutôt que sur l’immense majorité de vraies personnes autistes ?)
Il ne faut surtout pas avoir l’air autiste !
Certaines personnes pensent rassurer leur interlocutricə en lui disant qu’iel n’a pas l’air autiste. Oui, parce qu’être autiste, c’est une mauvaise chose et que le but de tout le monde est évidemment de ne pas être autiste (ou, a minima, de ne pas avoir l’air de l’être).
C’est une position extrêmement validiste et stigmatisante. L’autisme n’est pas une maladie et ne devrait pas être considérée comme quelque chose de négatif. C’est une différence neurologique naturelle et un handicap, ça oui, mais ce n’est pas en niant l’existence du handicap qu’on va aider qui que ce soit.
La clé, comme toujours, c’est de reconnaître l’existence du handicap (au lieu de faire comme si la personne n’était pas handicapée parce qu’elle n’a pas l’air d’être handicapée), d’accepter les difficultés induites et de proposer des aménagements.
C’est une façon de nier nos besoins.
Affirmer qu’une personne n’a pas l’air autiste sous-entend d’autres assertions bien puantes.
(Oui, je suis consciente de l’ironie d’une autiste qui parle de sous-entendus. Et d’ironie.)
En disant qu’une personne n’a pas l’air autiste, on peut donc facilement « oublier » qu’elle l’est et donc ignorer ses besoins spécifiques – voire lui reprocher des comportements « problématiques »… qui sont en fait facilement explicables par l’autisme, si on le prenait vraiment en compte.
Par exemple, la sensibilité au bruit et au brouhaha qui peut causer un shutdown ou un meltdown : « cet enfant fait des crises pour un rien ! » Ou alors le besoin de s’isoler pour se recharger : « oh, cette personne est impolie / asociale ».
Dire à une personne autiste qu’elle n’en a pas l’air, c’est lui affirmer par la même occasion que vous ne prendrez pas ses besoins spécifiques en compte, parce qu’elle ne doit pas en avoir… puisqu’elle n’a pas l’air autiste.
Je sais que je n’ai pas l’air autiste.
Peut-être que certaines personnes pensent vraiment me faire un compliment, mais tout ce qu’elles font, c’est me dire : « tu te déguises vraiment très bien en personne alliste » (alliste = non-autiste).
Ça pourrait me passer au-dessus si ça ne me rappelait pas à quel point j’ai dû refouler toutes mes spécificités pendant les trente années de ma vie, les cacher et les masquer, afin d’éviter les regards méprisants, l’exclusion et les moqueries.
Ça pourrait me passer au-dessus si ça ne me rappelait pas à quel point je me suis débattue avec le flou de ma propre identité. Qui suis-je sous le masque ? Vous ne le saurez pas… puisque même moi, je ne le sais (savais) pas, à force de si bien le cacher et de si bien « ne pas avoir l’air autiste ».
J’en ai déjà parlé dans ce mail :
C’est un mensonge.
Tout le monde - et moi la première - sait que ce « compliment » n’est pas tout à fait vrai. Peut-être que vous pensez vraiment que je n’ai pas « l’air autiste », mais à y réfléchir un peu plus, vous vous apercevrez vous-mêmes qu’en fait, en fait, savoir que je suis autiste explique mes « bizarreries ».
Comme quoi, je n’ai pas l’air si alliste que ça !
Oui, mon style vestimentaire est étrange, mes cheveux ont des couleurs surprenantes, ma façon de m’exprimer bien trop soutenue, je suis chiante à pinailler sur chaque tournure de phrase, chaque mot choisi, je prends tout au premier degré, j’ai l’air d’angoisser pour des sujets pour lesquels personne ne devrait angoisser…
Bref, en fait, comme je suis autiste, eh bien j’aurai beau essayer le masquer du mieux que je peux, je ne me transformerai pas miraculeusement en personne alliste.
Ce qui veut dire que je commettrai des impairs, que mes stratégies de camouflage échoueront de temps en temps, que je serai obligée de cesser de masquer une fois mon seuil de fatigue atteint… et qu’il y a simplement des activités, des comportements d’allistes que je ne peux ou ne veux pas reproduire parce qu’ils vont à l’encontre de mon propre fonctionnement ou me sont incompréhensibles.
La preuve en est que, malgré mon masquage de compétition, j’étais cible de moqueries pendant toute ma scolarité et que j’ai souvent eu beaucoup de mal à m’intégrer lors de mes missions professionnelles (il suffit d’unə bonnə mentoressə pour pallier en partie cette problématique : encore faut-il avoir la chance d’en avoir parmi ses collègues).
Parfois, j’oublie que je suis autiste.
À force de prétendre, parfois on se prend pour ce qu’on n’est pas. Le « fake it till you make it » (« fais semblant de l’être jusqu’à le devenir ») est le pire ennemi de l’autiste, parce qu’on aura beau prétendre être alliste, on ne le deviendra jamais.
On peut devenir très douéə pour masquer, à tel point qu’on se leurre soi-même, qu’on s’auto-convainc que notre handicap n’a pas de conséquences sur nos capacités (émotionnelles, mentales, physiques) … et que la prise de conscience vient trop tard.
Combien de fois me suis-je lancée dans un projet tout à fait réalisable pour finir en shutdown, incapable de communiquer ou de faire quoi que ce soit pendant des jours, parfois des semaines ? Tout ça, parce que ce projet aurait été tout à fait réalisable pour une personne alliste, que j’ai oublié que je ne l’étais pas et que je ne me suis pas prévu des aménagements sur la route.
Résultat : une sensation d’échec, de nullité, d’incapacité à mener mes projets à bien ou d’être une personne sur laquelle on peut compter.
Alors, vraiment, ne pas avoir l’air autiste n’a aucun intérêt. Je préférerais parfois que ce soit extrêmement visible, parce qu’au moins je n’aurais pas l’impression de me chercher des excuses quand je n’arrive pas à faire quelque chose que serait capable de faire n’importe qui de valide (ou du moins qu’est censée pouvoir faire une personne valide, parce que je sais qu’il y a d’autres freins).
Bref, la prochaine fois que quelqu’un vous dira qu’iel est autiste, ne lui dites pas « tu n’as pas l’air autiste ! », mais pas non plus « un autisme léger, alors », ni « oh, mon neveu est autiste » (j’évoquerai ces réactions-là dans des mails futurs).
Toujours bon à savoir pour connaitre une bonne réaction à avoir.
Merci pour cet article ❤️