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Un des tropes les plus courants – et intéressant à de nombreux niveaux – est celui de l’Éluə (en anglais, the Chosen One).
Pour beaucoup de monde, ce trope est désormais un cliché éculé. J’ai tendance à bailler un peu lorsque je vois que le trope est utilisé de façon classique : læ protagoniste a été choisiə pour sauver le monde ou accomplir une tâche importante, etc etc, souvent par le biais d’une prophétie (mais on reparlera des prophéties plus tard). Ce personnage est souvent le protagoniste de l'histoire et a des qualités ou des caractéristiques qui le distinguent des autres personnages.
Je ne suis pourtant pas « anti » : certaines histoires avec unə Éluə me plaisent beaucoup ! Souvent, il suffit d’un petit élément pour subvertir le trope – et là, je suis conquise !
Parce que malgré tout, ce trope a de nombreuses utilités, notamment sur la structure narrative : il donne d’office un but aux protagonistes, on sait comment se construira la quête (dans les grandes lignes) – et cette quête est aussi l’occasion pour l’Éluə de changer, de devenir l’Éluə qu’iel doit être – ou, au contraire, de rejeter ce destin, quand c’est subverti.
Il est vrai, cependant, que c’est un trope souvent utilisé comme béquille. Lorsqu’il n’est pas interrogé, travaillé, émoustillé, il peut devenir lassant.
Parce que l’Éluə, ce n’est pas un trope qui date de la littérature de l’imaginaire mais depuis le début des religions. Il y a des Élus dans la plupart des mythologies et des textes fondateurs, par exemple Hercule, né pour combattre aux côtés des dieux dans la Gigantomachie.
Difficile de ne pas évoquer ici le christianisme, car c’est souvent le côté très chrétien du sauveur sacrificiel qui se lit en sous-texte dans les histoires avec unə Éluə : Jésus-Christ est considéré comme le « Chosen One », le Messie qui a été envoyé pour sauver l'humanité et accomplir une mission divine. (Incidemment, « Christ » signifie « qui a été oint » : c’est un titre, pas un nom.)
Les histoires comportant unə « Chosen One » exploitent donc une structure narrative que l’humanité connaît presque depuis ses débuts, ce qui rend l’objectif et la construction d’autant plus familières… et permet de subvertir le trope d’autant plus facilement, pour peu qu’on le souhaite !
On retrouve donc ce trope dans de très nombreuses histoires de la littérature de l’imaginaire, notamment en fantasy et en science-fiction.
SPOILERS EN VRAC
(Pour les éviter, scroller jusqu’au titre suivant.)
Dans la tétralogie opératique de Richard Wagner, Siegfried est ainsi le héros qui doit retrouver l’Anneau des Nibelungen (oui, cet anneau a inspiré Tolkien) et sauver la Walkyrie Brünnhilde de sa prison de flammes. Évidemment, avec une telle inspiration, La Trilogie de l’Anneau est pleine d’Élus : Bilbon et Frodon étaient censés trouver l’anneau et Frodon était le seul à pouvoir l’apporter à destination – même si le trope est subverti par l’intervention de Gollum (au sujet duquel le destin n’avait rien à dire) et celle de Sam le jardinier. Aragorn, en revanche, est la littérale incarnation de l’Élu.
Dans L’Histoire Sans Fin de Michael Ende (dont le nom de famille signifie « fin », ce que j’ai toujours trouvé génial – est-ce un aptonyme ou un contraptonyme ?), Atreyu est l’Élu qui doit trouver le remède de la maladie qui ronge l’Impératrice afin d’arrêter le Néant. La base de la base du « Chosen One » (et une histoire magnifique, que j’ai lue et vue de nombreuses fois durant mon enfance).
Terry Pratchett subvertit souvent le trope : le magicien Rincevent est Choisi pour garder un des huit types de magie… parce qu’il est si couard qu’il devrait réussir à survivre et ainsi conserver cette magie en sécurité. Carotte, que j’avais déjà évoqué dans Les Vrais Hommes Portent du Rose, est clairement l’Élu (cœur pur, loyal-bon, épée très classe, marque de naissance, etc), mais… il choisit de ne pas suivre son destin, qui le mettrait sur le trône d’Ankh-Morpork, parce qu’il trouve que l’administration actuelle est bien mieux que le retour à la monarchie (ce qui peut se discuter, mais c’est une autre histoire).
Dans les films Star Wars, le trope est subverti de façon intéressante avec Anakin Skywalker, perçu comme l’Élu censé rétablir l’équilibre entre le Côté Lumineux et le Côté Obscur de la Force. Pour les Jedi, cela signifie qu’il va vaincre les derniers Siths… or, si les Siths étaient éliminés, il n’y aurait plus d’équilibre entre la lumière et l’obscurité, juste de la lumière. C’est en tuant quasiment tous les Jedi et en devenant Darth Vador qu’Anakin rétablit l’équilibre : il y a désormais à peu près autant de Jedi que de Siths (c’est-à-dire pas beaucoup ni d’un côté ni de l’autre).
Dans A Song of Ice and Fire, George R. R. Martin subvertit le trope de plusieurs façons : il y a plusieurs prophéties (le Prince Promis, Azor Ahai et l’Etalon qui Chevauche le Monde) et plusieurs potentielləs Éluəs pour chacune d’entre elles: Daenerys Targaryen, Jon Snow, Stannis Baratheon, Bran Stark… À voir comment l’auteur résout ces pistes, j’ai hâte de voir !
FIN DES SPOILERS EN VRAC
Il existe bien évidemment de nombreuses versions (ou sous-tropes) du trope de l’Éluə, qui soit intensifient soit subvertissent le trope :
L'Antéchrist : Un élu destiné au mal, généralement au nom de Satan, d'un archétype satanique ou d'un autre mal ancien. Neil Gaiman et Terry Pratchett ont subverti cette subversion du trope dans Good Omens !
La Porteuse de l'Apocalypse : Une jeune fille choisie pour provoquer la fin du monde tel que nous le connaissons.
Touchéə par le Destin : On sait qu'il s'agit de l'Éluə parce qu'iel a une marque distinctive (cicatrice, tache de naissance), par exemple Harry Potter.
Les Nombreuxes Éluəs : Il y a un tas d'Éluəs qui se promènent en même temps.
Le Peuple Élu : Une espèce, une civilisation, un groupe ethnique ou religieux sont collectivement des Élus.
L'Aspirantə Éluə : Iel veut désespérément être l'Éluə, mais ne l'est pas.
L'Éluə Nullə : L'Éluə est unə protagoniste minable dont le véritable potentiel doit être découvert.
Cielle qui Choisit : C'est ellui qui décide qui est l'Éluə. Je me demande si Maître Shifu de Kung-Fu Panda compte dans cette catégorie.
Destinée Détournée : Le statut d'Éluə lui a été retiré. Pourquoi ? Là est toute la question !
Destinée Craignos : Être l'Éluə n'est pas aussi glamour que ça en a l'air ou qu’on pourrait penser.
L'Héritage de l'Éluə : Il y a eu de nombreux éluəs dans le passé et l'Éluə n'en est que la dernière version. Je suppose que l’Avatar dans les séries Avatar : Le Dernier Maître de l’Air et La Légende de Korra rentre dans cette catégorie.
Éluə à Choix Multiples : Bien qu'il ne puisse y avoir qu'unə seulə Éluə, il existe une liste de personnes qui pourraient l'être. À ma connaissance, c’est le trope utilisé dans The Wheel of Time.
Seulə l'Éluə peut Piloter : Seul l'Éluə peut piloter cette machine.
Seulə l'Éluə peut Chevaucher : Seulə l'Éluə peut dompter cette bête. Persée, choisi par Athéna pour mener sa vendetta contre la Gorgone Méduse, est le seul à pouvoir chevaucher Pégase.
Seulə l'Éluə peut Manier : Seul l'Éluə peut utiliser cette arme. Le meilleur exemple est ici Arthur qui tire Excalibur de son rocher et prouve ainsi qu’il est le roi désigné par la divinité.
L'Éluə Mal Choisiə : L'Éluə est nullə à son rôle d'Éluə.
L'Éluə Non Choisiə : Iel remplit toutes les conditions et tous les paramètres pour être l'Éluə… sans avoir été choisiə.
Quand on connaît et comprend le trope du « Chosen One », on l’identifie bien plus facilement, ce qui permet d’apprécier davantage les histoires qui utilisent ce trope de manière originale.
SPOILER ALERT
Par exemple, Katniss Everdeen dans The Hunger Games subvertit le trope : elle s’est « choisie » toute seule, en se portant volontaire pour protéger sa petite sœur, mais elle n’avait jamais prévu de devenir une figure révolutionnaire – et le devient malgré elle. Elle n’a rien « d’exceptionnel » si ce n’est son amour pour sa sœur.
FIN DU SPOIL
C’est un trope qui fonctionne lorsque l’Éluə a une histoire personnelle qui læ rend unique et intéressantə pour les lecteurs et que son choix a un impact sur l'histoire et le monde dans lequel iel évolue.
Si vous voulez écrire une histoire avec unə « Chosen One », voilà les étapes à suivre :
Choisir unə protagoniste qui sera l’Éluə de l'histoire
Donner au personnage des caractéristiques uniques qui le distinguent des autres personnages
Définir la tâche importante que le personnage doit accomplir ou le monde qu'il doit sauver
Fournir des obstacles et des défis à surmonter pour accomplir la tâche
Subvertir le trope pour créer une histoire originale si nécessaire
Et si vous voulez éviter d’écrire une histoire avec unə « Chosen One », voilà les étapes à suivre :
Avant de commencer à écrire, analysez votre histoire et déterminez si elle nécessite réellement unə Éluə. Peut-être que vous pouvez explorer d'autres options de narration pour mettre en valeur votre histoire.
Évitez les stéréotypes courants liés au trope de l’Éluə, par exemple le héros masculin blanc cisgenre et hétérosexuel, qui est souvent considéré comme le sauveur de tous.
Créez des personnages avec des personnalités et des motivations complexes, plutôt que de simplement les définir par leur rôle d’Éluə. Cela aidera à rendre les personnages plus réels et plus intéressants.
Donnez aux personnages des choix qui leur permettent de contrôler leur propre destinée. Cela aidera à éviter l'idée que le personnage principal est simplement un pion dans un jeu plus grand. C’est un grand danger, de justifier certains points par le destin ou les prophéties : on sent aisément que c’est une béquille.
Utilisez un ensemble de personnages pour raconter votre histoire plutôt qu'un seul personnage principal. Cela vous permettra d'explorer différentes perspectives et de créer des dynamiques intéressantes entre les personnages. (Le roman choral en est un bon exemple !)
Créez un monde complexe avec des enjeux multiples, plutôt que de simplement vous concentrer sur l'histoire du personnage principal. Cela aidera à créer un univers plus riche et plus réaliste.
Si vous décidez d'utiliser le trope de l’Éluə, soyez conscientə des implications de cette décision. Assurez-vous que cela ne renforce pas des stéréotypes ou des préjugés, et évitez de glorifier le personnage principal comme un sauveur absolu.
Éviter les prophéties, les signes distinctifs (tache de naissance, cicatrice, yeux de couleur incroyable, etc), les accessoires touchés par le destin (arme magique, dernier dragon survivant, etc), de donner des caractéristiques exceptionnelles à votre protagoniste (intelligence, force, agilité, etc) ou en donner à tous les / plusieurs personnages
Faire en sorte que l’antagoniste ne puisse être affronté ou que le problème ne puisse pas être résolu par une seule personne
Pour ma part, j’essaie d’éviter le trope du « Chosen One » dans Sublimes – même si mon héroïne est du genre à s’auto-convaincre qu’elle est l’Élue… Oups !
Inspiré de l’article The Chosen One sur TVTropes
Image par Eliabner Cibene
Très intéressant !! Je plaide coupable, j'adore la version de Star Wars avec le fait que la fameuse prophétie a été mal lue... J'aime beaucoup la version de Matrix aussi qui est je trouve, dans le même goût (on pense sauve l'humanité mais on fait finalement tout ce qu'a prévu son adversaire)
Dans l'histoire que j'avais écrite ado et que je reprendrai peut-être un jour, mon "élue" avait été formée depuis son plus jeune âge pour cela, ça n'en faisait pas quelqu'un d'exceptionnel aux yeux des autres, juste une guerrière formée pour une tâche, comme si c'était son job. J'aimais l'idée qu'elle parte d'une obéissance aveugle en la quête qu'on lui a attribué pour finir complètement désabusée et s'en détourner complètement après avoir découvert la supercherie des jeux de pouvoirs derrière. Je crois que ça rentre dans la catégorie "Destinée Craignos" 😂 (mais c'est peut-être cliché aussi)
J'ai hâte de pouvoir lire ton livre !
Cette description est top! C'est un trope qui m'énervait énormément, mais là je vois pous de nuances