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Les mots des maux
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Les mots des maux

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Temps de lecture : 3 minutes

Petite nouveauté : désormais, si tu le préfères, tu peux m’écouter au lieu de lire mon mail du jour !

Venant de la part d’une écrivaine, l’affirmation que les mots ont une importance ne devrait surprendre personne.

Dans une phrase de roman, dans une accroche d’article, dans un dialogue de théâtre, chaque mot est une perle. Ensemble, ces mots s’égrènent en un collier ciselé.

Lors de conversations, on me dit souvent que je pinaille, que je sors un mot de son contexte. C’est à la fois vrai et faux.

Oui, je m’attache à l’importance de chaque terme utilisé, nom, adjectif, verbe – et même les conjonctions de coordination (mais où est donc Ornikarrr ?). Ce n’est pas pour chicaner. Ce n’est pas pour le plaisir de débattre. D’ailleurs, je déteste débattre, car j’ai toujours l’impression de ne pas trouver les mots… le comble pour une autrice !

Je suis de l’avis qu’une phrase est comme une mélodie : si l’on utilise pas le bon terme pour exprimer son idée, alors que la communication est déjà si difficile entre êtres humains, la mélodie devient bancale. Il y a une fausse note ou bien il manque un temps à la mesure.

Lorsque j’entends un chef cuisinier français et blanc décrire un plat guadeloupéen comme « exotique », je grince en mon for intérieur. Et puis l’étymologie du mot me renseigne : exotique vient du grec ancien ἐξωτικός, exôtikós (« étranger »), adjectif issu de ἔξω, éxô (« au dehors »). Cet épithète est donc profondément raciste.

C’est une règle pour moi que de me référer à l’étymologie d’un mot lorsque son sens ou son utilisation dans une phrase donnée me titille.

La « passion », par exemple, est un de ces mots qui ont évolué dans le langage courant, sans pour autant perdre leur origine. Car « passion » et « pâtir » sont cousins ; ils sont des descendants du latin patior qui signifie « souffrir, éprouver, endurer » – c’est-à-dire, les états « passifs », opposés à ceux dont on est la cause.

La Passion du Christ, c’est sa souffrance. Et lorsqu’on parle de vivre de sa passion, je grince toujours un peu, car n’est-ce pas accepter d’endurer, passivement ?

Je crois que je tourne autour du pot.

Ce que je voulais évoquer, aujourd’hui, c’était surtout la valeur des mots.

D’ailleurs, valeur est encore un de ces vocables intéressants, puisqu’il désigne – entre autres – le courage (directement lié à l’étymologie latine valor, « être fort ») et l’importance, grandeur, durée (pécuniaire, symbolique…).

Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années…

Lorsqu’un mot est utilisé à tort et à travers, il perd de sa valeur, puisqu’il perd de son sens. C’est une tactique qui peut être utilisée par exemple pour déplacer la fenêtre d’Overton.

Et il y a ainsi un mot qui a perdu sa valeur pour moi, pendant près de quinze ans – alors qu’il s’agissait de mon premier mot. Un mot tout simple. Un mot d’une grande importance, pourtant.

Le « non ».

Car si le « non » est utilisé mais pas entendu, à quoi sert-il de l’utiliser ? Autant tout de suite accepter que mon choix n’a pas de valeur. Que quoi que je dise, ce sera entendu comme un « oui ».

Il m’a fallu des années pour comprendre pourquoi, face à une décision, mon réflexe était toujours de dire « je te laisse choisir ». J’étais sûre que, comme jadis mon « non », mon choix ne serait pas écouté. À quoi bon, alors, prendre la peine de l’énoncer ?

Retrouver la valeur du « non » a été un chemin long et ardu. Mais j’ai découvert pendant le voyage la beauté du « oui » enthousiaste – qui affirme d’autant plus la légitimité du « non ».

Je veux le dire aujourd’hui, parce que j’ai encore été confrontée la semaine dernière à des personnes qui ne l’entendent toujours pas : un « non » doit toujours être pris comme un « non » – en particulier dans le cadre du consentement sexuel. Il faut faire confiance à l’énonciateurice.

Il est si difficile de dire « non » que lorsque quelqu’un parvient à l’exprimer, il faut l’accepter.

Et j’ajoute qu’un « oui » peut être un « non » : le « oui » doit être enthousiaste, éclairé et libre sinon, c’est un « non ». Un « oui » n’est pas une promesse ; il peut se transformer en « non ». Un « oui » n’est jamais dû.

Je me suis un peu éloignée de la littérature en elle-même – et pourtant pas tant que ça : pensons à tous ces romans, films, récits où le « non » est bafoué, voire considéré comme un « oui » caché.

Je veux boucler la boucle en finissant par ceci : l’écriture est bien une passion pour moi, car elle me sert – entre autres – à exorciser. À partager ma souffrance. Alors, oui, il arrive que ce que j’écris soit d’une grande violence, d’une dureté difficile à tolérer. Je le sais – c’est pour cela que, là où c’est nécessaire, j’inclurai un traumavertissement.

Quiconque le lira, saura ; et c’est donc consentantǝ qu’iel se plongera dans mes passions…

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